Ninon VALDER – En mi Corazón

8 vues

Ninon VALDER – En mi Corazón
(Flying Penguins / Inouïe Distribution)

Réaliser un premier album solo pourrait être perçu pour un(e) artiste comme un saut dans le vide. Non pas parce qu’on ne sait pas quoi y mettre, mais plutôt parce qu’on veut y mettre un peu de tout de soi-même. En l’occurrence, il vaudrait donc mieux parler d’un saut dans le plein, surtout quand on a eu un parcours aussi riche et coloré que celui de Ninon VALDER, qui est à la fois compositrice, chanteuse, flûtiste et bandonéoniste. Et c’est effectivement toutes ces différentes facettes qu’elle expose et soumet à notre écoute dans son disque En mi Corazón, dont elle a assuré de plus la production artistique, ledit album étant en outre sorti sur le label de la compagnie Flying Penguins, dont elle assure tant qu’à faire la direction artistique. On aura ainsi compris qu’il ne s’agit pas d’un disque de commande, ni d’un enregistrement à caractère ethnomusicologique, mais bien d’une création personnelle dont le point A serait la musique classique et le point B la musique argentine, et la ligne qui les relie assez sinueuse pour y intégrer des éléments jazz et quelques touches contemporaines.

Si les sons et les rythmes argentins irriguent En mi Corazón, ce n’est pas tant parce que Ninon VALDER a baigné dès son enfance dans cette culture, mais c’est parce qu’elle s’y est reconnue et l’a faite sienne, au gré de rencontres humaines et musicales. En effet, étant d’origine tarnaise, Ninon VALDER a goûté au répertoire traditionnel occitan et tâté de la vielle à roue en parallèle de ses études en musique classique à la flûte, avant d’avoir la révélation à l’écoute de disques de Mercedes SOSA et d’Astor PIAZZOLA, ce qui l’a amenée à étudier le bandonéon avec Juan José MOSALINI au conservatoire de Gennevilliers ainsi que le tango, avant de bifurquer vers le jazz en Angleterre (obtention d’un Master au College of Music de Leeds, performances scéniques dans les plus grandes salles londoniennes…). En France, elle a étudié les chants du monde avec Martina A. CATELLA, avec qui elle a fini par enseigner au sein du Centre de recherche vocale des Glotte-Trotters.

Enfin, Ninon VALDER a plongé dans les sources des musiques traditionnelles rurales d’Argentine, qu’elle a notamment explorées au sein du duo qu’elle a formé avec rien moins que le directeur musical de la grande chanteuse Mercedes SOSA, soit Nicolàs « Colacho » BRIZUELA, avec qui elle a enregistré un disque en 2013, Cuscaias. C’est également lui qui a impulsé en 2015 la création du trio vocal (avec instruments) LAS FAMATINAS, auteur d’un CD en 2020 (Asi Seguimos Andando), et dans lequel Ninon VALDER jouait avec Valentine JÉ et Patricia LESTRE (par la suite remplacée par Chloé BREILLOT).

Ajoutez à cela des collaborations avec divers artistes du monde, comme le tubiste et joueur de serpent Michel GODARD, les guitaristes français Pierrick HARDY et Sylvin MARC, la chanteuse grecque Katerina FOTINAKI, la chanteuse jazz italienne Susanna STIVALLI, le pianiste italien Antonio FRESA, le guitariste argentin Leonardo SANCHEZ, la pianiste jazz franco-polynésienne Carine BONNEFOY, etc., sans oublier l’ambassadeur du chamamé argentin, l’accordéoniste Raul BARBOZA. Et quand elle ne joue pas de musique, Ninon VALDER développe le CEREMUSA, Centre de recherche de musique et de transmission orale, basé à Bethon, dans la Marne, et rédige ses Chroniques d’un jour bleu pour l’émission Folk à Lier sur Radio Libertaire. C’est dire si la musique et le chant sont au cœur même du parcours de Ninon VALDER, ce qu’illustre ouvertement le titre de son album, En mi Corazón, soit en français « dans mon cœur ».

Elle y révèle un répertoire en majeure partie constitué de ses compositions, mais aussi de reprises en qualité d’hommages. Les connaisseurs trouveront donc dans ce disque une belle variété de genres musicaux argentins : en priorité du huayno, genre émergé de la Cordillère des Andes ; mais aussi de la zamba (et non de la samba !), danse typique des provinces du Nord et dérivée de la Zamacueca péruvienne ; du carnavalito, genre lui aussi issu du Nord ; de la milonga, genre rural provenant de la pampa ; du chamamé, genre de la province de Corrientès ; de la vidala émanant du Nord-Ouest et d’influence bolivienne ; et tant qu’à faire du tango.

Les collaborations et les échanges ayant été le moteur de sa vie artistique, Ninon VALDER a tenu à ce que En mi Corazón, tout disque solo qu’il est, accueille quelques invités de route, sans pour autant tomber dans le panneau de l’auberge espagnole ou chaque invité ne viendrait faire que de la figuration subreptice et à peine audible sous un fatras d’arrangements. Au contraire, En Mi Corazón alterne des pièces solistes et des duos strictement acoustiques et fait montre d’une prédilection pour le dépouillement expressif.

YouTube player

C’est ainsi avec des guitaristes, Sebastien CORDERO et Kevin SEDDIKI, que Ninon converse en alternance sur plusieurs pièces de son album, ses talents de multi-instrumentiste et de chanteuse lui permettant de proposer des combinaisons instrumentales chaque fois différentes : flûtes/guitare, bandonéon/guitare ou chant/guitare. Ninon VALDER retrouve également la pianiste Carine BONNEFOY pour la revisite d’une zamba popularisée par Mercedes SOSA (Zamba Para no Morir), et elle se fend d’un duo bandonéon/accordéon avec Raul BARBOZA sur une reprise de ce dernier (Los Saltos del Guaira) !

YouTube player

Hommages sont également rendus à la poétesse du tango Eladia BLASQUEZ (Et Corazon al sur), au poète et compositeur Ariel PETTROCELLI (El Seclanteño) et au compositeur, bandonéoniste et père du « nuevo tango » Astor PIAZZOLLA (Oblivion). Et entre deux dialogues, Ninon s’exprime en solo, livrant quatre compositions à la flûte basse (trois Aires de Huayno et une Milonga Porteña) et une au bandoneon (un aire de Huayno où plane l’ombre de Dino SALUZZI).

YouTube player
YouTube player

En mi Corazón est en somme le portrait d’une vie de rencontres et d’échanges, et d’un amour immodéré pour les chants et rythmes argentins, à travers lesquels Ninon VALDER exprime ses émotions. Tout ici est joué et interprété à cœur grand ouvert, dont les diastoles et les systoles seraient transformées en notes pélerines aussi caressantes que pétulantes. Aussi la moindre des choses est-elle de l’écouter avec des oreilles grandes ouvertes.

Stéphane Fougère

Site : https://ninonvalder.com/

Laisser un commentaire

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.