SUN RA – Media Dreams
(Art Yard / ReR / Orkhêstra)
SUN RA était un musicien certes excentrique, mais plutôt exceptionnel, à la discographie monstrueuse et dont la disparition en 1993 a laissé un grand vide. Heureusement sa musique est toujours là. Le label Art Yard nous livre donc Media Dreams Sessions Milan 1979. Une version vinyle était déjà sortie en 2004 sur ce même label, correspondant aux six titres du CD 1. Désormais, cette réédition est augmentée d’un second CD inédit. En tout, elle propose 14 morceaux à classer entre jazz, free-jazz et musique électronique. C’est un complément au précieux document The Complete Disco 3000 Concert, publié aussi par Art Yard en 2007. Tous deux, en effet, s’intéressent à cette fameuse période relative à l’unique tournée italienne de 1978 du quartet, composé de SUN RA (piano, orgue, synthé Moog, rythm machine, voix), John GILMORE (sax ténor, voix), Luqman ALI (batterie, voix) et Michael RAY (trompette, voix).
Pour beaucoup, la sortie de ce double CD est un événement, car il est enfin possible d’entendre des enregistrements originaux de cette époque avec une bonne qualité sonore. De ces musiques enregistrées par le quartet en Italie, certaines ont été utilisées pour des albums parus sur Saturn Records, le label de SUN RA : Media Dream, Disco 3000, The Sound Mirror et le single Disco 2100/Sky Blues.
SUN RA a légué une musique imaginative, puissante, bouillonnante de vie, émouvante et surtout imprégnée d’électronique. Il est un exemple de ce mélange génial et visionnaire entre le monde du jazz et celui de l’électronique. Il a été l’un des premiers appartenant à l’univers du jazz à utiliser des instruments particuliers comme le synthé Moog, l’orgue Farfisa, et tout ce qui peut se rapprocher du piano. En 1975, suite à une invitation de Daniel CAUX, il joue sur le disque The Cosmic Explorer pour le label français Shandar Records, où il livre sur la face B un solo de synthé Moog.
Sur le CD 1 de Media Dreams, l’électronique est très présent dans les compositions qui auraient certainement plu aux pionniers de la scène planante allemande des années 1970. Écoutez Saturn Research avec un orgue quasi psyché, ou Year of the Sun avec une petite mélodie simple et répétitive digne des premiers KRAFTWERK. Intenses également sont les deux long morceaux où SUN RA exécute des soli d’orgue hypnotiques : Constellation et surtout Media Dreams avec son ambiance cosmique envoûtante.
Les connaisseurs trouveront leur bonheur avec le second CD constitué d’inédits et de versions intégrales. Friendly Galaxy est marqué par des soli impressionnants de SUN RA et Michael RAY. Mais la force génératrice de ce titre est bien cette séquence similaire à du TANGERINE DREAM des années 1970. L’ambiance devient explosive et rappelle même vers la fin la folie destructrice de SUICIDE !
An Unbeknowneth Love, avec SUN RA au piano et Luqman ALI aux percussions minimalistes, figure enfin en version complète (sur le CD 1, elle est coupée au bout de 4 minutes). Ce qui est véritablement appréciable, puisqu’elle est de plus couplée avec le morceau suivant, Of Other Tomorrows Never Known. Ce titre, connu par ceux qui possèdent l’album The Sound Mirror, est plus long que sur le LP original. SUN RA se lance dans une impro atmosphérique aux claviers, tandis que GILMORE livre un solo au sax ténor. À différents instants de la performance, la voix de SUN RA se fait entendre, donnant ses instructions. Cela indique qu’il s’agit d’une improvisation.
L’inédit Images, d’une durée de 13 minutes, montre que les musiciens s’en donnent à cōur joie, entre le solo de GILMORE, la trompette de RAY et les claviers de SUN RA. Le quartet interprète ensuite The Truth about Planet Earth qui est une pré-version de Bad Truth, l’une des pièces chantées de SUN RA. À part ce côté rythmé et répétitif, c’est surtout l’occasion d’entendre les voix respectives de SUN RA, Michael RAY et John GILMORE. Il est intéressant d’écouter une telle pièce, adaptée pour une formation si réduite.
Il en est de même avec le morceau suivant. Sur Space is the Place, les musiciens alternent le chant et les instruments d’une manière plus prononcée que lorsqu’ils sont dans une formation imposante comme le SUN RA ARKESTRA.
Le CD se termine avec The Shadow World, coupé lors du solo de GILMORE. C’est dommage également qu’il n’y ait pas le reste du concert, car The Shadow World n’est certainement pas le dernier titre joué ce soir-là.
Mais souhaitons qu’un de ces jours, d’autres enregistrements de cette trempe soient découverts, car comme le souligne Chris TRENT dans ses notes, il reste des points à éclaircir : par exemple, où se trouve la master tape contenant les quatre autres titres de Media Dreams ? De quel concert italien de 1978 provient Jazzisticology, figurant sur l’album The Sound Mirror ?
Cédrick Pesqué
Labels : www.rermegacorp.com
Distributeur : www.orkhestra.fr
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°24 – octobre 2008)