Trevor BEALES – Fireside Stories
(Basin Rock Records)
La Grande-Bretagne (Albion), terre anglo-saxonne protestante au sud, catholique au nord et à l’ouest, galloise ou écossaise, irlandaise anglicane ou cockney, entourée de mers et couverte de ports, de falaises avec son lot de marins, de bardes, de pages, de ménestrels, de brouillards et de pluies ; de « nursery rhymes » et de ballades douces ou criminelles, tristes ou à danser, a été depuis les années 1965-1967 l’île des grandes envolées de la musique folk et de toutes ses tendances les plus étranges, les plus osées et les plus folles : folk blues, folk rock, folk psychédélique, néo-folk, dark folk et wyrdd folk jusqu’à nos jours.
Le renouveau datant des années 1960 a été suivi rapidement par des artistes très bons musiciens (une nuée de guitaristes entre autres) enregistrés chez les maisons de disques aventureuses de l’époque, Transatlantic ou Elektra. La période royale étant celle des groupes reprenant un peu du patrimoine musical, souvent décalés et avec chanteuses : PENTANGLE (Jacqui Mc SHEE), FAIRPORT CONVENTION (Sandy DENNY), STEELEYE SPAN (Maddy PRIOR), l’exception étant les deux touche-à-tout exquis d’INCREDIBLE STRING BAND : Mike HERON et Robin WILLIAMSON, mais leurs voix suffisaient à nous perdre avec le plus grand plaisir dans leurs univers magiques.
Ce cours laps de temps qui correspond à une espèce d’apogée du genre (entre 1967-1971), a laissé la place à une tout autre génération d’enfants terribles dès les années 1970 (les SOFT MACHINE, KING CRIMSON, CARAVAN et VAN DER GRAAF GENERATOR, jeunes gens virtuoses auteurs/compositeurs et musiciens savants, qui savaient rester sobres avec leurs instruments), mais s’est poursuivie tant bien que mal avec des groupes folk-rock mineurs (TREES, FOTHERINGAY) ou des entités à la limite des marges (COMUS, JAN DUKES DE GREY, Dr STRANGELY STRANGE). En parallèle, et surtout avec le flair de nouvelles maisons de disques ou de départements dédiés aux nouvelles musiques, des auteurs de la mouvance post-folk ont été récupérés par Island, Dawn, Harvest, Nova, Deram, Dandelion lors des années 1970.
À la lisière de ces courants, il a toujours existé dans l’île des landes couvertes de bruyères, d’elfes mélancoliques et de fées buveuses de thé, des personnalités musicales classées par commodité dans ces rayons et ces rubriques folk-fourre tout : DONOVAN et ses chansons pour petits et grands enfants, Nick DRAKE et sa tristesse, Bridget SAINT JOHN et le récit de ses amours, Bert JANSCH avec son jeu de guitare flamboyant et sa voix brisée, Vashti BUNYAN en chanteuse timide et voyageuse, Mike HERON et Robin WILLIAMSON avant qu’ils tombent dans les bras de la scientologie et bien d’autres. De plus, avec le renouveau (néo-folk ou dark-folk) des années 1990, des groupes ou individus solitaires issus de la scène industrielle et parfois post-new wave, ont emmené ce folk au-delà de ses limites (CURRENT 93, SOL INVICTUS et autres avatars) ou ont poursuivi l’héritage en le sublimant (Martyn BATES, ORCHIS, 12 000 DAYS).
Tous ont été influencés par quelques solitaires américains (Tom RAPP, Tim BUCKLEY, Leonard COHEN, Buffy SAINTE-MARIE et autres) ; certains ont eu une longue et fructueuse carrière et ont enregistré pas mal d’albums même si leur succès est resté plutôt confidentiel, tous ont été retrouvés après avoir été perdus (Vashti BUNYAN, Anne BRIGGS, Sibylle BAIER, Tim FINN, Mick SOFTLEY…), réhabilités et redécouverts (Bill FAY), parfois en bien mauvaise santé (Jackson C. FRANK), parfois oublieux de leur jeunesse, souvent devenus des caricatures de la silhouette de leurs vingt ans.
De vrais inconnus comme Trevor BEALES sont passés bien au-dessous des radars pendant plus de 50 ans (même s’il a fait partie d’un groupe prog-pop vers 1978 (HAVANA LAKE) et a publié un unique album très confidentiel et vite oublié (Concrete Valley, en 1977). Ce musicien, pourtant accompli et virtuose semble n’avoir été d’aucun jardin secret de qui que ce soit et les cassettes enregistrées entre 1971 et 1974, retrouvées dans un grenier au fin fond du Yorkshire (d’une grande qualité presque surprenante pour l’époque) montrent un savoir-faire digne des John MARTYN et Bert JANSCH à la guitare (ce fameux « finger picking »).
Les douze morceaux (dont les deux instrumentaux Dance of the Mermaids ainsi que Braziliana de Dave EVANS, autre chanteur gallois perdu mais plus chanceux avec trois albums enregistrés), ont été remasterisés superbement par Andrew LILES (collaborateur de CURRENT 93 et NURSE WITH WOUND), plusieurs titres s’enchaînent de façon très fluide et sont comme des bouts de poèmes écrits sur des papiers volants, chantés avec une voix calme, sobre et claire, parfois haut perchée qui rappelle de loin la manière de poser sa voix de Joni MITCHELL (dans Blue, album de la douleur amoureuse de la dame), sans aller vers la suavité de John MARTYN époque Solid Air, que Trevor BEALES a dû écouter, apprécier et dont il a su véritablement s’imprégner.
Ses chansons tristes et douces, parfois emplies de grâce, jamais cyniques ni excédées, sont toujours délivrées avec une sorte de franchise désarmante, sans affects ni effets, avec un dépouillement dû à l’enregistrement au magnétophone mais que ce chanteur solitaire a voulu ainsi, semblant se garder au bout du compte ses pépites pour lui seul ou pour son épouse. On pense à la première période de Bert JANSCH (Jack Orion ou Nicola) et ses chansons sombres d’avant PENTANGLE, à Nick DRAKE bien entendu et ses ballades chantées du bout des lèvres, les yeux baissés et les épaules fatiguées (surtout celles de Pink Moon et du dénuement de la voix et des accompagnements).
Trevor BEALES, qui semble avoir abandonné tout espoir de faire carrière dans le monde de la musique vers les années 1980 (il s’installe alors en famille dans le sud de l’Angleterre à Bournemouth) serait d’après son épouse, retourné plusieurs fois dans le Yorkshire (à Hebden Bridge, a ville du grenier) jusqu’à 1987, date de son décès abrupt à l’âge de 33 ans. Elle confirme pourtant ne pas être au courant d’autres compositions de son mari musicien et se dit heureuse que sa fille Lydia née en 1986, puisse écouter, après plus de 35 ans la musique de son père disparu
En 2022, même si ce Fireside Stories n’était que son seul et unique album, il serait, à l’instar de Colour Green de Sibylle BAIER (dans un genre voisin, mais pas trop différent), une merveilleuse opportunité de revivre un peu de l’âme de ce chanteur tellement discret qu’il pourrait reprendre l’adage d’ELIOTT, une des chansons de Sibylle BAIER : « Sadness is beautiful. »
Xavier Béal(es)
Page : https://trevorbeales.bandcamp.com/album/fireside-stories-hebden-bridge-circa-1971-1974