OSSATURA – Maps and Mazes
(ReR Megacorp / Orkhêstra)
Depuis sa formation à Rome en 1995, le trio OSSATURA s’est sans doute plus fait connaître de la sphère des musiques nouvelles et expérimentales grâce à ses performances scéniques et ses collaborations avec des personnalités du genre telles que Tim HODGKINSON, Chris CUTLER, Dagmar KRAUSE, Peter KOWALD, Gendos CHAMZYRYN, Alvin CURRAN, etc., qu’avec ses productions discographiques, qui se comptent sur les doigts d’une main. Du reste, Maps and Mazes n’est que son troisième album. Plutôt que de sortir une profusion d’enregistrements de sessions improvisées plus ou moins consistantes, comme c’est la coutume dans le monde des musiques libres, OSSATURA préfère prendre le temps d’échafauder une œuvre esthétiquement cohérente et pensée dans ses moindres coutures, et à laquelle l’auditeur retournera à plusieurs reprises pour y trouver toujours plus de détails, de climats différents.
Compositeurs perfectionnistes en plus d’être improvisateurs et expérimentateurs, Elio MARTUSCIELLO, Lucas VENITUCCI et Fabrizio SPIRA ont conçu Maps and Mazes comme une fresque sonique aux multiples tableaux et vignettes, élaborée dans la durée selon un minutieux processus de sélection, de découpage, de montage, et de structuration de séquences sonores en apparence disparates, mais dont l’assemblage révèle une profonde continuité atmosphérique. Si vous cherchiez un foisonnement de soubresauts tranchants, de tressaillements dissonants et de convulsions bruitistes, bref un opus pétri de complexité provocatrice, alors passez votre chemin ; Maps and Mazes fait dans la gravure contemplative. Ça ne veut pas dire que tout y est statique et léthargique, loin de là. Mais il est évident qu’OSSATURA invite ici à une écoute immersive.
Les traitements électroniques, synthétiques et informatiques des trois compères sont confrontés à une matière musicale constituée d’instruments acoustiques : piano, orgue, percussions, guitares, accordéon, zither, objets musicaux divers et enregistrements de terrain s’incrustent au sein de textures ouvragées et sophistiquées en constante mutation harmonique et rythmique.
Quelques collaborateurs externes ont de même ajouté des ingrédients supplémentaires, ici un vibraphone (Cristiano De FABRITIIS dans Sea of Thoughts), là une clarinette (Michael THIEKE dans The South et Maps and Mazes), là encore un instrument à vent polynésien (Richard NUNNS dans The Great Lens). Et il y a aussi des voix. Certaines sont samplées (les voix coréennes de The South), d’autres sont venues réciter (Mike COOPER dans The South) et même chanter ! Oui, cet album contient bien une chanson (Acqua), interprétée par Monica DEMURU dans un registre soft-jazz, mais traversée juste ce qu’il faut de parasites intempestifs pour en faire une pièce avant-gardiste et néanmoins accessible qui ne dénote en rien avec les autres pièces.
À bien des égards, cet opus en forme de travelling sonore hypnotique se rapproche des travaux de THE NECKS, voire de BIOTA, mais s’en distingue par son montage. Les treize plages forment certes un continuum, mais ne cachent pas leurs contrastes et affichent leurs cassures rythmiques et climatiques. Et malgré cela, l’écoute n’est aucunement gênée dans son immersion atmosphérique. Tout cela est à la portée des oreilles un tant soi peu disponibles et prêtes à tenter l’évasion attentive.
Les « cartes et labyrinthes » (Maps and Mazes) que déploie le trio italien sont décidément paradoxaux. D’ordinaire, des cartes sont censées aider quiconque à savoir où il se trouve. Mais celles exposées dans cet album servent plutôt à se perdre – agréablement – dans des contrées parallèles. De même, les labyrinthes sont généralement truffés d’impasses, de circuits fermés. Mais ceux que propose ce disque sont plutôt conçus comme des fuites en avant vers des horizons toujours plus étendus. Les territoires défrichés par OSSATURA offrent à écouter les strates du monde en profondeur…
Stéphane Fougère
Label : www.rermegacorp.com
Distributeur : www.orkhestra.fr