Musiques électroniques en France 1974-1984
(Gazul / Musea)
Grâce à la collection Les Zut-O-Pistes et à Dominique GRIMAUD, ce CD de 74 minutes nous permet de faire un tour d’horizon de ce qui se faisait de mieux en France dans les années 1970, en matière d’électronique. Le livret est essentiel pour combler nos lacunes, proposant un historique détaillé de ce phénomène en marge et une discographie sélective des quelques artistes présentés. En parallèle à la scène allemande, la France avait elle aussi ses adeptes des synthés analogiques comme le VCS3, le Synthi AKS, le Mini-Moog, les ARP 2600 et Odyssey. Cette famille de musiciens agitateurs et underground post-68 a ouvert la voie à une ère nouvelle faite d’inventivité et d’explorations synthétiques.
À côté des ténors comme Richard PINHAS et HELDON, LARD FREE ou Pascal COMELADE, se côtoient des formations encore plus confidentielles et toutes aussi surprenantes. Citons CAMIZOLE, VERTO et VIDÉO-AVENTURES. Neuf pièces constituent ce CD, dont beaucoup de raretés et d’inédits. C’est un choix judicieux qui permet d’entendre deux morceaux de 1981 jusqu’alors introuvables de Pascal COMELADE.
La longue suite en cinq parties, Musique par correspondance, avec David CUNNINGHAM, apparaît ici pour la première fois en CD (à l’origine, elle figurait sur une K7). L’autre trésor est un duo avec Victor NUBLA (MACROMOSA, BEL CANTO ORCHESTRA), intitulé Bar Electric. COMELADE (synthi AKS + plastic guitar) et NUBLA (tapes, vocals, maracas) expédient en deux minutes ce morceau aux allures de SUICIDE.
Nous partons à la découverte d’un univers hypnotique et envoûtant, avec un classique de HELDON, extrait du premier album, Electronic Guerilla, en 1974. Back To Heldon célèbre un mariage intense entre un synthi AKS et une guitare Les Paul Gibson 1954, le tout étant joué par Richard PINHAS. Ce dernier a droit à un deuxième titre, avec cette fois-ci un hymne au Moog synthetiser : Variations VII sur le thème de Bene Gesserit provient de son album solo Chronolyse, enregistré en 1976 (un must de rock électronique contenant trois pièces-hommages à Dune).
Tout aussi novateur pour l’époque, VERTO crée la surprise avec Alice, enregistré live le 8 décembre 1976. Jean-Pierre GRASSET explore des sons incroyables à l’aide de sa guitare Fender Stratocaster branchée sur des modules électroniques RSF (avec l’utilisation d’un filtre et d’un ring modulator, le tout passant en loop via deux magnétophones Revox A77). L’influence de FRIPP ou de Brian ENO au temps de son Discreet Music n’est pas très loin.
Avec LARD FREE, c’est l’occasion ou jamais de s’intéresser à la musique de Gilbert ARTMAN, fortement influencée par HELDON et le krautrock. Entre 1970 et 1978, ce groupe va privilégier une musique expérimentale acoustique et synthétique. Le long morceau de 17 minutes, Spirale Malax, datant de 1977, est une version inédite. La version originale figure dans le troisième et dernier disque de LARD FREE (1978-Cobra). C’est avant tout une musique cérébrale, répétitive et atmosphérique à souhait, produite par Gilbert ARTMAN (batterie, orgue, ARP Odyssey) et Xavier BAULLERET (guitare, écho).
CAMIZOLE et VIDÉO-AVENTURES ont pour point commun la présence de Dominique GRIMAUD. Sa carrière remonte à 1970 avec le groupe CAMIZOLE, dont l’orientation première était surtout l’improvisation. Le titre Electronic Alarm (1975) dévoile une musique électronique typiquement seventies, réalisée aux moyens d’un Synthi AKS, d’un Korg 700 (GRIMAUD), d’un orgue et d’un Synthorchestra (Bernard FILIPETTI).
En 1978, Dominique GRIMAUD lance le projet VIDÉO-AVENTURES avec Monique ALBA. Leur premier album, Musiques pour garçons et filles, enregistré en 1979, sort en 1982 sur Recommended Records, le label de Chris CUTLER. Il sera considéré comme l’un des meilleurs disques de synthés analogiques de ces trente dernières années, de par sa techno pop visionnaire. Ici, les rares connaisseurs seront aux anges d’écouter une version alternative de Tina (1979), baptisée Tiny Tina, et une rareté de 1984, Le Gord (pour les fans de Synthi AKS, et d’ambiances robotiques !).
Ce CD met en avant des artistes animés par une passion commune, celle de l’électronique… une poignée certes, parmi toutes les autres formations qui ont adopté les synthés (GONG avec Tim BLAKE, CRIUM DELIRIUM, MÉTAL URBAIN version 1976, ZNR…).
Cette école méconnue était composée de passionnés, qui ont fini un jour par se rencontrer. Richard PINHAS est invité sur le premier album de COMELADE (Fluence, en 1975-Pole), et sur le deuxième album de LARD FREE, I’m around Midnight (Vamp), assez proche des ambiances synthétiques sombres de son groupe HELDON. CAMIZOLE et LARD FREE vont fusionner en mai 1978, lors d’un festival en Vendée. Peu de temps après, Gilbert ARTMAN choisit de se consacrer à URBAN SAX, fondé en 1976. Quant à Dominique GRIMAUD, il crée VIDÉO-AVENTURES, qui accueillera Jean-Pierre GRASSET et Gilbert ARTMAN.
Cédrick Pesqué
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES N°23 – mars 2008)