THE COOL FEEDBACK – Free Spirit
(Milano Records)
THE COOL FEEDBACK est de retour… pour son troisième album studio. Autrement dit, THE COOL FEED… is BACK ! Rien d’étonnant en soi, puisqu’il est dans la nature même de ce phénomène physique de rétroaction acoustique dit « feedback » – ou effet larsen, du nom du physicien danois Søren Absalon LARSEN, qui en a fait la découverte – d’effectuer un retour à l’envoyeur, émetteur et récepteur se renvoyant en quelque sorte la balle, non sans faire monter la sauce, au risque de péter le matos. Mais si l’on parvient à maîtriser ce signal ondulatoire, alors on peut s’en servir comme d’un nouvel instrument, sculpter et harmoniser les effets sonores, pour sonner comme un orchestre philharmonique du troisième type en quête d’une nouvelle beauté convulsive.
C’est ce qu’ont fait les guitaristes français Grégoire GARRIGUES et F. Robert LLOYD en 1993 en enregistrant trois guitares en feedback afin de créer un fond sonore destiné à un morceau… et qui est devenu LE morceau lui-même. Ce dernier, au titre emblématique Tribute to Sun Ra, clôturait ainsi l’album de LLOYD intitulé Think about Brooklyn, enregistré s’il vous plaît dans le studio de Bill LASWELL et auquel a collaboré le guitariste free jazz américain Sonny SHARROCK – excusez du peu – dont c’est sans doute le dernier enregistrement connu avant sa disparition.
En 2016, Grégoire GARRIGUES faisait de cette matière sonore la manne de son nouveau groupe, THE COOL FEEDBACK QUARTET, dans lequel trois guitares et une basse font du feedback orchestré en harmonie. Le résultat se veut effectivement « cool », mais pas new age pour autant, car sonnant aussi rugueux, au point qu’on peut davantage parler d’ambient aux effluves free rock, ou le contraire.
Free Spirit s’inscrit tout naturellement dans le sillage de son prédécesseur, Soul Overdrive. On pourrait même dire qu’il en est l’écho, le feedback, et cela vaut autant pour la musique que pour l’illustration de pochette d’Éric PAROIS qui, avec ses architectures ascendantes et son ciel chargé, fait également écho aux pochettes des deux albums studio précédents, formant ainsi une trilogie aussi esthétique que conceptuelle.
On retrouve de même dans Free Spirit les musiciens qui officiaient déjà aux côtés de Grégoire GARRIGUES et F. Robert LLOYD, comme Jean-Bernard LEPAPE à la batterie, Morgan LANOE (du groupe LOTUS BLOSSOM) à la basse, les « usual suspects » Jac BERROCAL (trompette) et Gilbert ARTMAN (batterie), les deux soufflants Tullia MORAN (saxophone alto) et Pierre MIMRAN (saxophone soprano) – tous deux étaient déjà intervenus sur le disque précédent –, et d’autres électrons comme Didier LÉGLISE au synthétiseur analogique MS 20, Jérôme PONS au piano et Laurent LANOUZIÉRE à la basse.
Free Spirit a donc été conçu avec un conglomérat de musiciens tournant dans des combinaisons différentes, quintette, quartette, trio ou duo ; et il n’y a jamais exactement les mêmes musiciens d’un morceau à l’autre. Cela permet à chaque morceau (improvisé à la base) d’avoir des voix, des couleurs et des atmosphères spécifiques ; mais en dépit de cette apparente hétérogénéité, l’album reste cohérent dans son propos.
Les morceaux au personnel le plus étoffé sont Silver Scream et Ambient Emphasis, qui ouvre respectivement la face A et la face B. Le premier marie soliloques et dialogues jazzy de soufflants (Tullia MORAN et Jac BERROCAL), jets acides de guitares, grondements de basse et marquage rythmique appuyé. Le second dessine un climat de blues torpide et moite, avec flottement de saxophone soprano (Pierre MIMRAN), grincements acerbes de guitares, fines touches synthétiques et frappes feutrées de balais.
Gilded Drums est marqué par la sérénade spectrale de l’immanquable trompette de Jac BERROCAL et prend l’aspect d’une belle vignette à l’atmosphère « lynchienne « , ARTMAN ajoutant une touche rythmique de marche tribale à mi-parcours, tandis que GARRIGUES empile les couches de guitare, de basse et de claviers. Bouncing Bass avance dans un climat languide et instable, Jean-Bernard LEPAPE optant pour un jeu percussif chatoyant et intrigant et Robert LLOYD ajoutant une touche d’insolite avec sa mandoline dan bao vietnamienne.
Plus loin, la lente Solitude de Grégoire GARRIGUES, qui fait rugir ses guitares et fait gonfler ses basses, n’est interrompue que par l’intervention plus pimpante du piano de Jérome PONS. Le générique de fin fait entendre – pour la première fois chez THE COOL FEEDBACK – la voix, en l’occurrence celle de Robert LLOYD, qui se lance dans une tirade « coupable »… car Words are never Innocents.
L’ « esprit libre » de THE COOL FEEDBACK est loin d’usurper son titre, tant les six pièces de cet album stimulent l’imaginaire et, entre aigreur et moiteur, grincent très haut, méditent bien bas et résonnent fort loin.
Amateurs de secousses telluriques et de frissons stratosphériques, remettez-vous-en donc au Free Spirit de THE COOL FEEDBACK !
Stéphane Fougère
Label : http://www.milano-records.com/the-cool-feedback-quartet.html