Rémi GEFFROY – Carrefour des anges

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Rémi GEFFROY – Carrefour des anges
(CVE / Modulor Records)

Si vous en êtes encore à appréhender l’accordéon comme un instrument ringard, « has been », tout juste bon à alimenter le cliché de l’univers du bal musette, en dépit de tout le travail entrepris par plusieurs compositeurs pour l’extraire de cette vision des choses, alors voici peut-être votre dernière chance de changer d’avis : en jetant une oreille – si possible attentive – au Carrefour des anges, titre du sixième album de Rémi GEFFROY. Oui, vous avez bien lu, c’est vraiment son sixième album ! Vous n’en aviez jamais entendu parler auparavant ? Nous non plus, en fait. Remercions donc ce musicien d’avoir entretenu sa muse créative jusqu’à ce que son univers sonore nous parvienne ! Et on lui souhaite de ne pas s’arrêter là…

Ce trentenaire d’origine toulousaine dont l’enfance a été baignée dans le creuset des musiques traditionnelles (ses grands-parents étaient musiciens), a fait de l’accordéon diatonique son instrument de prédilection depuis l’âge de dix ans, sans que cela ne l’empêche de tâter d’autres instruments, comme la guitare basse. Chemin faisant, il a intégré des formations jazz et rock et, après avoir décroché une licence en musicologie, il s’est lancé dans la composition à l’accordéon et a enregistré son premier album au début des années 2010.

Depuis, il a enchaîné les expériences scéniques et discographiques, jouant dans des salles de concerts comme dans des bals folk, livrant une musique à danser comme une musique à écouter, traditionnelle et novatrice, se produisant en solo, en trio ou en septet (il faut oser, par les temps qui courent !), ce qui lui a permis de réaliser des disques qui proposent à chaque fois de nouvelles voies d’exploration, tout en collaborant à d’autres groupes, dont le groupe toulousain d’irish-folk-rock-punk-world THE BOOZE BROTHERS (à ne pas confondre avec le groupe de Dave EDMUNDS et Mark KNOPFLER) sur son album The Lemming Experience en 2019, et son alter-ego plus acoustique TARA’s FOLK.

Sa précédente production discographique, Odysseus, proposait une musique déjà à la croisée des genres traditionnel et classique, métissée dans l’âme, avec six autres musiciens, et dont il existe deux versions, une en studio, une en concert. Carrefour des anges s’inscrit a priori dans un sillage similaire, puisque Rémi GEFFROY y est accompagné d’un guitariste (Antoine PETIT), d’un batteur (Julien LAMEIRAS), d’une belle brochette de cordes classiques (Estelle BESINGRAND au violoncelle, Alix HABER à l’alto, Mélanie BRELAUD et Julien CASANOVAS aux violons), sans oublier deux invités subreptices échappés des BOOZE BROTHERS, Laure NUZZI au bodhran et Bertrand YATES à la guitare et au chant.

Rémi GEFFROY nous convie donc à découvrir une musique d’inspiration traditionnelle et ouverte à d’autres influences dont il a ciselé lui-même tous les arrangements pour en faire un univers riche propice à l’écoute domestique.

C’est du reste avec une note symphonique pesante et inquiétante que s’ouvre l’album avec Samsara, une pièce à l’ambiance solennelle qui ne tarde pas à nous captiver avec sa mélodie aux allures de marche. Nous sommes partis pour une excursion dans un territoire émotionnel foisonnant. Le quatuor à cordes enjolive de beauté surannée la gracieuse valse ralentie Rosa Alba, avant de nous faire pénétrer dans le boudoir de la Reine de la nuit, aux gestes majestueux.

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Puis nous entrons dans le Laboratorium, à l’ambiance plus fiévreuse puissamment soutenue au bodhran. L’accordéon diato et les cordes classiques y entament une farandole contagieuse relayée par les frappes fermes de la batterie.

Il fallait s’attendre à ce que la gueule de bois s’affiche après la fête, et c’est ce qui arrive avec le morceau éponyme à l’album, aux contours plus mélancoliques, qui se déplie sur un rythme plus inhabituel à onze temps. Mais histoire de ne pas perdre le Nord, on met cap sur la Verte Erin avec The Irishman, une ballade introduite par des notes aussi résonnantes que nostalgiques par la guitare, que vient relayer l’accordéon et les cordes classiques, et qui touche immanquablement en plein cœur.

On reste en Irlande avec le sautillant Gambiarra, où violons et guitare se partagent les soli sur une rythmique quasi-africaine, et on continue à entrer dans la danse avec l’entraînant Carmine Road, qui suspend son vol juste le temps d’un solo d’alto, avant de repartir toutes voiles dehors.

Nous entrons ensuite sur la pointe des pieds dans les Trois Passages, avec une mélodie chavirée à l’accordéon qui prend de l’assurance avant que les cordes chambristes ne provoquent une cassure et reprennent la même mélodie sous des dehors plus grandiloquents, avant l’effilochement final.

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Suit une véritable course-poursuite aussi haletante que vibrante entre le Chien et le Ver. Puis c’est l’instant mythologique avec Ouroboros, introduit par les violons aux relents presque médiévaux, bientôt appuyés par une curieux grondement qui bat la mesure, puis l’accordéon prend la place et se retrouve peu après à danser sans crier gare sur une rythmique électro-techno. Nouvelle cassure, les cordes reviennent grincer, avant que le battement de la transe ne réinvestisse les lieux ; c’est vraiment l’histoire d’un serpent qui se mord la queue…

Vient enfin le thème de clôture : The Irishman fait son retour, cette fois avec les mots et la voix rocailleuse de Bert YATES, d’abord fragile, recueillie, embuée de vapeurs de Guinness sans doute, puis plus imposante, rageuse même, quand tout le monde s’envole de concert pour un final épique, avant une coda plus dépouillée, frissons garantis !

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Généralement, les carrefours servent à prendre une autre direction, à bifurquer. Celui auquel nous mène Rémi GEFFROY donne plutôt envie d’y faire une tour complet, et d’en refaire un autre, et puis un autre, comme si c’était un manège, et de se griser de cette moisson d’émotions irriguées par des instants vécus ou rêvés, des souvenirs et des songes que chaque morceau se charge de distiller afin de vous faire respirer la part des anges.

Gageons que ce Carrefour saura vous transporter dans ses vapeurs mélodiques, ses émanations harmoniques et ses tourneries rythmiques, et que l’accordéon de Rémi GEFFROY (ainsi que tous ses complices) vous prodiguera de quoi être… aux anges !

Stéphane Fougère

Site Artiste : https://www.remigeffroy.com

Page Label : https://modulor-records.com/fr/boutique/remi-geffroy/carrefour-des-anges/

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