Synths, Sax & Situationists (The French Musical Underground 1968-1978) – Ian THOMPSON

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Synths, Sax & Situationists (The French Musical Underground 1968-1978) – Ian THOMPSON
(Round Table Books)

Est-ce qu’en 2025, on peut encore s’intéresser et écrire sur la musique d’une bande de musiciens français parfois apprentis ou peu aguerris, très « underground » qui étaient très jeunes à l’époque (la période couverte par l’ouvrage est depuis 1968 et jusqu’à 1978), qui avaient donc entre 25 et 35 ans aux débuts des années 1970 et qui ont sévi et laissé quelques traces de leurs passages, même si certains sont 50 ans plus tard des rescapés, des vétérans ou des survivants, en tous cas bien peu étant encore en activité ?

Tous ces musiciens ont laissé des empreintes discographiques de façon parfois anodine, la plupart ont commis un ou deux albums lors de la période avant de disparaître pour de bon, souvent ruinés, désabusés ou fatigués des expériences de vies de groupes aléatoires. Il y a eu à partir de 1975 (et l’arrêt brutal du journal Actuel qui a rompu de fait une organisation parallèle de la musique et des réseaux musicaux hexagonaux) une sorte de voile gris sombre et lourd sur cette vague pourtant frémissante, les oreilles se tournant à partir de la seconde moitié des seventies davantage vers des genres moins aventureux (jazz-rock et avatars médiocres des musiques planantes pour grands magasins de pseudo-luxe). Tous ces groupes se sont tout bonnement évaporés également par manque de créativité et d’acharnement, ou peut-être parce qu’ils avaient tout dit et tout joué avec le seul et unique album qu’ils avaient réussi à publier avec beaucoup de mal.

Mais l’on peut dire aussi que la plupart de ces musiciens ont suscité des vocations et on les retrouve parfois en parrains des musiciens des années 1980, continuant à assaisonner des hommages parfois bruyants ou brouillons à la mouvance ZAPPA/BEEFHEART très prégnante à l’époque sous les cieux français et européens.

Cette vague a également reçu de plein choc et en temps quasi réel des effluves du krautrock, dont les groupes allemands étaient bien en avance dès le début des années 1970 et les productions déjà pas mal abouties et recensées dans leur pays (récupérées par les labels et sous-labels anglais comme Virgin et autres épigones).

L’époque étudiée dans l’ouvrage de Ian THOMPSON est très bornée et correspond à tout ce que l’esprit de mai 68 et ses suites ont laissé dans ce qu’on a voulu avec un certain mépris caractériser comme un désert musical (groupes, éditeurs, producteurs, circuits de diffusions et de concerts, disquaires, ce réseau valant pour la presse et le cinéma underground également, etc.) qui se serait étouffé dans son propre échec et qui a laissé de guerre lasse et faute de combattants énergiques, la place à la déferlante suivante (punk et new wave) qui elle, pourtant a voulu tour à tour et à toute force, proprement et souvent sans imagination, singer/copier les voisins anglais parfois si peu inspirés.

C’est ce qu’a voulu et tenté d’analyser l’auteur australien, tombé par hasard dans les bacs d’un disquaire parisien en 2017, sur une rubrique « french prog – Prog Français (aïe) » et qui, au-delà de MAGMA et de HELDON qu’il connaissait vaguement, s’est mis en quête des œuvres de tous ces maquisards plus qu’underground (il les qualifie plutôt justement de « subterranean musicians ») et de fil en aiguille (aidé par l’ « infamous » guide du rocktard (ou star) Dominique GRIMAUD et l’ouvrage bible clé du même, aidé par Eric DESHAYES l’Underground musical en France chez le Mot et le Reste paru en 2008) s’est mis à la recherche pas aisée de cette myriade de pépites (pas toutes) et des témoins divers de l’époque.

Les bases étaient déjà posées dans ces deux ouvrages, ainsi que dans le coffret de 4 CDs intitulé 30 Ans d’agitation musicale en France (paru chez Spalax en 1998) ; il ne restait donc plus qu’à fouiner, fouiller et s’armer d’un certain aplomb et de beaucoup de chances « rhyzomiques » pour retrouver les acteurs de la période, bien aidé tout de même par quelques guides avisés, activistes et accueillants, qu’on appellera malicieusement les bonnes fées ou les passeurs secrets gardiens du trésor endormi.

Notre auteur, pourtant au fait des musiques expérimentales (il a été dans un groupe expérimental connu même hors d’Australie), explorateur un peu naïf (ou vierge) des maquis sonores français, s’est mis à répertorier les genres et sous-genres propres à la musique hexagonale (avec l’aide de la table des matières des deux compères de l’ouvrage de 2008, déjà bien éloquente et pas mal pataphysique navigant entre jazz désaxé, psychédélique camembert, anar rock, pataphysique cantique, électronique guérilla, ténèbres solaires, spirales et labyrinthes etc). En effet, le panorama musical français de cette époque, et c’est une de ses forces, a été très vaste, l’offre s’organisant sur tout le territoire grâce au réseau inédit des MJC créé au début des années 1970, des organisateurs de concerts courageux et intrépides et autres salles accueillantes et motivées par ces musiques (Toulouse, Nancy etc.).

L’auteur a donc décidé de restreindre son étude et son approche autour de quelques axes thématiques et selon les termes du titre de son ouvrage : en effet, ça va nous dire les synthés, les saxes et les situationnistes soit la musique vue du point de vue historique après 1968 (partie 1) avec l’apparition des synthétiseurs qui coûtent à l’époque encore très cher et semblent compliqués à apprivoiser, ainsi que l’utilisation dans la plupart des groupes, en dehors des guitares, basses, batteries, et pour agrémenter ces claviers nouveaux, de cuivres en tous genres et de saxophones particulièrement (en avant signe d’URBAN SAX peut-être).

https://rythmes-croises.org/catalogue-assassins/Suivent en partie 2 (et suivantes) les groupes et musiciens de cet univers particulier avec en entrée de jeu un vibrant hommage bien appuyé et très, très bien mérité à LARD FREE et Gilbert ARTMAN, le grand passeur pourtant méconnu qui a en effet joué avec pratiquement tout le monde et a été un des premiers à sortir des albums réalisés de façon professionnelle. Il continue d’ailleurs encore de nos jours avec Jac BERROCAL et Jean-François PAUVROS pour les albums de CATALOGUE (cf. https://rythmes-croises.org/catalogue-assassins/), et il a surtout fédéré en majesté tous les saxophonistes de France, de Navarre et d’ailleurs pour son projet impressionnant d’URBAN SAX qui tirait des larmes et des frissons à tous ceux qui ont vu et entendu ce déploiement d’extraterrestres habillés tout de blanc (pour faire fuir les Kobaïens), orchestrés de main du maître aux yeux malicieux, exaltés et ravis, sauf que URBAN SAX, ça commence véritablement après 1978.

Reprenons le fil de cet imposant volume. Apparaissent avec sept entrées la plupart des belligérants mis en scène par genre (la partie LARD FREE intitulée L’Exception confirme la règle étant de TOUS les genres). Tout d’abord l’Underground politique représenté en vrac par RED NOISE, BARRICADE, MAHJUN, KOMINTERN, FILLE QUI MOUSSE et DAGON, qui ont en commun d’avoir publié peu d’albums, tous devenus introuvables, tous mal produits et souvent brouillons, la palme étant à DAGON, dont on ne trouve qu’une seule trace dans le coffret de chez Spalax).

Suit l’Underground Lysergic largement dominé par GONG, CRIUM DELIRIUM, AME SON, pêle-mêle bigarré et un peu hippie à la française sous influence Daevid ALLEN et SOFT MACHINE, introduite par une jolie définition de l’avant-garde par Robert WYATT (p 179) et dirigée «à leur façon» par de joyeux bandits sans foi ni loi (Giorgio G pour ceux qui savent), peu regardants des royalties des musiciens, qu’on retrouvera également chez MAGMA et dans les épisodes Virgin chez GONG.

La partie 4, l’Underground Jazz, presque la plus courte, introduite par le vibraphoniste Robert WOOD, montre l’influence du free jazz et la prédominance quasi exclusive de MAGMA dès avril 1970 avec le « infamous » double album chez Philips (on est moins dans l’underground pur et dur, mais ça va bouger), avec le déroulé « tragique » de la saga tourmentée du groupe sous la férule de son chef incontesté et incontestable, jusqu’à Attakh (mai 1978) et ses morceaux courts, l’arrêt quasi définitif du groupe en lambeaux pour un long moment, et le départ des principaux membres du groupe, comme le signe d’une fin de cycle et le début d’une série de « rétrospectives » de live albums (pour laisser quelques traces ?).

Intéressons-nous plus précisément aux deux dernières parties, (pour ma part les plus foisonnantes) le Avant-Underground partie 6 avec CAMIZOLE, Jac BERROCAL, ÉTRON FOU LELOUBLAN et BIRGÉ GORGÉ SHIROC : la plupart ont eu des carrières discographiques (en groupe et en solo) plus fournies, des approches plus diversifiées et plus inventives aidées par des labels actifs (Futura, Celluloid, Spalax, GRRR, etc.) et sont restés en permanence en étroit contact de la plupart des groupes cités par ailleurs (BARRICADE, LARD FREE et ZNR pour CAMIZOLE et un nombre incalculable de coopérations pour Ferdinand RICHARD et Chris CHANET d’ÉTRON FOU (un livre bilingue est sorti en 2017 chez l’éditeur Lenka Lente sur l’aventure de ces loups fous).

Passons à la partie 7 Le Electronic Underground avec HELDON/PINHAS et ILITCH/Thierry MÜLLER (qui sauf erreur n’ont jamais joué ensemble), regrettons l’absence de Pascal COMELADE et de ses premiers essais répétitifs (Fluence, Paralelo, etc.) ainsi que celle de Ghédalia TAZARTÈS, même si celui-ci publie ses albums un peu hors de la période, et revenons pour conclure aux préceptes du sage Dominique GRIMAUD (qui a, dans sa belle collection Zut-O-Pistes, la bien-nommée, consacré en 2007 un album entier intitulé Musiques électroniques en France (1974-1984), à ces pionniers peu conformistes (c’est le thème qui sous-tend tous les albums de la collection), avec inédits de LARD FREE et bel équilibre des lauréats du mouvement.

Celui-ci explique : « Au début des années 1970, avec l’apparition des premiers synthétiseurs financièrement abordables, des musiciens français aventureux (et audacieux) les adoptent et les ajoutent à leur instrumentation, certains en faisant même leur instrument de base en créant une musique remarquable et fortement originale… LARD FREE et ses quatre générateurs de fréquences, musique de chambre et home studio chez d’autres, éventail de synthi VCS3, ARP 2600 et AKS divers et variés. Aujourd’hui le synthétiseur est devenu un instrument comme un autre, n’oublions pas qu’à l’époque, les musiciens considéraient que les synthés n’étaient pas de véritables instruments de musique et donc que les musiciens qui les utilisaient n’étaient pas de vrais musiciens. Beaucoup jugeaient leur art comme de l’escroquerie musicale ». (in livret des Musiques électroniques en France, Gazul 2007).

Cet ouvrage extrêmement documenté avec nombreuses introductions, de discographies très fournies, de sources et notes en tous genres, récoltées amoureusement par l’auteur), vient donc à point nommé et pas trop tardivement pour montrer et démontrer combien ces musiciens avaient tort.

Et, pour finir, en clin d’œil (pataphysique ou clairvoyant) et lui-même en est d’ailleurs d’accord (et honoré), il serait tout à fait opportun de décerner à ce lointain Australien, fin connaisseur des labyrinthes musicaux français des années 1970, la citoyenneté d’honneur de notre curieux hexagone, en tant que défricheur émérite et passionné, ce qui pourrait l’encourager, (même s’il n’en a pas tellement envie) à écrire une suite à cette saga déjà très riche et mouvementée, mais bien de chez nous.

Xavier Béal

Site : https://french-underground.com/

Page éditeur : https://theroundtable.bandcamp.com/merch/synths-sax-situationists-the-french-musical-underground-1968-1978

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