Philippe DORAY & LES ASOCIAUX ASSOCIÉS − Le Composant Compositeur

214 vues

Philippe DORAY & LES ASOCIAUX ASSOCIÉS − Le Composant Compositeur
(Souffle continu)

Souffle Continu label bien connu, très « soufflu » mais pas encore trop joufflu, avec pourtant déjà 89 sorties (dont une quinzaine en format CD) à son actif depuis 2014, a réédité en 2020 les deux albums de Philippe DORAY, parus tour à tour sur le label Gratte-Ciel en 1977 : Ramasse Miettes Nucléaire (FFL 058) – compagnon de catalogue à l’époque du premier album d’ÉTRON FOU LELOUBLAN Batelages – ainsi que le deuxième intitulé Nouveaux Modes Industriels (FFL059), daté lui de 1980 et paru chez Scopa Invisible dont le catalogue riche de 21 productions lui permettait d’avoir pour voisins ZNR, ILITCH (10 Suicides) et La Perversita (sorte d’OVNI « one shot » de Hector ZAZOU et compagnie) entre autres.

Philippe DORAY et ses ASOCIAUX ASSOCIÉS (on avait l’imagination en matière de noms de groupes vaguement fertile, pas trop regardante et sans étendards à double fonds à cette époque) a poursuivi sa carrière en se rapprochant de plus en plus de Thierry MÜLLER (très bon choix) dès 1980 pour son album 10 Suicides (DORAY est le premier à qui est dédié l’album, avant Albert (EINSTEIN), Sigmund (FREUD), France (GALL !), Brain (ENO) et Papa (Noël), c’est dire…) et en collaborant en 1984 pour le projet Inaudible, ainsi que CRASH (hommage à J.G BALLARD, au post punk/no Wave/indus… et à Warm Leatherette de THE NORMAL sur le label Poutre Apparente, un vrai programme), pour Pile ou Face (relatés dans Rare & Unreleased 1974-1984 – sorti sur Fractal Records – de ce Thierry M aux multiples facettes en mode romantique, industriel ou « Périodik mindtrouble »), sans compter les multiples apparitions au chant et aux textes, notamment sur le titre Polaroid/Roman/Photo sur l’album Ruth de 1984 et l’inoubliable « mais c’est toi qui mets les mots dans les bulles, somnambule », ainsi que sur d’autres albums futurs du timide (ou plutôt réservé) musicien toujours en activité et qui attend toujours sa Mabelle et qui nous a enchantés depuis deux ans de ses livraisons, soit ILITCH PTM Works 2 et sa collaboration avec Pepe WISMEER pour l’extraordinaire l’Écho des chiens dans le sang de la Tactique, titre dont on cherche toujours le sens caché (ou pas).

Après les morceaux éparpillés et réassociés des deux albums et surtout Page de magazine et Chant magnétique, tous deux fleurons incontournables du deuxième, Philippe DORAY semble avoir abandonné la compétition tout en continuant à enregistrer avec Laurence GARCETTE des saynètes et des rythmiques mécaniques comme il sait très bien les faire.

Philippe DORAY continue donc, mais de plus loin et plus discrètement, dans cette veine de musiques électroniques minimales en rejoignant le club des amoureux héritiers à la française ou anglaise (MÉTAL BOYS, VIDÉO AVENTURES, AKSAK MABOUL, etc.) du krautrock en marge (NEU!, FAUST) et en s’éloignant des Jeunes Gens dits Modernes, alors que chronologiquement (depuis 1977 tout de même) DORAY et MÜLLER en sont le noyau dur et décalé depuis les débuts de ce courant musical très français.

Philippe DORAY a même eu des aventures quasi extra-musicales avec Laurence GARCETTE, qu’on retrouve sur ce dernier album, adepte multicarte de la musique gyrophonique, courant difficile à définir sinon à écouter paisiblement.

L’album (vinyle) lui-même empli de huit inédits, court sur la période 1984 – 1988 et trace la collaboration quasi-totale de Philippe DORAY et de Laurence GARCETTE, alors que le CD de 10 morceaux démarre en 1980 (la période 1 ?) avec Sous le moi (saoule moi) et se poursuit par Dans le Dédale et Générique deux morceaux de Crash (1983). Les Souffle Continu quant à eux, ont eu la bien bonne idée de séparer les inédits « purement » ASOCIAUX sur le vinyle et les autres sur le CD qui sont eux à rapprocher du Rare & Unreleased d’ILITCH pour former un patchwork définitif de près de 50 minutes sur le supplément bonus.

Sur ce Composant Compositeur, troisième et vraisemblablement ultime effort du musicien, on assiste à un florilège de synthétiseurs de tous genres (EMS AKS, Farsifa, Korg, Roland, VCS3, Vocoder etc.) de musiques analogiques agrémentées de guitares, de claviers, de cuivres et de basses pour soutenir avec les percussions, cette voix décalée, pressée, un peu embrouillée qui scande, martèle et chuchote de manière un peu brutale et désaccordée des textes (tous de DORAY) qui cherchent à s’échapper de la tristesse sombre, flottante des flippeurs, des miroirs et des fantaisies hallucinées (Flash Back et ses déclinaisons de couleurs hypnotiques, probable clin d’œil au dernier degré et essoufflé à Dashiell HEDAYAT et son Obsolète). Poursuivent quelques valses extatiques, un peu délabrées et brinquebalantes et on arrive au robotique et entêtant Composant Compositeur (bien écouter les deux versions pour comparer avec celle du CD bien plus ouvragée de 1986).

Toutes ces petites chansons « électro-schizo » plutôt bien ordonnées montrent les progrès que Philippe DORAY a faits depuis ses deux premiers albums, assemblages rudimentaires de boîtes à rythmes jamais glaciales, toutefois sans abandonner ses obsessions et ses fantaisies (rock bancal et hybride, swings hallucinogènes, chant approximatif et martelé), tout ce décalage un peu robotique et faussement naïf mais surtout bien étudié et qui s’élargit lors de ses collaborations avec Thierry MÜLLER (qui apparaît en compo-visiteur sur trois titres du CD) sont un des intérêts de cette compilation à deux entrées, avec les raretés qui comblent un vide de cette musique post-indus à la française trop peu documentée et parfois oubliée, méprisée ou trop vite rangée dans la (fameuse, mais un peu secrète) « NURSE WITH WOUND List » par facilité.

À écouter les trois versions de Pile ou Face toutes en modes synthé vintage, Dans le Dédale (live) au croisement d’ASH RA TEMPEL et d’AGITATION FREE, et particulièrement les deux versions de la ritournelle minimaliste Bombé Fluo (surtout celle du CD, inédite) amplifiée aux synthés et guitares avec une épiphanie de saxes en tourbillons et en décrochages pour clôturer définitivement l’album.

Du beau travail de la part de tous les intervenants pour cet anniversaire pas trop en retard de la météorite fabriquée par Philippe DORAY, qui comme tous les astres brille encore même si elle s’est un peu éteinte ou mise en veille, tout en gardant son acuité. Une belle « galette des rois pour Noël », soient deux bonnes raisons pour vite épuiser le tirage confidentiel de cet album de 2023.

Enfin, mention toute spéciale pour la pochette (son très beau vert foncé émeraude sur fonds noir, avec au verso tout en bas à gauche le joli point rouge de FFL), ainsi que la photo avec masques qui floutent les traits de deux gentils KRAFTWERK, si calmes et si attentifs, en costumes d’ingénieurs si fifties, qui regardent (sans pouvoir s’en détacher) une drôle de bande magnétique torsadée qu’il suffirait à notre avis de remettre rapidement à sa place avant que les tubes et les consoles autour des deux presque robots ne les fassent disparaitre définitivement de leur vaste laboratoire trop bien rangé, trop silencieux et presque sans présence humaine (au verso tout le monde est flou), mais peuplé de machines sombres et inquiétant tout de même.

Xavier Béal

Pages label : https://www.soufflecontinurecords.com/product/philippe-doray-les-asociaux-associes-le-composant-compositeur-ffl089

https://soufflecontinurecords.bandcamp.com/album/le-composant-compositeur

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.