SPARKLING SESSIONS (Jac BERROCAL / Vincent EPPLAY / TZARINA re-TUNED) – Copenhagen
(FOU Records)
Comme le titre de ce CD l’indique, les enregistrements qui y figurent ont été réalisés dans la capitale danoise, lors du Sparkling Sound Festival, à l’automne 2020. Ça a l’air de prime abord anodin comme information, mais si l’on fait un léger effort de mémoire… 2020… l’ « annus horribilis », celle dont on ne veut pas se rappeler… Tout le monde devait rester planqué chez soi, pas de sorties prolongées, et seulement « utilitaires »… Ouais, ça vous remet ? Alors OK, en octobre 2020, la bride avait été relâchée, mais c’était pour mieux en mettre une autre, avec ces satanés couvre-feux, qui empêchaient les sorties notamment culturelles… Je ne sais pas exactement ce qu’il en a été au Danemark, mais à en juger par l’existence de ces enregistrements, une brèche a été ouverte début octobre 2020, autorisée ou non, et un festival dédié aux musiques libres et expérimentales a pu se tenir, en dépit des restrictions et des obligations sanitaires. Des musiques libres dans un contexte qui ne l’était pas ! Des aventures soniques dont l’existence même tenait de l’aventure, assurément improvisée et spontanée. Des rencontres humaines et créatives à caractère international, tentant de renouer contact, d’allumer la mèche dans cette brèche. Des « Sparkling Sessions » en vérité…
Et on a les noms. Et quels noms ! Que des vétérans aguerris aux guérillas sonores instantanées, à commencer par le trompettiste hexagonal Jac BERROCAL, pilier des scènes musicales indépendantes et sépulcrales au carnet d’adresses interminable, ici accompagné du non moins ubiquiste plasticien sonore Vincent EPPLAY (cette fois sans David FENECH), et de deux vétérans de la scène avant-gardiste danoise, Jacob DRAMINSKY HØJMARK et Jorgen TELLER, qui forment le duo TZARINA Q CUT, pour l’occasion rebaptisé TZARINA RE-TUNED, sans doute parce que les protagonistes ne jouent pas exactement les mêmes rôles instrumentaux que d’habitude.
Tout ce beau monde a donc cherché, lors de cette brèche temporelle, à reconnecter les quelques représentants de la race humaine qui se sont risqués à assister à ce festival de Copenhague avec des espaces sonores générés dans l’instant. Et ces espaces, on s’en doute, ne sont pas exactement de nature festive ou débraillée. Lors de ces deux soirées consécutives de début octobre 2020, on en est encore à flairer la possibilité sinon d’une île, du moins d’une étincelle dans l’obscurité. Deux soirées, donc deux sessions « scintillantes », pendant lesquelles nos explorateurs de l’indicible attisent des espaces inquiets métamorphiques aux effluves troubles, crépusculaires, mais non sans y injecter quelque extravagance.
La première session, segmentée en cinq pistes enchaînées, démarre par un balayage radiophonique d’où émergent des voix, des chants publicitaires, avant de capter un appel émanant d’on ne sait quelle tour de contrôle : « Allo X-27 ? En rapport avec H21… Nettoyons l’aquarium… que tu sois foudroyé… », un délicieux non-sens dadaïste que viennent cerner des nappes électroniques spatiales, sur lesquelles se tortille subrepticement la trompette réverbérée de Jac BERROCAL (Protégeons les miroirs). À la cantonade, l’humeur se fait plus bilieuse, avec ces grondements galactiques zébrés de crissements souterrains.
Une ébauche rythmique signale le deuxième segment (JJVJ) : la trompette s’étale en manifestations « milesdavisiennes » dans un espace aux ambiances et aux visions lynchiennes, qui défie l’apesanteur dans Warsava Night, tout en suspensions et déplacements infinitésimaux. Morse Code accentue cette sensation de flotter dans un espace ébréché aux résonances macrocosmiques, et Plane of Delight a tout du vol en effet plané mais pas planifié. « Une mouche sur la langue » vaut bien un courant d’air acide…
Puis on atteint l’anfractuosité du silence, le temps d’un déplacement temporel minime vers la seconde session du lendemain. Le personnel ne change pas, mais il s’est accru. Le SPARKLING QUARTET mute en SPARKLING SEXTET avec l’arrivée de Per BUHL ACS, qui s’octroie les synthétiseurs et autres claviers, déléguant Jakob DRAMINSKY HØJMARK au « sonic snare », et de deux voix féminines, celles de Tanja SCHLANDER et de Randi PONTOPIDDAN. Avec Vincent EPPLAY, Jac BERROCAL et Jorgen TELLER toujours de la partie, si l’on compte correctement, on arrive à sept ! C’est donc un sextet à sept, à mettre sur le compte des irrationalités immatérielles prodiguées par ce vortex « sparklé » !
La seconde session est découpée en trois pistes, presque enchaînées. Je dis presque, parce qu’un trou d’air dans la bande nous a apparemment privé de la fin de la deuxième piste, à moins que ce soit volontaire. Mais le trip était à l’origine continu, et est tout bonnement intitulé Concert. Et la présentation d’icelui, animée apparemment par Jorgen TELLER, occupe toute la première piste (donc la sixième sur le CD). « We are in Good Health. No Contamination going on yet ! », nous assure-t-on. Soit. Mais c’était compter sans la contamination inséminée par les sons et les voix.
On entre dans le vif du sujet avec la deuxième partie de Concert, où les membres du SPARKLING SEXTET esquissent un paysage turbulent avec force voix diverses, féminines et masculines, trafiquées ou non, passant devant ou derrière les déferlements électro-synthétiques. Contorsions vocales et hurlements intergalactiques fricotent avec des « FX » dignes des films de SF des années 1960. Une voix mâle parvient à prononcer quelques mots en boucle, sans pour autant créer du sens, tandis qu’une voix féminine dissémine des vocalises vagabondes. La trompette expectore ses écorchures racées et raffinées, les claviers et synthés pulvérisent des souffles caverneux. D’autres voix se glissent dans cette fissure spatiale.
« Vous avez pris un risque » assure Jorgen TELLER, faisant référence aux contexte, mais aussi peut-être eu égard à la projection sonore perpétrée en cet instant. Une lévitation sur une corde dont la raideur ne garantit pas la stabilité. La contamination par flottement, par incrustation, par résonance… et quelques cahots. Puis la descente, avec un taux d’acidité porté à ébullition. Et… applaudissements. Présentation des protagonistes, et fondu.
Copenhagen, ou la manifestation d’une tension extensive aux confins du contemplatif ambigu et du verbe saugrenu. Une lézarde dans l’appareil constrictif alors en vigueur. Une échancrure effervescente dans les rigidités de papier.
Stéphane Fougère
Site label : www.fourecords.com