T3R’ NINÓG – en tír na nÓg
(Goûtenotes)
Il n’aura échappé à personne que le titre de ce disque renvoie au fameux mythe gaélique de la « Terre de la jeunesse éternelle », et que le nom du groupe en est une habile variation qui permet de décliner tant la forme du groupe (un trio) que le nom de sa créatrice, une certaine Miss NINÓG, ou encore Ninóg CARO. Pour autant, le propos de ce trio n’est pas de nous conter une énième version du classique de la littérature celtique, ni d’en proposer une adaptation musicale. Le « Tir na nóg » dont il est question ici est beaucoup plus local, microcosmique pourrait-on dire, puisque la Terre musicale première en est la péninsule bretonne, comme l’indique le sous-titre : « Kan & Sonerezh Breizh ».
Autrement dit, ce premier album de T3R’ NINÓG, fruit d’un financement participatif, propose une sélection de chants et de musiques bretonnes arrangées dans une perspective plus créative que muséale. De fait, il pourrait bien servir de source régénérative pour la musique bretonne, un élixir de jeunesse retrouvée. Le célèbre chanteur Denez PRIGENT ne s’y est pas trompé puisqu’il s’est fendu d’une note dans le livret dans laquelle il caractérise T3R’ NINÓG comme « un souffle nouveau dans la musique bretonne ». Et pour avoir expérimenté ce souffle, nous n’avons aucune intention de le contredire !
Une observation un rien attentive du trio ici à l’œuvre suffit déjà à nous confirmer que nous n’avons pas affaire à une configuration banale. Auteure, mélodiste, interprète, arrangeuse et principale meneuse de ce groupe, Ninóg CARO en assure le chant et l’accordéon diatonique. Sa passion pour ce dernier remonte aux années où elle a vécu dans le Connemara, en Irlande (oui, il fallait bien qu’il y ait une source irlandaise planquée quelque part…), et a été encouragée à jouer par Johnny CONNOLLY et Charlie LENNON. Et son retour en Bretagne lui a permis d’explorer les ressources de sa voix.
Déjà abreuvée de chanson française, de chanson de rue, de chant de marin, de pop, de rock, etc., Ninóg CARO s’est formée pendant quatre ans auprès de Ronan GUÉBLEZ (LOENED FALL), ainsi que lors de stages ponctuels avec d’autres spécialistes du chant traditionnel, ce qui l’a amenée à animer des ateliers réguliers de chant traditionnel en breton au Cercle Celtique de Rennes (CCR), où elle s’est également investie dans des formations vocales. Et tant qu’à faire, elle s’est initiée à la langue bretonne.
Étienne CALLAC est pour sa part le portrait-type du musicien bourlingueur. Bassiste électrique, arrangeur, compositeur et enseignant, on l’a entendu auprès de Rido BAYONNE (ex-SPHEROE), de Faton CAHEN (ZAO, MAGMA, ETHNIC DUO…), de Pip PYLE (GONG, HATFIELD & THE NORTH), de Yochk’o SEFFER (ZAO, NEFFESH MUSIC, MAGMA…), d’ARESKI & FONTAINE, de Tao RAVAO, de George MOUSTAKI, de KALINKA VULCHIEVA & TOPOLOVO ORCHESTRA, de So KALMERY, parmi d’autres. La scène bretonne ne lui a pas non plus étrangère, loin s’en faut, puisqu’il a joué avec Jacques PELLEN, les Frères GUICHEN, Jean-Michel VEILLON, LYANNAJ, BADUME’s BAND, DAN, Erwan VOLANT, Younn KAMM, OFFSHORE…. Il vous faut d’autres références ?
Compositrice et arrangeuse d’origine belge et issue d’une famille de musiciens et compositeurs classiques et contemporains, Élise RENS joue de l’alto à cinq cordes, un instrument qu’elle a découvert à 19 ans, après des études de classique et des passages dans des formations classiques mais aussi de musique traditionnelle. Son intérêt pour celle-ci l’a amenée à intégrer des formations comme BRUSSELS BALKAN ORCHESTRA, YOUNG BELGIAN STRINGS et le duo ALTACC, et à se rendre en Bretagne pour y approfondir ses connaissances dans les musiques traditionnelles, notamment auprès de Pierre DROUAL et de Jonathan DOUR. Elle s’est ainsi retrouvée dans la Kreizh Breizh Akademi (KBA#10) et a joué dans divers groupes de fest-noz ou de musiques balkaniques.
Bref, chacun des membres de T3R’ NINÓG ont un lien particulier avec la Bretagne et sa culture, tout en trimballant dans leurs bagages d’autres influences. Forcément, la musique qu’il joue ensemble est nourrie et abreuvée de leurs parcours buissonniers, même si son ancrage est indubitablement dans les musiques de danses bretonnes : laridé, an dro, hanter dro, kost ar c’hoad, scottish, polka, mazurka, la palette présentée dans ce disque ne manque pas d’amplitude.
Pour inhabituelle et inattendue qu’elle peut paraître, l’alliance entre l’accordéon diatonique, la basse électrique et l’alto fait mouche et propose une relecture captivante et entraînante de la matière bretonne, à travers des compositions que Ninóg CARO a engrangées depuis plusieurs années et qu’elle livre ici dans des arrangements repensés pour ce trio.
On trouve du reste dans ce disque sa toute première chanson qu’elle a écrite directement en breton, A vamm da verc’h, ou encore la toute première danse bretonne pour laquelle elle a écrit paroles et musique, Piket, dont la version originale était écrite en français, mais qu’elle a adaptée ici en breton, de même que pour Douar penn ar bed, une chanson qui suggère cette « autre Terre » du bout du monde qu’est la Bretagne. Au large de cette dernière, l’île de Sein a inspiré la chanson Buhez Enez-Sun, dans laquelle se font entendre de bien singulières sirènes.
T3R’ Ninóg en tír na nÓg contient ainsi sept chansons en breton, parées de couleurs linguistiques variées, et dont trois d’entre elles ont été réenregistrées pour être incluses à la fin du disque dans des versions interprétées dans une autre langue.
La chanson d’introduction du disque, An Eko-Saverien, a ainsi son double en miroir symétrique, Les Éco-Constructeurs, qui clôturent le disque. De la même façon, Émile e anv, écrite à l’origine dans la seule langue bretonne, se retrouve plus loin en version trilingue (breton/gallo/français) sous le titre Gwerz Émile, et Iwerzhon a vank din a son pendant en version anglaise (la version originale, en fait), avec I Miss Ireland.
Ninóg CARO a tenu ainsi à créer des ponts entre ces différentes langues qui font partie de son histoire, de son parcours, de manière à mettre en valeur la vivacité de la langue bretonne, qui lui permet d’aborder des thèmes à la fois personnels (des souvenirs de son grand-père paternel ; ses années passées en Irlande) et des sujets d’actualité (les droits individuels, les droits des femmes, des minorités linguistiques, culturelles, raciales…, la perte de la biodiversité, les chantiers d’auto-construction écologique).
Présenté sous l’aspect d’un CD digipack, T3R’ Ninóg en tír na nÓg inclut un très beau livret comprenant des illustrations et toutes les paroles en breton avec leurs traductions en français et en anglais. Cette création artisanale est éminemment recommandable pour qui souhaiterait entendre une musique bretonne ouverte et insolite, éclairée, grisante et dynamique, de plus imprégnée d’une conscience humaniste et environnementale plus que jamais indispensable en ces temps obscurantistes.
Stéphane Fougère
Site du groupe : https://missninog.bzh
Page : https://www.facebook.com/missninog
PS 1 : La formation de T3R’ NINÓG qui a enregistré ce disque diffère quelque peu de la formation qui joue sur scène, l’altiste Élise RENS étant remplacée par la violoniste, compositrice et arrangeuse Héléna BOISTARD, elle aussi issue de la musique classique (elle est régulièrement appelée dans les grands orchestres nationaux de France, dont ceux de Toulouse, de Lyon, des Pays de la Loire), mais également imprégnée de tradition bretonne, notamment en tant que penn-sonneuse du bagad Kadoudal de Vern-sur-Seiche.
PS 2 : T3R’ Ninóg en tír na nÓg sera au Printemps 2025 disponible sur les plateformes de « streaming » grâce au label Arfolk.