PÊCHEURS DE PERLES
Les Nouvelles Richesses musicales du Golfe Persique
Mohamed ALMUNA, musicien originaire d’Irak, a fondé les PÊCHEURS DE PERLES en 1997. Ces perles, il les tient en partie de ses racines irakiennes, du oud et du chant traditionnels, redécouverts après l’apprentissage de la guitare jazz en Europe. Les PÊCHEURS DE PERLES sont nés de sa rencontre avec Mathias AUTEXIER, né dans les Alpes de Haute-Provence et pratiquant les percussions orientales. Le nom du groupe fait évidemment référence à la pêche à la perle qui s’est pratiquée sur le pourtour du Golfe Persique, mais symbolise également le fait d’aller chercher des « perles » d’Orient, des perles musicales bien entendu. Les PÊCHEURS DE PERLES réinventent à leur manière les musiques du Golfe Persique. La sortie de leur troisième album, Wahed, sur leur label Muance Productions, nous a permis de mieux faire connaissance avec le groupe et d’aller « pêcher » de plus amples informations sur son parcours.
Les autres perles découvertes lors de la formation du groupe sont Catherine ROY qui, après avoir suivi une formation classique à Nancy, a choisi l’accordéon avec les musiques klezmer et de l’Est (elle est également danseuse) et Olivier MILCHBERG, producteur et multi-instrumentiste (flûte, bouzouki, contrebasse, programmations, etc.), de racines juives et argentines, puis Zhubin KALHOR, d’origine iranienne qui, après avoir étudié le kamanché et le daff, a pratiqué la musique indienne puis le jazz.
Un premier album, Madad, a vu le jour en 2001. La musique du groupe y est alimentée des influences de ses musiciens, dont le dialogue musical nous entraîne dans un univers personnel aux teintes multiples. Il témoigne d’une rencontre humaine chaleureuse et motivée. Onze compositions y célèbrent le Golfe persique en tant que carrefour des cultures arabes, orientales, indiennes et méditerranéennes. Mais le but des PÊCHEURS DE PERLES étant de s’enrichir davantage (toujours de perles musicales, précisons), le groupe participe aussi à différents projets (l’album Nawah de Françoise ATLAN et Moneim ADWAN, Ciel sans passeport de Marc LOOPUYT, B.O. de film…). C’est suite à la rencontre avec Moneim ADWAN, chanteur et joueur de oud originaire de Palestine, que naît le projet du deuxième album, Motayem, portant le nom de la fille de Moneim (ce disque a débuté le jour de sa naissance).
Motayem (l’album) est né grâce à la résidence au Chantier à Correns, qui a permis un spectacle fort remarqué aux Joutes Musicales de Printemps, le festival de Miqueù MONTANARO, sans Catherine ROY mais avec la participation de Zhubin KALHOR, percussionniste iranien.
Motayem, qui signifie « ivre d’amour », rend parfaitement cette ambiance d’ivresse, avec ses chants plaintifs, ses chœurs et claquements de mains jusqu’à l’extase (Salli, une louange au prophète, et Halli Hal, une suite de chansons traditionnelles irakiennes et palestiniennes) accompagnés par l’accordéon (Salli), ses percussions… de l’ivresse à la transe,en passant par la joie qui a fait danser les festivaliers des Joutes Musicales lors de leur prestation. Des programmations, loin de ternir l’ensemble comme c’est parfois le cas dans certains projets, ne font que rehausser à petites touches les sentiments qui se dégagent de ce disque.
Quelques invités sont venus prêter main forte aux PÊCHEURS DE PERLES, à la clarinette, aux saxophones pour des ambiances légèrement teintées de jazz, au violoncelle, à la basse sur un titre, et Bijan CHEMIRANI aux percussions.
Après avoir si bien rempli leur barque d’autant de trésors avec cet excellent Motayem, les PÊCHEURS DE PERLES ont travaillé sur une nouvelle création, Wahed, qui signifie « l’unité » en arabe, avec le musicien iranien Zhubin KALHOR, et ont repris la mer pour une création itinérante déjà entamée en 2004, Sur les routes de la soie, en Turquie, Syrie, Jordanie, Égypte et Grèce.
Des voix d’enfants ouvrent l’album pour le premier titre, Yassou, qui est le nom d’un petit garçon. La voix et les textes de Mohamed ALNUMA (qu’il a écrits ou qui sont des traditionnels), évoquent avec chaleur des êtres chers, la vie, les racines, la création, la destinée… Les compositions de Mohamed ALNUMA (chant, oud), Olivier MILCHBERG (bouzouki, flûte ney, contrebasse…) et Mathias AUTEXIER (percus), parviennent à assembler tout au long de ce disque, tel un collier de perles colorées, la beauté, la tendresse, la joie, la mélancolie, la joie, l’enthousiasme, l’ivresse… Le chant ne ménage pas non plus ses sentiments.
La diversité des instruments utilisés par le groupe et les arrangements offrent de multiples sensations : le oud tisse des mélodies, l’accordéon de Catherine ROY sait se faire plaintif ou dansant, le kamanche (violon iranien) de Zhubin KALHOR et la flûte ney illuminent l’horizon, la contrebasse fait vibrer et assombrit parfois, les percussions apportent la transe, ainsi que les claquements de mains qui rythment plusieurs morceaux.
Des invités viennent apporter quelques couleurs supplémentaires (à la basse, au saxophone, au guembre, aux carcabas), ainsi que Moneim ADWAN que l’on retrouve au chant sur Abaïda). Zhubin KALHOR, qui n’a rejoint le groupe qu’après leur rencontre à Istanbul en 2002, réalise avec Mohamed ALNUMA un arrangement de toute beauté sur un traditionnel, Hafi.
Wahed conforte l’impression qui se dégageait de Motayem : les PÊCHEURS DE PERLES forment désormais une « unité » illuminant notre paysage musical.
Entretien avec Mathias AUTEXIER et Olivier MILCHBERG
Mathias, vous êtes l’un des trois fondateurs du groupe, avec Mohamed et Catherine. Comment s’est faite la rencontre entre le oud, les percussions et l’accordéon ? Quel a été le style de vos premières compositions ? Comment avez-vous rencontré les autres musiciens du groupe ?
Mathias : Nous avons d’abord commencé par jouer des chansons traditionnelles et des compositions de Mohamed, le style n’était pas encore précis, il y avait aussi beaucoup de morceaux asymétriques d’Europe de l’Est apportés par Catherine. Le oud et l’accordéon ça se marie plutôtbien, deux textures sonores bien différentes ; vous rajoutez un zarb et un daf (percussions) et déjà un bel univers est créé. Bien sûr au début, on ne pensait pas vraiment à la scène et donc nos morceaux étaient beaucoup trop longs et pas très musclés… Avec le temps et la demande, nous avons fini par jouer sur scène et c’est ainsi que la rencontre avec Olivier d’abord et bien plus tard Zhubin a eu lieu.
Olivier, vous faites également partie de LOS INCAS, fondé par votre père. Qu’est-ce qui vous a fait choisir les musiques orientales plutôt que celles d’Amérique Latine ? Qu’est-ce qui vous a motivé pour faire partie des PÊCHEURS DE PERLES ?
Olivier : J’ai effectivement débuté dans le folklore sud-américain. J’ai beaucoup appris avec mon père, fait des tournées internationales et enregistré de nombreux disques avec lui. Puis, j’ai eu envie de me tourner vers d’autres musiques traditionnelles, et les musiques orientales sont parmi celles qui me touchent le plus. Je les ai abordées avec une approche personnelle, sans vouloir imiter des musiciens qui les ont dans le sang depuis toujours, mais plus dans une optique globale, en tant qu’arrangeur.
Votre premier album, Madad, date de 2001. Il s’est passé trois années avant le suivant, Motayem. Entre-temps, le groupe a énormément évolué et pris de l’assurance, sur disque comme sur scène. Le concert que vous aviez donné à Paris au Festival Planètes Musiques, à l’époque, montrait une certaine timidité. Avez-vous beaucoup joué sur scène ? Quels sont les éléments qui ont permis cette évolution ?
Olivier : Je ne sais pas ce que veut dire beaucoup jouer sur scène. Nous tournons surtout l’été, principalement en France. Cet hiver, nous avons passé un mois en Inde à trois (Mohamed, Olivier, Zhubin). C’était une sorte de résidence, pour travailler un nouveau répertoire, et nous donnions des petits concerts dans des clubs et des restaurants. L’expérience a été très riche et nous comptons y retourner avec le groupe complet l’année prochaine.
Je pense que la timidité dont tu parles à Planètes Musiques venait du fait que nous n’étions pas très à l’aise dans la formations de l’époque, et sûrement pas à l’aise avec les conditions techniques du lieu… Dans ces cas-là, nous avons moins de présence sur scène et nous paraissons plus froids. Lorsque l’on joue dans un lieu où on est vraiment à l’aise, où l’on sent le public avec nous, c’est vraiment différent. On se sent bien avec le public, et il y a une convivialité entre nous.
Mais c’est sûr que tout ça a évolué petit à petit. Aujourd’hui, la formation à cinq musiciens nous convient bien, nous nous entendons très bien artistiquement et humainement.
Cela a-t-il eu de l’importance pour vous de jouer à Paris ? Quels sont les endroits où vous vous produisez le plus sur scène ?
Olivier : Les petits lieux à Paris ne nous plaisent pas du tout, nous y sommes très malheureux ! Je ne vais pas citer de noms, mais toutes nos expériences ont été mauvaises, à cause du son, des salles, je ne sais pas… Lorsque l’on joue dans un café à Istambul ou dans une boîte à Athènes, la magie opère à chaque fois ! Le public répond et, du coup, nous donnons le meilleur de nous-mêmes.
Quel est l’apport de chacun dans les compositions et les arrangements ?
Olivier : C’est un travail collectif. Mohamed est la source : il apporte soit des thèmes traditionnels, soit des compos. Puis, nous adaptons en sembles, choisissons une direction : soit on conserve une ambiance acoustique, proche de la musique traditionnelle, soit, on part dans une direction plus musique actuelle. Nous travaillons beaucoup en studio ; l’enregistrement est pour nous un miroir qui nous permet d’avoir du recul, de pouvoir juger si ça nous convient, et d’avancer.
Quelles sont vos sources d’inspiration, notamment pour les textes ?
Olivier : Mohamed s’inspire souvent de textes soufis d’un poète Perse du Xe siècle : Al HALLAJ. Puis il compose les mélodies, que nous retravaillons ensembles. Il écrit aussi parfois des textes sur ce qui le touche, comme une chanson sur son pays (l’Irak), ou une chanson sur son fils Yassou. Nous aimons aussi composer à plusieurs.
Dans votre deuxième album, Motayem, vous avez un invité de marque : Moneim ADWAN. Comment l’avez-vous rencontré ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler ensemble ?
Olivier : Nous avons rencontré Moneim à Correns, alors qu’il jouait avec Michel MONTANARO. Mohamed et Moneim ont réalisé que leurs cultures d’origines étaient très proches : Irak et Palestine ont un répertoire musical populaire commun. Et en plus ce sont des pays qui ont des situations politiques très difficiles tous les deux. Nous avons eu donc l’idée de faire un disque rencontre entre Mohamed et Moneim. C’était une manière de montrer les richesses des cultures de ces pays, et aussi, une façon de soutenir Moneim, qui est un grand chanteur et qui n’était pas encore connu en France.
Nous avons été aidés par le « Chantier », centre de résidence de Correns, et avons pu faire intervenir d’autres musiciens comme Bijan CHEMIRANI, Georges MAS, Léonore GROLLEMUND…
Vous aviez à l’époque mis en place une souscription pour sortir l’album ?
Olivier : Non, ce n’était pas une souscription : le CD était en retard et lorsque nous avons fait la première, il n’était pas paru. D’où un bulletin de commande qui était distribué sur le festival. Il est paru chez Buda musique, de même que Wahed, le dernier.
Pour Wahed, votre troisième album, avez-vous procédé de la même manière par une création sur scène ?
Olivier : Wahed est une toute autre aventure. Le disque a été commencé il y a plus de quatre ans, c’est-à-dire AVANT Motayem (le deuxième). ça veut dire que le projet Motayem (rencontre avec Moneim) est venu se greffer alors que nous n’avions pas fini Wahed ! Nous avons pris plus de temps pour Wahed, parce qu’on cherchait une direction, un son d’ensemble, et une façon de travailler qui ont pris du temps. Pour Motayem, c’était un projet clair, une rencontre et un répertoire bien défini, donc ça a pu se faire plus vite. Wahed est marqué par l’arrivée de Zhubin, musicien Iranien ayant passé toute son enfance en Inde. Nous l’avons rencontré alors que nous jouions à Istanbul, le contact s’est fait spontanément ; c’est une très belle rencontre. Mohamed et lui ont également trouvé beaucoup de sources communes dans les musiques d’Iran et d’Irak.
Moneim ADWAN est présent sur Wahed en qualité d’invité. Fait-il un peu partie du groupe ?
Olivier : Le titre dans lequel Moneim chante sur Wahed a été enregistré lorsque nous enregistrions Motayem. C’est un peu un échange de services… Après, Moneim a continué sa route. Il a donné un concert solo au festival de Fez, ce qui est une belle reconnaissance pour son talent. Et nous souhaitons de tout cœur qu’il rencontre le succès qu’il mérite.
Quels sont les en droits où vous jouez le plus ? Avez-vous déjà joué en Irak et en Palestine ?
Olivier : Nous jouons surtout en France. Nous développons et cherchons actuellement des contacts en Angleterre, Allemagne, Hollande. Nous allons souvent à Istanbul et Athènes, soit pour des concerts, soit de manière plus informelle. Je suis allé jouer en Palestine en 1999, et ça a été un choc pour moi de rencontrer ce pays et cette situation complètement absurde. Pour ce qui est de l’Irak, personne ne nous le conseille. Le jour où ce sera possible, ce sera volontiers.
Est-ce facile pour un « jeune groupe » comme le vôtre de trouver des dates en France actuellement, et de rester intermittents ?
Mathias : Déjà, nous ne sommes pas si jeunes !!! Déjà cinq ans que notre premier disque est sorti, et sept ans que nous jouons sur scène, ça commence à faire. Il y a des années fastes aux dépend de l’énergie que nous mettons dans la promotion et le démarchage des concerts ; le problème est surtout d’être musicien, producteur de disques et en plus d’avoir du temps à consacrer pour la prospection… Bien sûr, nous avons notre tourneur Lyne TATEOSSIAN qui s’occupe de nous, mais le problème c’est que nous ne sortons pas un disque par an, ce qui laisse des trous dans la promotion et donc une réelle difficulté à intéresser les organisateurs de concerts…
Rester intermittent, n’est plus vraiment d’actualité, Catherine, Mohamed et moi nous sommes déjà dans le système du fond transitoire (surnommé « le fond sans histoire ») et étant donné l’évolution du statut de l’intermittence (que le Medef compte faire disparaître). Aujourd’hui la problématique est plus grave : comment trouver un métier compatible avec la musique… Pour continuer, s’améliorer et concrétiser nos projets musicaux.
Vous avez également un label, Muance. Quels sont les avantages pour un groupe d’avoir son propre label ?
Olivier : Je m’occupe personnellement de Muance Productions depuis quinze ans. J’ai toujours aimé partager mon activité entre musicien et producteur. L’aspect artistique de la production me passionne autant que de jouer moi-même : ça me donne l’occasion de rencontrer des musiciens fantastiques, c’est très enrichissant.
Muance n’est pas un label dans le sens où nous nous occupons que de la production des disques, puis c’est le label à proprement parler (Buda Musique à Paris), qui s’occupe de la promotion et de la distribution. Mais nous sommes considérés un peu comme un label, parce que nous avons produit depuis quinze ans un ensemble d’albums avec une intention et des critères de choix rigoureux et constants, ce qui constitue une sorte de catalogue.
Comment choisissez-vous les groupes que vous produisez ?
Olivier : J’écoute mon cœur. Je n’écoute pas les lois du marché ou les modes. Ce qui fait que mon activité n’est pas rentable.
Seriez-vous tenté de créer une structure telle que celle de MONTANARO (label, festival, lieu de création…) ?
Olivier : Je suis effectivement impressionné par la structure de Michel MONTANARO : il a su définir des objectifs clairs, il a su bien s’entourer, et il est très fort en communication. Mais ce n’est pas ce que je veux faire, je veux pouvoir rester à petite échelle et me sentir libre de réaliser ce que je sent, ou, de temps en temps, collaborer avec des structures comme le Chantier, sur des projets précis.
Quels sont vos projets ?
Olivier : Pêcheurs de Perles : Continuer, évoluer, faire de nouvelles rencontres, travailler sur notre prochain disque, vivre heureux…
Que pensez-vous, en tant que musiciens et label, du P2P ? Le label souffre-t-il de cette mode ?
Mathias : Le peer-to-peer n’est préjudiciable qu’aux maisons de disques, et en fait pour les musiciens il est plutôt positif ; c’est un nouveau moyen de diffusion de la musique et donc de sa popularité ; un musicien populaire est un musicien qui joue en concert, c’est un cercle vertueux pour les artistes…..
Il faudra sûrement trouver un autre moyen de rémunérer la production et l’édition de la musique enregistrée, voilà le prochain défi des maisons de disques.
Olivier : La musique est faite pour être communiquée, pour voyager. Lorsque nous voyageons et rencontrons des musiciens, nous échangeons de nouveaux morceaux et revenons avec plein de richesses. Une autre manière de voyager est par le P2P, c’est naturel de pouvoir échanger de la musique.
Après vient l’aspect financier : nous ne sommes pas des businessman, nous cherchons seulement à pourvoir vire de la musique. Si nous arrivons à tourner suffisamment, cela est possible. A notre niveau, nous n’avons jamais vraiment gagné d’argent avec les ventes de CD, donc ça ne change pas grand chose. Ce sont ceux qui gagnaient beaucoup d’argent qui râlent !
Être riche pour un musicien, c’est être passionné. Nous sommes riches !!!
Article et entretien réalisés par : Sylvie Hamon
– Photos: Sylvie Hamon (Festival Joutes Musicales de Correns,
« Motayem », 2004) et collection Pêcheurs de Perles
Site : https://pecheursdeperles.com/fr/influences/
(Article original publié dans ETHNOTEMPOS n° 20 – Mars 2006
sauf chronique CD Motayem : ETHNOTEMPOS n° 17 – Juin 2005)