The TANGERINE DREAM Bootleg Box Sets,
ou Les Boîtes à rêves (Part. 2 : 1976 – 1983)

À peine nous étions-nous remis de l’écoute du TANGERINE DREAM Bootleg Box Set Volume 1 que Sanctuary Records a remis ça en sortant quelques mois plus tard, le Volume 2. Ce second « bootleg box set » couvre la période 1976-1983, et propose cinq enregistrements de concerts (7 CDs au total), dont la qualité sonore est plus que satisfaisante.
Ce Volume 2 démarre en 1976, l’année où le Volume 1 s’était arrêté. Que dire de plus sur ce groupe, à part qu’il est toujours aussi performant sur scène et que la magie est intacte. Cette sélection 100 % live est un bon témoignage de l’évolution musicale progressive de TANGERINE DREAM, qui est l’un des rares groupes à avoir surmonté le passage de la fin des années 1970 à celui du début des années 1980, malgré un changement constant de musiciens, et l’utilisation de nouveaux instruments (le synthé balayant le mellotron, le moog …).
Les cinq concerts proposés sont les suivants :
* Nottingham (Albert Hall), 8 novembre 1976.
* Washington (Lisner Auditorium), 4 avril 1977.
* Hambourg (Audimax), 24 février 1978.
* Newcastle (City Hall), 25 octobre 1981
* Francfort (Fassbinder Memorial), 11 juin 1983.
Nottingham, 1976
Avec le premier concert du 8 novembre 1976 donné à Nottingham, nous entrons en plein dans la tournée européenne pour l’album Stratosfear (octobre – décembre 1976). Nous sommes encore dans la période la plus faste de TANGERINE DREAM, menée par Edgar FROESE, Chris FRANKE et Peter BAUMANN : trois magnifiques pièces qui sont à l’image du Dream idéal, pour une durée de 79 minutes.
Dès le début de la Part 1, il se dégage cette atmosphère féerique, petite accalmie avant la terrible tempête, caractérisée par cet éternel rythme : ce battement de cœur, cette pulsation qui est la force même de ce morceau, le maintenant en vie, avant de s’éteindre brusquement, pour toujours. La deuxième partie (30 minutes environ) débute par un émouvant solo de piano, reprenant pour l’occasion le final de Invisible Limits, puis s’engouffre dans un long développement pour synthés, séquenceurs et guitare électrique. Malgré un début prometteur, la dernière pièce est coupée au bout de 13 minutes d’invocations électroniques, et l’explosion sonore tant attendue n’aura hélas pas lieu. Dommage !
Washington, 1977
Le concert suivant présenté ici est tout aussi passionnant. Il est extrait de la tournée nord-américaine de 1977. Ce show du 4 avril, à Washington est de très bonne qualité ; normal, puisqu’il a été enregistré pour la radio. D’ailleurs, pour revivre l’événement, comme si nous étions assis devant notre poste, nous entendons, entre chaque morceau, les impressions des commentateurs. Nous avons la chance également d’avoir une interview très brève de Chris FRANKE avant le dernier rappel, et d’entendre à la fin du concert, la voix d’Edgar FROESE remerciant le public. Répartis sur deux CDs, les six titres montrent un TANGERINE DREAM au meilleur de sa forme.
Déjà présents sur le live officiel Encore, nous retrouvons Cherokee Lane, fascinante pièce avec cette intro assez space, et le superbe Monolight, à la fois inquiétant au début et très mélodique par la suite (incluant des thèmes de Ricochet Part. 2, de Nottingham Part. 1 (1976), de Stratosfear et d’Invisible Limits). Le CD1 se termine avec le gigantesque et hypnotique Monolith, d’une durée de 27 minutes : une pièce grandiose dans la grande tradition du trio allemand. Le deuxième CD offre également des moments magiques avec Drywater Rush, l’hispanisant Rain in Spain, et le très rock Octagon, où FROESE délaisse quelques temps ses machines pour la guitare électrique. Tout au long de ce concert, nous voyageons au son des séquenceurs, du mellotron, des choeurs cosmiques et du moog.
Ces performances en public de 1976 et 1977 dévoilent un TANGERINE DREAM plus accessible, même si sa musique ne perd rien de son. inventivité. Elle délaisse les bruits sonores (perceptibles encore sur Monolight), les atmosphères abstraites pour accentuer le côté mélodique et privilégier les rythmes et les séquences dynamiques. Mais, cette période marque aussi le départ de Peter BAUMANN, qui quitte le groupe à la fin de l’année 1977.
Cette tournée américaine de 1977 annonce ainsi la fin d’une époque et l’avènement d’une nouvelle ère. Depuis ses débuts, le groupe a été marqué par un changement régulier de son personnel (SCHULZE, HOENIG, BAUMANN). Un autre TANGERINE DREAM va naître avec FROESE, FRANKE, Steve JOLIFFE et Klaus KRIEGER (un vrai batteur, qui jouera par la suite avec Iggy POP sur New Values et Soldier). La formation existera le temps d’un seul album. Enregistré en janvier 1978, Cyclone est pour beaucoup une erreur, qui s’explique par la présence du chant de JOLIFFE (jouant également du synthé et divers instruments à vent : alto flûte, flûte basse, cor anglais…) sur les deux titres de la face A : un sacrilège impardonnable de la part d’un des groupes cultes de la scène planante, diront certains ! Cet album ne mérite pas tant d’injustices. Il possède une ambiance assez particulière, qui le rend attachant. Cyclone est un album de transition. Une nouvelle trajectoire est perceptible sur la partie chantée quelque peu new wave (Bent Cold Sidewalk, Rising Runner Missed by Endless Sender), alors que la face B est plus fidèle à l’univers de TANGERINE DREAM (Madrigal Meridian est une longue pièce instrumentale répétitive et complexe, nettement moins mélodique et accrocheuse que les deux titres précédents).
Hambourg, 1978
The Bootleg Box Set Vol. 2 nous fait découvrir une belle rareté, datant du 24 février 1978. Ce concert à Hambourg a fait l’objet d’un unique pirate (Audimax) ; le seul existant issu de la tournée Cyclone en Europe (du 19 février au 27 juin).
Deux titres figurent ici, témoignages solitaires de cette époque oubliée. Il est regrettable que ce live ne dure que 52 minutes. De plus, le son est plus difficile et assourdissant, quoique d’assez bonne qualité pour un bootleg (c’est un enregistrement en audience). Ce concert vaut le coup, et TANGERINE DREAM n’a rien perdu de sa crédibilité sur scène. La Part. 1 est la pièce maîtresse qui dure 43 minutes. Dès le passage mêlant piano-synthé-batterie (vers 2’40 »), nous entrons véritablement dans la galaxie tangerinienne. C’est une pièce typique, longue, obsédante, hypnotisante (avec la flûte de JOLIFFE), et répétitive. Nous retrouvons le TANGERINE DREAM que nous aimons avec de superbes envolées de synthés (vers la vingtième minute).
Puis, la Part. 1 va changer de rythme (à la 22’39″), et nous reconnaissons là, jusqu’à la 39e minute, le morceau Bent Cold Sidewalk (ou plutôt sa partie instrumentale). La voix de JOLIFFE surgit également, (vers 22’50 »), sous les applaudissements du public, certainement ravi de reconnaître un thème familier, parmi tout ce brouhaha électronico-futuriste.
Mais, ce n’est pas terminé puisqu’ils vont en plus superposer un court extrait de Madrigal Meridian. C’est TANGERINE DREAM dans toute sa splendeur. Ceux qui ont découvert le groupe avec Cyclone, et qui espéraient entendre les versions intégrales sur scène, ont probablement été déconcertés. Ne connaissant pas le côté live de TANGERINE DREAM, imaginez le choc ! La guitare de FROESE fait enfin son apparition (vingt-sixième minute), donnant au titre une ambiance très rock. Au final, un véritable cataclysme s’abat avec le retour du piano maudit, la batterie de KRIEGER et la voix effrayante de JOLIFFE. Heureusement, le synthé est là pour apaiser toute cette ambiance inquiétante, en reprenant le thème merveilleux entendu vers le début. Part. 1 se termine ainsi sur ces quelques notes enchanteresses et féeriques. Cette tranquillité ne va pourtant pas durer !
En effet, Part. 2 est une véritable furie sonore de 9 minutes. La flûte ouvre le bal, puis le groupe utilise comme ligne directrice, la rythmique répétitive de Madrigal Meridian. Une lutte sans merci va alors s’engager entre les quatre musiciens, non contents de laisser éclater leur folie destructrice, pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Ce concert de 1978 est une parfaite réussite. Nous ne sommes absolument pas déçus. Au contraire, nous sommes fascinés par toute cette violence sonore, rarement atteinte chez TANGERINE DREAM.
L’échec de Cyclone entraîne le départ de JOLIFFE, après cette tournée. FROESE et FRANKE continuent l’aventure et sortent Force Majeure en 1979, toujours secondés par Klaus KRIEGER à la batterie et également Edvard MEYER (violoncelle). Mais, il manque une troisième personne, pour remplacer BAUMANN, dont le départ a été un coup fatal à la stabilité de la formation. TANGERINE DREAM va réapparaître sous forme d’un trio avec l’arrivée de Johannes SCHMOELLING.
Le groupe est enfin prêt pour commencer un nouveau chapitre de son histoire, qui débute en 1980 (avec le live Pergamon et l’album Tangram) et se termine en 1985 après avoir sorti quelques albums studio et d’innombrables « soundtracks ». Et The Bootleg Box Set est là pour nous rappeler cette renaissance.
Newcastle, 1981
Après Hambourg en 1978, nous sommes transportés dans le temps : le 25 octobre 1981, à Newcastle. TANGERINE DREAM est sur le point de boucler son « British October Tour » (du 15 au 29 octobre 1981), suite à l’album Exit.
Enregistré et mixé entre juin et juillet 1981, cet album marque une rupture au grand désespoir des fans du début. Les compositions sont radicalement différentes. Les longues nappes planantes disparaissent au profit d’une musique ne dépassant pas les dix minutes et délaissant le côté cérébral pour des mélodies faciles. Les instruments connaissent des changements importants, avec l’avènement du synthétiseur succédant ainsi au mythique Moog, au séquenceur et au magnifique mellotron. Pour les sceptiques, Newcastle est cependant un fabuleux concert où la musique, par moment commerciale, est riche en couleurs et continue de faire rêver.
Sur le disque 1, le trio joue une longue suite, composée de quatre titres. Nous commençons avec le célèbre Logos Part. 1 : il s’agit en fait d’une version hybride, quelque peu méconnaissable, de l’intro de 1982 au Dominion de Londres. Le reste est exclusivement inédit, avec Sobornost (Edinburgh Castle), Digital Times Suite et Bondy Paradise (il faut reconnaître ici le morceau Bondi Parade figurant sur Sohoman, live Sydney 1982). La musique garde son aspect sombre digne d’un film d’action à la Michael MANN (Digital Times Suite), avant de revenir à une certaine mélodie naive.
Il y a ce côté dansant synthétique, très rythmé, sur le CD 2, avec l’extraordinaire version de 26 minutes de Mojave Plan (qui va figurer sur l’album suivant, White Eagle, en 1982), et une autre rareté, que nous retrouvons lors des tournées de 1981-1982, intitulée Thermal Inversion. D’incroyables envolées sont perceptibles avec les titres Force Majeure (ici dans une version de 3 minutes) et The Price (le fameux final de Logos Part. 2). Kiew Mission, extrait de l’album Exit, reste aussi un grand moment, et montre que TANGERINE DREAM est capable de nous transporter encore et toujours dans des mondes lointains. Reste le final Choronzon, autre rescapé d’Exit, dans une version longue de 11 minutes, qui n’est pas la meilleure création du groupe, et laisse percevoir une dérive commerciale évidente. Certains doivent probablement regretter les concerts d’antan. Le groupe tient la route, et nous pouvons dire qu’il passe les années 1980, sans trop de dégâts.
Frankfurt, 1983
Le rêve est toujours le même ; en effet, comme sur le précédent Bootleg Box Set, le Volume 2 se termine avec une prestation en Allemagne. Il s’agit du Fassbinder Memorial Concert, à Francfort.
Au cours de cet hommage rendu au réalisateur Rainer Werner FASSBINDER, FROESE et ses compagnons interprètent, le 11 juin 1983, une pièce unique, de plus de 35 minutes. Nous avons le privilège d’entendre une petite merveille atmosphérique et entraînante : une construction parfaite, une architecture moderne reposant sur plusieurs strates. L’intro sombre et mystérieuse est là pour planter le décor, avant l’arrivée du flamboyant Logos Part. 1 (cinquième minute), qui cède la place ensuite au non moins célèbre Poland (dix-septième minute). La tension monte lentement, jusqu’à ce feu d’artifice de rythmes robotiques, de percussions électroniques et de synthés féeriques parfumés de nostalgie, avant de revenir à un final plus calme, teinté d’un certain romantisme. Ce dernier set est un medley réussi, d’une grande puissance émotionnelle.
Ce Bootleg Box Set Vol. 2 propose des concerts magiques, avec un son plus que parfait, et de belles raretés pour les fans qui veulent compléter leur collection. IL est indispensable pour faire le point sur leur musique. Il résume assez bien, en cinq concerts, les deux décennies 1970-1980. En attendant le « Vol. 3 » (s’il y en a un !), qui risque cependant de s’intéresser à la phase post-SCHMOELLING, beaucoup moins créative et synonyme d’un certain essoufflement.
* TANGERINE DREAM – The Bootleg Box Set Vol.2
(2004, Sanctuary Records / Castle Music – réédition 2023, Esoteric Reactive)
Article réalisé par Cédrick Pesqué
Photo : X
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°17 – avril 2005)





