OISEAUX-TEMPÊTE – What on Earth (Que diable)
(Sub Rosa / NAHAL Recordings)
Depuis 2012, ce groupe, tirant son nom d’un oiseau étrange (un tout petit pétrel noir et blanc), secrètement bigarré, vivant dans des endroits cachés des humains, souvent craint et parfois haï des pêcheurs parce qu’annonciateur de catastrophes en mer, est né au fil de rencontres de musiciens peu désireux d’être classifiés, refusant presque toute étiquette, mais qui daignent pourtant, vraiment du bout des doigts (des griffes de leur oiseau) d’être rattachés à la mouvance post-rock. Plus important, ils ont produit en dix ans une suite d’albums incandescents, ainsi qu’une compilation parsemée de raretés et une musique de film (Sortilège de Ala Eddine SLIM sorti en 2020) avec en prime des albums en solo ou des collaborations diverses.
Frédéric D. OBERLAND (guitare) et Stéphane PIGNEUL (bassiste), tous deux issus de formations diverses dont LE RÉVEIL DES TROPIQUES, groupe déjà porté sur les bourdonnements post-apocalyptiques, ont navigué le long des huit albums de ces oiseaux tempêtueux sur des mers peu calmes, plutôt agitées et souvent sombres et ont composé de puissants morceaux au fil de musiques incandescentes et nomades tantôt en duos et en trios avec le batteur Ben Mc CONNEL (BEACH HOUSE) tantôt avec une myriade d’invités venus de groupes amis comme BRUIT NOIR ou MENDELSON.
Après un triptyque ou plutôt un voyage (une odyssée) le long de la Méditerranée (Grèce, Turquie et Sicile dans l’album Utopiya ? en 2015) suivi d’un détour vers le Liban en 2017 avec l’album Al’An !/Now et d’une virée au Canada en 2019 avec l’album From Somewhere Invisible enregistré en deux jours, nos deux musiciens toujours fidèles à Sub Rosa, label belge aventureux et soucieux d’inventivité, publient en 2022 What on Earth (Que Diable) dix titres, soixante-quinze minutes d’envoûtants et enveloppants morceaux étirés vers l’exaltation, mélangeant les styles et les genres, comme des bourrasques ininterrompues, des mélopées stridentes et tout d’un coup calmes, d’une puissance musicale pourtant simple mais entêtante, faite d’un alliage tous azimuts d’instruments aux textures plutôt traditionnelles (synthés, mellotron, guitares, claviers, cuivres, violons) et cette basse omni présente qui donne un son si caractéristique aux différents morceaux.
Riches de leurs dix ans d’allers et retours de par le monde, l’album a été enregistré à Montréal, Paris, Lyon et Tripoli avec une pléthore de collaborateurs de tous genres allant de musiciens à vidéastes, chanteurs et photographes formant ce qu’ils appellent un « Storm Orchestra ».
L’album What on Earth démarre somptueusement avec Black Elephant, qui donne le ton de cette danse magnétique et compulsive, une dévoration musicale emplie d’ardeur comme un pressentiment de ce qui va suivre, soit une déflagration continue et un déluge foisonnant menant jusqu’au morceau Dôme, enregistré à Tripoli sur le site architectural de pyramides rétro futuristes d’Oscar NIERMEYER à l’abandon définitif depuis 1975.
Le groupe avance désormais en quatuor avec MONDKOPF aux machines et Jean-Michel PIRÈS à la batterie, et des invités canadiens : Jessica MOSS de THEE SILVER MT ZION ainsi que des membres de SUUNS et JERUSALEM MY HEART. Les dix morceaux répartis en quatre mouvements vont vers un au-delà de l’héritage post-rock (riffs électriques, déluges et explosions brutales) en ajoutant des distorsions (bouzouki), nous emportant vers le deuxième mouvement et la montée splendide des quelques vingt minutes de The Crying Eyes-I Forget et ses drones entêtants mélangés à la voix psalmodiée de Radwan Ghazi MOUMNEH (le joueur de bouzouki) ; en vrac, tous les morceaux, qui défilent en totale continuité, forment un ensemble semblable à une symphonie païenne qui donne le tournis, surtout lorsque les invités retrouvent un rythme impro jazz piano-machines (Nues sous la Comète).
L’album, fier de son nomadisme, finit en live au beau milieu des ruines un peu comme un hommage à ces albums « cosmiques » allemands des années 1970 (AGITATION FREE et ASH RÂ TEMPEL) qui nous faisaient voyager dans des paysages déjà délabrés et abandonnés des hommes et des dieux, sans attendre que ceux-ci subissent la destruction par la folie des humains et l’horreur éternelle des guerres.
Xavier Béal
Site : www.oiseaux-tempete.com/