Paco EL LOBO & SANGITANANDA – Memoria de los Cantes Flamencos – Vol. 1

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Paco EL LOBO & SANGITANANDA – Memoria de los Cantes Flamencos – Vol. 1
(Thalica Records / Buda Musique / Socadisc)

Cet album est la première pierre discographique d’une anthologie consacrée aux « Cantes Flamencos », et dont l’ambition est de présenter 71 styles de chants spécifiques de flamenco (les « palos ») à travers 60 pièces réparties en 5 volumes afin de former une Memoria de los Cantes Flamencos. Pour ambitieux et même un peu fou qu’il paraît, ce projet n’est pas le premier consacré au genre. De l’Anthologie du chant flamenco (Antología del Cante Flamenco) éditée dans les années 1950 en 3 disques vinyles par Ducretet-Thomson en France et Hispavox en Espagne, à la série Grandes Figures du Flamenco (Grands Cantaores du Flamenco), d’une vingtaine de volumes, parue en CD au Chant du monde dans les années 2010, en passant par l’Antología documental de Cante Flamenco y Cante Gitano (1965) et l’Archivo del cante flamenco (1968), les diverses facettes du le chant flamenco ont été déjà dûment répertoriées. Mais ce nouveau projet a ceci de particulier qu’il contient des enregistrements effectués spécialement par un duo, un « cantaor » (chanteur) accompagné par un « tocaor » (guitariste). En soi, l’idée n’est pas nouvelle non plus, mais elle n’avait pas été exploitée depuis un quart de siècle. Une « mise à jour » était donc nécessaire, et ce sont deux artistes vivant en France qui s’y sont collés, à savoir le chanteur Paco EL LOBO et le guitariste SANGITANANDA.

Bénéficiant d’un demi-siècle d’apprentissage et de pratique, Paco EL LOBO a connu un parcours quelque peu atypique. Ayant découvert à huit ans les grands maîtres du flamenco (à commencer par Pepe de LA MATRONA) au Pays Basque avec à la discothèque de son beau-père, Paco s’est vu offrir par ce dernier sa première guitare à 13 ans et, à 16 ans, fugue en Espagne et fréquente les fêtes et les « tablaos » à Madrid, où il fait la connaissance de plusieurs chanteurs vétérans, ce qui l’a encouragé à devenir un « cantaor » émérite. Des légendes comme Rafael ROMERO, Pepe de LA MATRONA, Paco de LUCIA et Juan VAREA l’initient aux arcanes du « cante jondo », le chant profond dit originel, puis Paco complète sa formation en se spécialisant dans le chant pour la danse, afin de parfaire sa maîtrise des rythmes du flamenco (les « compás ») et de ses accompagnements rythmiques manuels (les « palmas »). Camarón de LA ISLA, Enrique MORENTE et Moraíto CHICO figurent aussi parmi ses fréquentations adolescentes.

Son talent exceptionnel l’emmène à travers le monde entier pour dévoiler les diverses facettes de cette musique dans laquelle il a baigné, que ce soit sous forme soliste ou avec des groupes qu’il a créé avec des musiciens, des danseurs et des danseuses. Il s’associe de plus aux projets de personnalités telles que Thierry « Titi » ROBIN (Gitans, Payo Michto) et Marc LOOPUYT et Adel Shams el DIN (Suspiro del moro), est invité à rejoindre les groupes de grands « tocaores » (guitaristes de flamenco) comme Bernardo SANDOVAL, Vicente PRADAL et Pascal GALLO et assure même les palmas pour le flamenco-rockeur Ricky AMIGOS. Tout en participant à plusieurs spectacles et en répondant aux sollicitations d’artistes internationaux hors du flamenco (pour le Jardin andalou de SAPHO, les Identités d’IDIR, l’Éphémère Passion et les Petites Chansons de Marc PERRONE…), Paco EL LOBO a de plus enregistré depuis 1999 quatre albums solo (Grito, Afición, Mi Camino Flamenco et Flamenco) pour Buda Musique.

Sans doute le guitariste SANGITANANDA est-il a priori moins connu, mais il suffit de savoir qu’il se faisait appeler jusqu’en juin 2023 SAMUELITO (de son nom d’origine Samuel ROUESNEL) pour se rappeler qu’on a affaire à l’un des « tocaores » les plus reconnus en France. Ayant démarré la guitare classique à l’âge de sept ans au Conservatoire de Caen, il s’est passionné pour le flamenco, qu’il a travaillé en autodidacte avant de rencontrer quelques pointures comme les frères Paco de LUCIA et Ramón SANCHEZ ou encore Roland DYENS, et s’est forgé un style personnel assez éclectique. Il a notamment joué et enregistré avec un autre jeune prodige français de la guitare manouche, Antoine BOYER (Sonàmbulo), et le guitariste classique Arnaud DUMONT et a monté un projet flamenco-world-jazz, Viajero (un album en 2020 sur le label Le Triton). La récente mutation de SAMUELITO en SANGITANANDA est due à son autre passion, le yoga. (En sanskrit, « sangit » signifie musique et « ananda », béatitude.)

L’association de Paco EL LOBO avec SANGITANANDA s’inscrit dans une logique de communication intergénérationnelle mise au service du patrimoine de l’univers flamenco, à travers la création de cette « mémoire des chants flamencos » à vocation pédagogique, l’ambition des deux artistes étant d’en dévoiler la beauté et la profondeur.

Généralement, les chants flamencos sont classés en trois grandes classes : le « cante jondo » ou chant profond, originel – encore appelé « cante grande » ou grand chant – ; le chant intermédiaire ; et le « cante chico », ou petit chant. Cette classification a pu donner l’impression d’une hiérarchisation en fonction de leur valeur ou de leur intérêt. Il n’en est en fait rien, et Paco EL LOBO et SANGITANANDA s’emploient dans ce disque à démontrer que chaque type de chant flamenco a son intérêt et mérite d’être interprété avec le même respect, le même sens de la profondeur musicale et vocale, sans considération de valeur mineure ou majeure.

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On trouvera ainsi dans ce Vol. 1 plusieurs types de « cante chico » (une « bambera », une « colombiana », une « buleria de Jerez », une « cartagenera », une « alegrías », un « tangos extremeños », une « farruca »), voisinant avec quelques chants intermédiaires (une « liviana y serrana », une « toná », une « malagueña de Chacon y jabera »), un chant religieux andalou repris par le flamenco (une « campanilleros ») et bien sûr du « cante grande » (une « soleá de la Serneta y Álcala »), tous interprétés par notre cantaor et notre tocaor avec un sens du « duende » aussi élevé d’un bout à l’autre du disque. Les différents rythmes (« compás ») spécifiques au flamenco y sont de même exposés : « compás  » à trois, quatre et douze temps, ou bien en « compás » libre.

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Selon les types de chant, Paco EL LOBO et SANGITANANDA sont accompagnés comme il se doit par les « palmas », « jaleos », « cajón » et « nudillos » de Juan Manuel CORTES et Dani BONNILLA, avec la participation occasionnelle de Cristina Rodriguez de TOVAR et Vanessa SANTANA aux chœurs, Ilia ZELITCHONOK aux percussions, Édouard COQUARD à la basse électrique et rien moins que Médéric COLLIGNON à la trompette.

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Les ombres tutélaires de Pepe de LA MATRONA, Camarón de LA ISLA, Fernanda et Bernarda de Utrera, Rafel ROMERO, Antonio MAIRENA, La Niña de los PEINES, CHACÓN, La Perla de Cádiz, et tant d’autres encore, planent sur ce premier volume fort goûteux de cette Memoria de Los Cantes Flamencos anthologique qui s’annonce être un très, très grand cru, tant pour les connaisseurs, les amateurs que pour les curieux et les candides. Le livret trilingue (espagnol, français, anglais) inclus dans ce CD digipack contient des commentaires sur chaque chant et leur traduction, ainsi qu’un lexique du vocabulaire attenant au flamenco.

Quel que soit notre degré de connaissance (ou de méconnaissance) et d’appréciation du sujet, les maîtres de cérémonie ici à l’œuvre portent les résonances émotionnelles du « cante flamenco » à une incandescence qui ne peut que laisser des traces dans nos mémoires. Et ce n’est que le début…

Stéphane Fougère

Label : www.budamusique.com

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