Peter HAMMILL – From the Trees
(FIE ! Records)
C’était fatal ! Après avoir accouché d’un album (au choix…) abstrus, filandreux, exigeant, nébuleux, conceptuel et faramineux il y a trois ans, Peter HAMMILL nous revient avec un disque de… chansons ! De simples chansons, aux antipodes de celles, mutantes et disloquées au sein d’un écheveau hyperbolique de film noir expérimental, que l’on pouvait trouver dans les versions Ciné et Songs de …All That Might Have Been… Ça ne signifie évidemment pas qu’elles sont accrocheuses pour le premier candide venu. Si vous avez raté les épisodes précédents, ne venez pas vous plaindre…
La dizaine de chansons contenues dans ce trente-cinquième opus ne cherchent pas à dérouter, ni à bousculer les codes ; elles relèvent de la fabrication hammillienne la plus typique, sans extrapolation technique ou thématique. Un album de plus ? Oui, mais qui tombe bien, et même au bon moment.
Car on avait fini par s’inquiéter de voir Peter HAMMILL, au cours de la dernière décennie, s’échiner à transmuter la moindre chanson en un terrain d’expérimentation tirant vers la dissonance « ambiancée » ou le « soundscape » vocalisé, pour finalement aboutir à un inextricable maelström de textures soniques dans lesquelles tournoyaient de spéculatives sentences délestées de tout affect et de toute griffure émotionnelle, laissant l’auditeur noyé dans une narration distanciée qui racontait moins d’histoires qu’elle ne s’interrogeait sur sa forme et sa raison d’être.
Ce n’est pas du persiflage que de parler, au sujet du contenu de ce nouveau disque, de « petites chansons », car c’est bien de ce dont il s’agit. Qu’on n’attende pas de chansons épiques ou labyrinthiques, ou même « progressives » : hormis trois d’entre elles qui dépassent les cinq minutes, leur durée s’inscrit pour la plupart dans une fourchette entre trois et quatre minutes, soit le format idéal pour être diffusées en radio. Sauf qu’elles ne passeront pas à la radio. C’est du Peter HAMMILL, quand même ! Donc pas le genre à distraire le peu de temps de cerveau disponible des bouffeurs de Nutella.
Les chansons gravées dans ce disque tendent à l’épure, à la concision, à la lisibilité, mais la signature stylistique du « thin man » des années 2000 y est manifeste : mélodies alambiquées, textes à double, voire triple fond, penchants dissonants, superposition de cordes et de claviers, quelques chimères électro-acoustiques, et toujours ces voix fantômes déclinées en chœurs, en échos, en doublures ou en réponses, en surlignage ou entremêlées, car chez Peter HAMMILL, « Je » peut toujours être un autre et on ne sait jamais s’il chante ou si « on » le chante. Mais lui ne nous fait pas chanter.
Cette grammaire, on la connaît fort bien, mais la façon dont elle est déclinée dans From the Trees évite la surcharge et l’encombrement. Les arrangements font montre de dosages assez équilibrés, mesurés, donnant l’impression d’un dépouillement de surface tout en relevant d’un polissage fort minutieux. C’est comme si on avait affaire à des prises « live » que l’on aurait serties en studio pour en accentuer la force émotionnelle tout en les adaptant à une écoute domestique.
Du reste, certaines de ces chansons ont été jouées sur scène avant d’être enregistrées. Et depuis la sortie du disque, elles ont TOUTES été interprétées en concert. C’est je crois la première fois que l’intégralité des chansons d’un disque de Peter HAMMILL sont jouées (et jouables) sur scène. Ces nouvelles chansons assument donc leur statut et leur fonction, laquelle consiste notamment à regarnir le stock de nouveautés du répertoire live de l’artiste qui risquait sinon de tourner autour des mêmes pots (même si, concernant Peter HAMMILL, il faut plutôt parler de marmite, voire de malle aux trésors…).
Et puis, accessoirement, il fallait rassurer la « fan base ». Non que Peter HAMMILL ait l’habitude de sortir des albums contractuels ou calculés en fonction de perspectives platement matérialistes ; mais même le « fan ultra » prêt à relever le défi artistique le plus pointu et ardu de son inspirateur de prédilection est tôt ou tard bien content de déguster une bonne plâtrée de chansons plus identifiables, reconnaissables, voire « confortables », du moment qu’elles relèvent d’une certaine inspiration.
Celle de From the Trees puise à l’intarissable source de l’éphémérité du temps et des marques qu’il laisse sur les âmes et les trajectoires humaines. Peter HAMMILL est bien conscient qu’il se retrouve aujourd’hui dans la peau du personnage qu’il chantait il y a plusieurs années dans… Autumn ! Cette saison de la vie est généralement marquée par une pesanteur ; le poids du passé pousse à regarder comment nos rêves se sont transformés involontairement en poussière (My Unintended). C’est l’époque des regards plus insistants dans le rétroviseur (Girl to the North Country, ou comment l’échec d’une relation est ausculté juste pour s’assurer qu’elle n’aurait pas pu aboutir autrement).
L’automne d’une vie doit également faire face à ce qui l’attend par la suite : What Lies ahead commence par éplucher les « D », « Deface, Devalue, Delete, Defer, Downgrade… », comme autant de synonymes de… Déclin. Le crépuscule est en vue, mais à force de vouloir le voir plus loin, on peut ne pas réaliser qu’il est peut-être déjà là, en dépit de tous les prodromes que l’on peut déceler à plusieurs niveaux : physique, émotionnel, intellectuel, ou simplement moteur. On est en proie au ralentissement, qui devient impératif si l’on veut s’économiser : « I find it hard to breathe (…) I find it hard to speak », chante Peter dans ce simili-tango qu’est Torpor, qui se paye le luxe d’être simple et accrocheur tout en distillant une indicible sensation de malaise.
Les personnages et les situations dépeintes dans les chansons de From the Trees dressent un état des lieux de cette étape existentielle à laquelle leur auteur est parvenu. Les lumières de phare de l’ascension sociale, de la réussite et du succès artistique, sont devenues des lucioles en quête d’un tombeau, c’est elles qui sont interrogées dans Charm Alone, aux cordes acoustiques tendues, ou encore dans les notes de piano valsantes de Reputation, tandis qu’Anagnorisis pointe le moment où le rôle qu’on s’est construit, l’image qu’on a donnée, n’ont pas plus de consistance que du papier mâché. C’est aussi l’artiste qui se demande si son identité a encore une quelconque substance dès lors qu’il a la sensation de ne plus être compris ou même écouté (Milked, On Deaf Ears).
Et c’est l’évocation d’un fait divers tragique, celui de la disparition d’un(e) alpiniste (inspiré par l’histoire du couple ARSENTIEV, parti il y a vingt ans grimper au sommet de l’Everest sans oxygène) qui sert de métaphore à Peter HAMMILL pour avertir que l’ascension existentielle est par nature transitoire, et qu’elle ne dure pas. Non anticipée, la chute est toujours rude… et magistrale ! The Descent est un grand cru hammillien, et ne pouvait que servir d’épilogue à cette galerie de perles aux allures d’examens de conscience.
Avec son précédent album, Peter HAMMILL s’était enfermé dans une tour d’ivoire ; on le retrouve dans celui-ci observant le monde d’un avant-poste provenant… « des arbres ». Il est donc toujours dans une situation d’ »élévation » (de ses sujets), mais il est sorti prendre l’air ; et ça fait la différence. Il y a des arbres qui cachent la forêt, ceux de Peter HAMMILL permettent de la regarder d’un œil plus avisé.
Des arbres, il y en a plein dans le livret qui accompagne ce disque, certains jouissent même d’une abondante floraison. Mais singulièrement, la photo choisie comme illustration de pochette verso montre une porte (de grange ? de garage ?) faites de planches de bois vermoulues, sur lesquelles un petit malin a écrit à la craie « From the Trees ». C’est le contre-emploi parfait, à la fois peu rassurant mais intrigant. On est bien chez Peter HAMMILL, ici et maintenant. Et paradoxalement, c’est quand il chante le déclin qu’il ne signe pas le sien !
Stéphane Fougère
Site : www.sofasound.com
Label (pour la version vinyle) : https://www.burningshed.com
Merci pour cet article, passionné, passionnant fait avec un recul et un humour nécessaire, Peter Hammill dans ses concerts, entre deux chansons (évidement pas pendant) met cet distance (avec humour et sourire) qui permets de respirer avant de replonger dans les méandres de ses histoires. Merci !