TWELVE THOUSAND DAYS – The Birds Sing as Bells // KODAX STROPHES / Martyn BATES – Post War Baby

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TWELVE THOUSAND DAYS – The Birds Sing as Bells
(Final Muzik) //
KODAX STROPHES / Martyn BATES – Post War Baby
(Hive-Arc)
Cela fait désormais plus de quarante ans que Martyn BATES, chanteur /guitariste du duo EYELESS IN GAZA (fondé en 1980)  nous enchante tout au long des nombreux albums du groupe ainsi que l’équidistant parcours en solo et en collaborations diverses autour des approches très littéraires du folklore anglais et écossais ainsi que de la poésie chantée et mise en musique d’auteurs assez éloignés du répertoire folk traditionnel d’une part et des approches personnelles autour de contes gothiques et effrayants de Mary SHELLEY à l’autre bout du spectre musical. 

Martyn BATES a, en effet collaboré avec Mick HARRIS sur un triptyque (trilogie) de Murder Ballads issues de ballades sombres, cruelles, tragiques et pourtant suaves tirées de morceaux traditionnels anglais paru en 1994 ; il a conçu également deux albums de reprises de poèmes de James JOYCE (Chamber music I et II ) en solo chez Sub Rosa en 1994, il  a collaboré avec Max EASTLEY (Songs of Transformation en 1996) sur des reprises traditionnelles comme Cruel Sister et Nottamun Town ainsi qu’avec Anne CLARK pour un projet Just like Sunset autour de 17 poèmes repris en mode chanté/parlé en duo de traductions de The Book of Hours de Rainer Maria RILKE en 1998.
 
Tout cela en continuant sa carrière solo (avec au moins 25 albums), tous portés par sa voix solaire et lunaire à la fois, céleste et intime, maniant des textes très aboutis et chantés comme s’ils venaient de l’intérieur de son corps et traversaient son âme.  Une carrière sans relâche et toujours en renouvellement, cultivant cette image de troubadour pastoral empreinte de mysticisme et de romantisme intemporel (sans le côté parfois affligeant des excentricités rimbaldiennes de certains).  On peut parler à son sujet, sans s’y tromper, de  musicien chamanique à l’univers unique et secret dans la sphère du « wyrd folk » (wyrd pour étrange et inclassable) ou du dark-folk parfois fréquenté par certains illuminés magnifiques et hypgnagogiques (tels David TIBET de CURRENT 93) ou tous ces musiciens troubadours, ménestrels ou baladins qui semblent collés à leurs rêveries émergeant d’un état entre le sommeil et le réveil ou le contraire.
 
Tradition bien ancrée de l’autre côté de la Manche, cette exploration à la fois archaïque et  moderne du patrimoine ésotérique propre à nos voisins insulaires et si fiers de l’être : qu’ils soient anglais, écossais, irlandais, saxons ou celtes a eu des excroissances parfois inattendues (SOL INVICTUS et son registre parfois guerrier, parfois mélancolique) et l’album de compilation John Barleycorn Reborn paru en 2004 résume bien tous les avatars de ce courant dark-folk et des successeurs de FAIRPORT CONVENTION (parfois pour le pire) ou PENTANGLE (souvent pour le côté jazz et la magnifique voix de leur guitariste Bert JANSCH) et les multiples formations et artistes solo depuis les années 1970 avec ici et là quelques revivals sans grandes conséquences.
 
Martyn BATES mène également en parallèle et sans jamais paraitre s’essouffler ni perdre son inspiration, deux projets qui se sont rencontrés et superposés (mais pas catapultés)  fin 2021 -début 2022 avec d’un côté la parution de Birds Sing like Bells, sixième album de TWELVE THOUSAND DAYS, projet en duo avec Alan TRENCH (ORCHIS) commencé il y a près de vingt ans sous l’éclairage d’apocalypse folk et de l’autre côté (assez éloigné de ce néo-folk) de KODAX STROPHES, projet solo dont Post War Baby est le second opus après un premier album très instrumental paru en 2020.
 
Tout d’abord du côté de TWELVE THOUSAND DAYS : The Birds Sing as Bells paru début 2022 et qui suit d’un an Field’s End sorte de retour aux affaires du duo après une éclipse longue et une mise en sommeil du projet, finalise cette trilogie avec trois albums parus coup sur coup sur le label italien Final Musik entre 2018 et 2022. Le projet qu’on sent avoir bien muri au travers d’une riche instrumentation de cordes acoustiques et d’un habillage complexe (et parfois inquiétant) avec dulcimers, orgues, mellotrons, tzouras, balalaïkas et autres instruments d’origines indiennes ou grecques) des nappages ambient, situent ces trois albums dans des atmosphères éthérées aux limites du néo folk et au-delà des reprises et des ballades traditionnelles chères au revival du patrimoine anglo-saxon.
 
Pour The Birds Sing as Bells, le plus récent et le plus abouti des trois : Cruel Brother qui ouvre l’album et d’autres morceaux (The Knights of December et Two Ravens également) avec une instrumentation électronique mêlée à la guitare sèche magnifient ces « murder ballads » et irriguent la voix déployée en majesté de Martyn BATES dans toute sa splendeur. Le but de ces trois albums consécutifs n’est pas de rattacher cette trilogie (avec Insect Silence le premier des trois paru en 2018 qui lui reprend trois morceaux de W.B YEATS) à une famille musicale mais plutôt de les concevoir tous les trois comme une promenade champêtre le long des paysages mystiques de Martyn BATES qui laissent l’auditeur transporté par ce souffle porté par le duo complice et aventureux.
 

Du côté de KODAX STROPHES et de l’album Post War Baby, paru fin 2021, et projet solo de Martyn BATES, on s’éloigne du folksong et du folklore (qu’il soit néo ou wyrd) pour atteindre la lisière déjà abordée par le premier album paru chez le label autrichien  Klang Galerie  fin 2020 « It Doesn’t Matter Where it’s Solstice When You’re in the Room » et essentiellement instrumental (Martyn BATES se créditant  lui-même de « voix occasionnelles » dans les notes de l’album). Ici, huit des neuf  morceaux sont chantés et l’instrumentation reste plus traditionnellement basée sur la guitare et le piano tous deux agrémentés d’effets studio enveloppant l’ensemble assez disciplinés.

Pourtant, tous les morceaux sont travaillés grâce aux strophes répétées avec un souci permanent d’allongement comme une sorte d’écho d’eux même qui au-delà de la linéarité des couplets donne une impression de boucle afin de capturer encore plus profondément le lyrisme du chanteur qui habite et confirme ici sa maitrise de compositions aux formes anciennes et modernes uniques allant d’une sorte de mélange d’a capella et de chant dans lequel la répétition participe à la force de la narration. On peut parler d’un lyrisme onirique bien loin d’une froideur un peu sèche et proche du mélancolique même si ces notions sont parfois galvaudées (surtout pour tout ce qui les rattache à une certaine mièvrerie désolante ici totalement absente).

On sent que le promeneur Martyn BATES, parti à nouveau dans une production foisonnante et semblant marquer en parallèle une pose avec son groupe historique EYELESS IN GAZA, ne va pas en rester à ces deux projets et qu’il va nous proposer encore et encore à développer son travail tellement méticuleux et expérimental sur la distorsion des sensations, les vrillages et les superpositions des motifs, agrémentés et portés par sa voix puissamment mélodique (mélodieuse) pour nous enchanter encore et toujours jusqu’à l’abandon pour notre plus grand plaisir. 
 
Le concept des TWELVE THOUSAND DAYS, créé par BATES et TRENCH il y a vingt ans validait le fait qu’à l’époque 12 000 jours (soit 33 ans) était la durée du temps que les deux musiciens s’accordaient pour leur vie (musicale ?) à venir. Il leur reste encore de bonnes et longues années pour accomplir ce magnifique projet et ils peuvent compter sur nous pour suivre ces fredonnements et ces chants un peu fantômes un peu brumeux et tout à fait magiques de doux baladins qui nous ouvrent leurs âmes et nous emmènent tout au long de leurs rêveries lumineuses.
 
Xavier Béal
 
 
 
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