O’TRIDAL – Triumvirat

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O’TRIDAL – Triumvirat
(Paker Prod)

Entendez-vous ces cris de jubilation, ces clameurs d’exultation provenant de quelque salle de bal sur le rocher de Bretagne ? Oui, la nouvelle galette d’O’TRIDAL est arrivée pour fêter les sept ans d’existence du combo. Aux touristes égarés qui débarqueraient sans crier gare, il convient de préciser que nous parlons ici de l’un des groupes les plus inventifs et inclassables issu de la scène quimpéroise qui métamorphose la musique à danser régionale en une musique de transe concertante copieusement abreuvée d’inspirations diverses.

Discographiquement parlant, nous avions laissé O’TRIDAL en 2019 avec un premier album, Karrdi Sessions, qui attirait le regard avec son illustration de pochette sur laquelle, à défaut de polochons, les O’TRIDAL semblaient s’être bataillés avec des sacs de farines et s’en étaient mis plein la tronche (même sur leur logo!), sur un fond uni d’un noir profond. Le contraste est flagrant avec l’illustration de pochette de ce second album, dont le fond est impeccablement blanc, à croire qu’il y avait suffisamment de sacs de farine en rab’ pour en foutre plein la nouvelle pochette ! (À moins que ce soit de la neige ? Ou un large rail de…? Euh !… non, j’ai rien dit !) Et comme avec de la farine on peut faire des gâteaux, vu de loin, on jurerait que les trois cercles qui apparaissent en ligne droite sur ladite pochette sont des cookies ou des macarons colorés !

De fait, on est tentés de se dire que ce que montre cette nouvelle pochette s’inscrit dans la droite lignée des événements illustrés par la pochette du précédent album. En bons pâtissiers, les O’TRIDAL continueraient donc à pétrir la pâte musicale qu’on leur connaît, et à en diffuser inlassablement toutes les nuances et variations.

À l’écoute des neuf pièces que contient l’album, cela ne fait pas l’ombre d’un doute et relève d’une logique implacable, compte tenu que la formation n’a pas changé d’un iota et que la combinaison instrumentale est en conséquence restée la même. Tibo NIOBE assure toujours les guitares, Kentin JUILLARD assure la batterie et les percussions, tandis que Yeltaz GUENNEAU s’est concentré sur la flûte traversière en bois, ne la délaissant que pour jouer du doudouk sur un morceau. Par contre, il n’intervient pas, comme dans Karrdi Sessions, à la cornemuse écossaise. Et aucun invité n’a été convié à ajouter un quelconque autre instrument, ni aucune voix, sur ce second album. Ce qu’on y entend est stricto sensu le son de base du trio, flûte/guitare/batterie, point barre. Le bien nommé Triumvirat expose un son pur, carré, resserré, organique, qui colle au plus près possible à celui que le groupe délivre lors de ses performances scéniques et procure l’impression d’écouter quasiment un « live en studio ».

Est-ce à dire qu’on « entend toujours le même son » d’un bout à l’autre disque ? Pour des oreilles pressées, sans doute. Les autres décèleront au contraire dans chacune des neuf pièces du disque une grande variété de teintes, de textures, de thèmes et d’influences, que ce soit dans le jeu de guitare de Tibo NIOBE, tour à tour rock, folk, blues, métal, « lapsteelé », ; les inflexions de la flûte en bois de Yeltaz GUENNEAU, aux saveurs tantôt gaéliques, tantôt orientales, se révélant parfois enjouée, parfois teigneuse, rappelant Jean-Michel VEILLON ou Erwan HAMON ici, Ian ANDERSON (JETHRO TULL) là, voire Roland KIRK à la volée, et bien sûr les frappes de Kentin JUILLARD, qui distillent une pulsation de feu et de flamme à la batterie ou différentes gammes de transe rythmique avec son assortiment de percussions du monde.

Bref, à partir d’une formule a priori minimale, O’TRIDAL ouvre un large éventail de tons, de gammes, de pulsions en renouvellement perpétuel, ce qui confère à chacune de ses compositions une allure de fière farandole échevelée aux inspirations multiples, avec changements de rythmes, de thèmes, inserts, cassures, unissons, contretemps, sans qu’à aucun moment on ne sente une impression de collage superficiel. L’empreinte des danses bretonnes est là, dans le creux de chaque pièce, soit en filigrane, soit appuyée (comme dans N’a pas de rayures) mais déployées dans des mondes sonores fortement bigarrés, aux parfums d’ici et de là-bas (Washdé et sa connotation rock oriental progressif), et aux saveurs d’hier comme d’aujourd’hui (le démarrage très rock n’roll de Sarzhad et son incrustation quasi électro en beau milieu).

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Les compositions de ce Triumvirat sont relativement courtes, entre trois et cinq minutes) mais assez denses et compactes, agissant comme des concentrés d’énergie roborative. Cordes, peaux et vents se « teasent » et s’attisent mutuellement, échafaudent des ébullitions qui se gardent bien d’exploser trop vite et qui sont remisées sur un tapis de grooves tous aussi haletants les uns que les autres.

Le morceau d’ouverture, Confluentia, démontre précisément cette convergence artistique des trois compères de la plus convaincante manière, avec riff torride de guitare, cavalcade percussive et envolées flûtistes. Anaroc (notez la double allusion renversée à une fameuse marque de bière comme à un virus qu’on fait tous semblant d’oublier…) vise le déploiement extatique avec ces volutes flûtées aux consonances irlandaises et aux développements jazzy (avec même un passage qui sonne presque « flûte synthétique »), ces arpèges guitarisques qui volent comme des lucioles, et ces frappes obsédantes de percussions. Lovejoy Boeson cultive une inspiration folk et blues curieusement prise en sandwich, au début comme à la fin, par de bien étranges borborygmes percussifs, et les vibrionnements rythmiques de Don’t Care Hubert font montre d’une ample élasticité qui permettent à la flûte de baguenauder librement sur la route et à la guitare de filer à l’anglaise, ou plutôt à l’américaine, façon country électrique…

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Il y a à la fois de quoi suivre et se perdre dans les compositions d’O’TRIDAL, qui jouent allégrement la carte du brouillage stylistique tout en faisant montre d’une énergie intarissable. Le seul moment de détente se niche comme par hasard dans cette adaptation (la seule) d’un thème traditionnel breton arrangé par l’ex-« penn-sonneur » du Bagad KEMPER, Jean-Louis HENAFF, plus connu sous les titres Eliz Isa ou Enez Eusa, ici devenu Azizilé, auquel la sonorité du doudouk confère un suave écho oriental.

C’est peu dire qu’O’TRIDAL a de la suite et de la verve dans les idées, cela va même jusqu’au choix des titres, qui cultivent au choix l’énigme ésotérique, le non-sens de façade, la variation référentielle, la consonance multi-linguiste, voire la suite conceptuelle. Est-ce par hasard si le morceau L’Ombre d’un zèbre est suivi par N’a pas de rayures ? Doit-on y voir un clin d’œil au Blue and Black Zebra du HAMON MARTIN DUO ? Et pourquoi autant de musiciens bretons font-ils une fixette sur cette référence animalière pour le moins exotique ? Ou bien faut-il comprendre que le manque de rayures est dû à l’apparente fascination d’O’TRIDAL pour les boutons de couleur ? Car oui, on en revient à l’énigme de la pochette, avec ces trois macarons…

Mais on me glisse dans l’oreillette que ces trois cercles sur la pochette de Triumvirat seraient autre chose que des pâtisseries. Il s’agirait en fait de disques de cuivre, traités par le plasticien breton Thomas GODIN. Chacun de ces disques est de couleur différente, et chacune de ces couleurs « encadre », dans un volet intérieur du digipack, le cliché noir et blanc et coupé de moitié du visage de chaque musicien. En observant de très près, on réalise que chaque couleur se retrouve dans l’œil de chaque musicien : jaune maïs-miel pour Tibo NIOBE, rouge brique et cramé pour Kentin JUILLARD et vert boisé et marin pour Yeltaz GUENNEAU. Trois disques de cuivre, trois couleurs, trois musiciens : la métaphore du triumvirat est poussée à bout, traduisant l’alliance alchimique à l’œuvre dans la musique d’O’TRIDAL. Et bien évidemment, le disque lui-même est un « picture-CD » sur lequel on retrouve l’image du disque de cuivre, mais cette fois nimbé des trois couleurs et de leurs variations, traduisant assurément la fusion des forces en présence.

Et pour continuer sur la métaphore alchimique, Karrdi Sessions ayant une pochette au fond noir et Triumvirat une pochette au fond blanc, on s’attend à ce que la pochette du prochain album soit en fond rouge… Vu comment ça chauffe déjà musicalement au sein de Triumvirat, on n’en est pas loin…

Stéphane Fougère

Site : https://otridal.bzh/

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