Patrick MOLARD – Deliou
(L’OZ Production / Naïve)
Il n’a pas suffit à Patrick, Jacky et Dominique MOLARD d’être frères par le sang, il a fallu qu’ils soient aussi complices dans la musique. Bien souvent, dans un groupe, un frère MOLARD peut en cacher un autre. Mais les trouver tous les trois réunis sur le même disque, c’est comme trouver une perle rare. En voici une ; elle s’appelle Deliou et devrait faire date dans le champ de la musique bretonne de pointe.
Il faut souligner ici l’osmose entre la part de création et la part de production, qui atteignent toutes deux d’enviables sommets. Ce n’est plus de l’art, c’est de la magie. Non seulement Patrick MOLARD confirme, s’il fallait encore le faire, ses immenses compétences de sonneur à la cornemuse écossaise, au uillean pipe et au biniou, mais Jacky MOLARD a indéniablement su trouver le « vernis » adéquat (celui qui ne se contente pas de reluire, mais qui agit tel un filtre vecteur d’énergie) pour mettre en valeur les neuf pièces, traditionnelles ou composées, de cet album.
De plus, les frangins ont le chic pour trouver les partenaires qui conviennent. Ainsi, on se régale d’entrée de jeu avec un Porz Kloz décoiffant (attention les bigouden !) où Patrick MOLARD, au biniou, joute avec le talabardeur Yves BERTHOU. Plus loin, c’est le piper Mick O’BRIEN qui répond aux small pipes de Patrick.
Dominique MOLARD époussette ses tablas, darboukas, sanzas, caxixis et grosses caisses harmoniques comme autant de drapés fins et élégants aux senteurs transcontinentales, tandis que les guitares, violons, mandolines et basses de Jacky MOLARD tissent le plus souvent de diaphanes nappes, flottantes ou éthérées sur lesquelles viennent parfois s’accrocher les cordes agiles de Jacques PELLEN, qui a lui aussi assuré une bonne partie des arrangements. On appréciera ses jets d’électricité sur Flame of Wrath for Squinting Patrick, un thème de pibroch aussi rare que violemment beau (violemment, oui, c’est le mot !), ainsi que ses « acousticités » funambules dans Bloavezh Mad.
Dans tous les cas, le travail d’adaptation fait ressortir de splendides reliefs émotionnels, mais le summum est sans doute atteint avec les éblouissantes performances vocales, sur deux titres, de la chanteuse Kalinka VULCHEVA, soliste du MYSTÈRE DES VOIX BULGARES et des CHŒURS DE RADIO SOFIA. Sa présence, sur cet album, est une bienheureuse surprise pour les oreilles avides d’expériences audacieuses et raisonnées.
N’avait-on pas encore soupçonné de possibles rapprochements entre la musique celtique et la tradition bulgare que la preuve nous est donnée ici de la viabilité de l’entreprise. Outre que les deux airs bulgares que Patrick MOLARD et Mick O’BRIEN interprètent avec un entrain contagieux se fondent merveilleusement bien parmi les autres thèmes de l’album, la confusion est à son comble quand la diva bulgare, sur le morceau qui porte son (pré)nom, se met à chanter en vannetais sur un thème qui aurait pu être bulgare mais qui est en fait breton et finit par rechanter en bulgare sur ce même thème ! Et tout cela comme une lettre à la poste (un jour sans grève, bien sûr). Quant au morceau Deliou, où la plainte vocale double celle de l’ueillean pipe, il semble accréditer l’existence d’un certain état de grâce.
Contre toute attente, Patrick MOLARD opère avec cet album des métissages d’autant plus pertinents qu’ils ne sont ni forcés ni systématiques et encore moins conceptuels. Il n’en faut pas plus pour proposer une musique bretonne mature et éclairée.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°6 – juillet 2000)
Page label : www.lozproduction.fr/fr/cd/patrick-molard/43-deliou.html
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