THIRD EAR BAND
La Forge du son extatique
(Part. 1)
À une époque où l’on ne parlait pas encore des musiques nouvelles européennes, ni de la « world music », mais où le rock psychédélique et proto-progressif était en plein essor, un groupe britannique, le THIRD EAR BAND, issu de la scène « underground » et « free » londonienne, inaugura une bien étrange mixture sonore à base d’instruments acoustiques (violon, hautbois, violoncelle, tabla…).
C’était en 1969, et ce « Groupe de la Troisième Oreille » s’est évertué rien moins qu’à transcrire les interactions vibratoires des éléments naturels chtoniens et célestes dans des jam improvisées dont les structures étaient inspirées par les musiques modales, aux consonances médiévales et orientales (style ragas indiens) et de musique de chambre contemporaine, « chamaniquement » soutenues par les rythmes minimalistes et obsédants de l’énigmatique percussionniste Glen SWEENEY, véritable maître d’écoute d’une autre dimension de la musique. Le choix du nom du groupe n’est du reste pas innocent : la « Troisième Oreille » permettrait une expansion de la conscience par la musique.
La forme acoustique et les connotations médiévalo-celtico-indiennes de sa musique ont poussé la critique musicale à voir en THIRD EAR BAND un précurseur d’une certaine forme de « world fusion », mais qui n’a en fait que peu à voir avec ce que ce terme a pu officiellement désigner dans les années 1990. En effet, l’exploration par le groupe de gammes modales, de boucles répétitives et l’usage de sons dissonants et grinçants faisaient plutôt écho à certaines formes de musique contemporaine. Le THIRD EAR BAND a façonné son identité musicale dans cet entre-deux, nourri à la fois de formes antiques, traditionnelles, et plus avant-gardistes.
Ses trois albums, Alchemy, Third Ear Band (a.k.a. Elements) et Music from Macbeth, à l’instar de l’athanor dans la tradition hermétique, ont fait figures d’antichambres expérimentales dont les portes ouvrent sur des horizons musicaux hors normes que certains continuent à explorer aujourd’hui.
Sans réel équivalent à son époque (à part peut-être chez les Français de SONORHC et les Allemands de BETWEEN), la musique de THIRD EAR BAND a inspiré des vocations tout aussi racées, intraitables, irréductibles aux étiquettes courantes. On peut en retrouver des échos dans l’acid-folk païen de COMUS ; chez UNIVERS ZÉRO, qui a opté pour une panoplie instrumentale assez proche et une consonance gothico-médiévale, mais pour générer une musique plus construite et de structure hautement labyrinthique ; chez BIOTA, qui a exploité une palette instrumentale toujours plus « exotique » pour engendrer de riches textures encore plus diffuses et abstraites, ouvrant sur des dimensions non moins absconses, etc.
RYTHMES CROISÉS vous propose de revenir plus en détail sur les principales étapes discographiques qui ont jalonné l’exploration musicale du THIRD EAR BAND dans sa première époque : 1969 – 1972.
Alchemy :
Manifeste pour des ragas en transmutation
Sorti en 1969 sur Harvest, sous-label de la firme EMI consacré au rock progressif britannique – et qui a révélé entre autres des œuvres de Kevin AYERS, SOFT MACHINE, PINK FLOYD, E.L.O., FOCUS, BARCLAY JAMES HARVEST, etc. – Alchemy donne à entendre une musique proprement inouïe dans le milieu musical underground londonien de l’époque. L’instrumentation est en elle-même assez inhabituelle chez un groupe affilié au monde du rock psychédélique et progressif alors en vogue : violon, viola (Richard COFF), hautbois (Paul MINNS), violoncelle, cornemuse (Mel DAVIS), tabla, tambourin, cloches, cymbales (Glen SWEENEY)… Pas de chant, pas de voix.
Pour l’anecdote, le groupe aurait choisi de s’exprimer sur cet instrumentarium suite au vol de ses instruments électriques. Pour Glen SWEENEY, c’était un signe du destin : cette musique qu’il souhaitait explorer se devait d’être jouée en mode acoustique. Il a eu raison ; c’est précisément cette couleur acoustique qui lui confère toute son inquiétante étrangeté. Les amateurs de rock proto-prog’ truffé de saturations « heavy » peuvent passer leur chemin : la musique du THIRD EAR BAND est entièrement jouée sur des instruments acoustiques que l’on a plutôt l’habitude d’entendre dans la musique classique et la musique ancienne. Pourtant, elle n’a pas plus à voir avec ces groupes néo-folk gentiment baba dont le message se borne à seriner « Woodstock forever »…
Non, Alchemy fait écouter une musique singulière, défricheuse, avec toutefois des réminiscences de musique médiévale, des échos de musique de chambre et des résonances de musique orientale, savamment distillées au sein de combinaisons minimalistes à base de gammes modales et de dissonances contemporaines. C’est un univers qui a le parfum de l’antique et de l’ailleurs et le goût de la démarche avant-gardiste. Pour cette raison, certains ont vu en Alchemy le précurseur d’une certaine « world music ». Mais du fait des formatages dans lesquels on a phagocyté ce « style » musical aujourd’hui, il serait plus prudent dans le cas de THIRD EAR BAND de parler de musique résolument « autre-mondiste ».
Les huit morceaux (largement improvisés) présentés sur Alchemy sont quasiment tous fondés sur des textures de drones médiévalisants et sur lesquels des fragments mélodiques répétés se déploient en lentes variations, comme dans la musique minimaliste, ou encore les ragas de la musique classique indienne. Cordes et vents se partagent alors les espaces d’expression soliste, fermement soutenus par des rythmes réguliers et imperturbables, cousins de ceux des pow-wows amérindiens, mais qui peuvent eux aussi dévier subrepticement.
D’entrée de jeu, nous sommes projetés dans une zone mouvante judicieusement nommée Mosaic. Elle inspire plein d’images mais ne s’accroche à aucune, car en constante mutation harmonique et rythmique. On est dans un monde en train de se faire, mais qui ne se précipite guère à prendre une forme trop figée. Le décrochage espace-temps est optimal.
Tout le long du disque, on a affaire à une confrontation d’énergies qui cohabitent, qui s’appellent, qui s’enlacent, qui fusionnent, mais n’aspirent pas forcément à l’ébullition ni au paroxysme, ou alors furtivement, et de manière insidieuse. Le processus se répète dans chaque morceau, mais les climats et les couleurs s’avèrent sensiblement différents, de même que les combinaisons instrumentales. Violon / contrebasse / hautbois / tabla forment la cellule la plus courante, mais une cornemuse, un tambourin, des cymbales et même une guimbarde (jouée par le fameux DJ John PEEL, en invité sur Area Three) sont également intégrés ici et là…
Véritable « impulseur » de l’activisme de cette Troisième Oreille, Glen SWEENEY présente sa musique comme une « réflexion de l’univers » (sic), une « danse extatique du son » (re-sic), ou encore une « répétition alchimique cherchant et parfois trouvant des formes archétypales, des éléments, des rythmes » dans laquelle « les dualités sont abandonnées en faveur du Tao » et qui entraîne l’auditeur à la dérive dans des paysages à la Hieronymus BOSCH…
Le recto et le verso de la pochette d’Alchemy renforcent ce lien avec la science alchimique, et ont beaucoup contribué à la mythification de la musique du THIRD EAR BAND, avec ces toiles peintes par David LOXLEY qui semblent provenir d’un obscur grimoire ésotérique du Moyen-Âge. Les dessins ne sont effectivement pas des créations originales. Celui du recto, montrant un guerrier levant son épée pour scinder un énorme œuf, est inspiré par une gravure du livre d’emblèmes Atalanta Fugiens écrit par Michael MAIER au XVe siècle, tandis que celui de la pochette verso, qui montre un chemin tracé entre les symboles de la lune et du soleil (ou le mercure et le soufre, en langue alchimique), fait écho à une gravure de Elementa Chemicae, un ouvrage de J.C. BARCHUSEN paru au XVIIIe siècle. Quatre ans plus tard, KING CRIMSON devait afficher les mêmes symboles du soleil et de la lune, cette fois dans une inspiration plus tantrique, sur son album Larks’ Tongues in Aspic… Le hasard existe-t-il ?
De même, les titres des morceaux de l’album renvoient à la théorie musicale indienne (Ghetto Raga), à la mythologie celtique (Stone Circle, Druid One), à la mythologie égyptienne (Egyptian Book of the Dead) et à l’imagerie moyenageuse (Dragon Lines), illustrant ainsi une forme de syncrétisme spirituel ou, comme l’indique le premier morceau, à une… Mosaic. Toutes ces références en disent long sur le bouillon de culture underground auquel s’abreuvaient les membres du THIRD EAR BAND. Elles peuvent faire sourire aujourd’hui, mais elles illustrent – de manière évidemment cryptée – la manière dont le groupe appréhendait son approche du son, son rapport à la musique et la fonction qu’il lui attribuait.
Avec Alchemy, l’auditeur est bercé par une ambiance hypnotique continuelle et simultanément secoué par des accents grinçants, ballotté entre douce rêverie et amer cauchemar, déambulant au sein d’un jardin de délices aux recoins aussi bucoliques qu’obscurs. Cette musique ne cherche pas tant à relaxer notre « moi intérieur » qu’à se connecter avec des forces énergétiques, des vibrations plus sépulcrales qui trouvent leur source dans le « Grand Tout ». Elle est à la fois tour de magie, manifestation de l’illusoire, processus de transmutation et spirale cyclique naturelle…
Seul le morceau final, Lark Rise, est plus tangible, car prenant l’allure d’un madrigal à la mélodie envoûtante. C’est également le seul morceau à ne pas être composé-improvisé par la triade COFF / MINNS / SWEENEY, mais par le violoniste Dave TOMLIN, ancien complice de SWEENEY dans un de ses précédents groupes, GIANT SUN TROLLEY. Il clôture l’album sur une note plus légère et accrocheuse, comme pour féliciter l’auditeur intrépide d’avoir tenu jusqu’au bout de ce « trip » qui a autant grimpé les hauteurs que remué les profondeurs. Si, après avoir écouté ce disque, l’auditeur a l’impression que sa conscience a atteint une nouveau stade de perception, c’est que le processus alchimique a parachevé son (Grand) Œuvre.
La Danse des Elements
S’il avait été un « one shot », Alchemy aurait pu suffire à faire de THIRD EAR BAND un OVNI total qui se serait gouré d’époque. Mais voilà, l’histoire du Groupe de la Troisième Oreille ne s’est pas arrêtée là. À peine un an après, en 1970, la bande à SWEENEY a récidivé avec un deuxième opus, lui aussi paru sur Harvest, avec une formation quelque peu modifiée : Paul MINNS, Richard COFF et Glen SWEENEY sont toujours à leurs places – respectivement au hautbois, au violon et aux percussions – et c’est Ursula SMITH qui s’empare du violoncelle. L’instrumentation est donc identique à celle d’Alchemy, et cette fois il n’y a pas d’invités.
On a eu l’habitude d’appeler cet album « éponyme », mais le titre Elements est plus idoine à illustrer de ce dont il retourne. Cette fois, le THIRD EAR BAND ne convoque plus les sagesses et les connaissances traditionnelles druidiques ou orientales, mais en appelle à la philosophie naturelle. En effet, les quatre morceaux qui composent le LP (deux par face) portent chacun le nom d’un élément primordial qui compose Mère Nature : Air, Earth, Fire et Water. Notez cependant que ces autre éléments sont aussi reliés à la symbolique alchimique. L’album affiche donc une continuité thématique avec le précédent. La pochette est à l’avenant et montre un ciel fardé de couleur pourpre. La peinture sonore de ces Elements offre au THIRD EAR BAND la perspective de pousser sa démarche à un certain paroxysme.
L’élément aérien démarre sur la pointe des pieds, on entend d’abord des vents naturels souffler, puis un instrument à vent, c’est le son du hautbois de MINNS qui fait entendre ses spirales comme dans une chambre d’écho. Les cordes de COFF et de SMITH s’étirent et grincent toujours avec autant d’acrimonie, et les percussions de SWEENEY, au début en arrière-plan, gonflent soudain leurs voiles, et leur résonance caverneuse créent un drone agité de groove, sur lequel les trois solistes piaillent et pépient, paradant comme des oiseaux sans cage…
L’insaisissabilité de la musique du THIRD EAR BAND trouve ici sa justification thématique ; et il a beau être question d’Air, le ton n’est pas si léger que ça. Une menace sourde semble poindre dans ce ballet de vents célestes, sans jamais se manifester complètement non plus… C’est sans doute une effet de la dualité taoïste inhérente à la démarche du THIRD EAR BAND…
Earth, comme on peut s’y attendre, est plus palpable, plus ancré dans le sol, et distille un parfum de médiévalisme fantasmatique. Surtout, il se distingue des autres pièces du disque par ses changements de ton et d’accords. Il démarre ainsi sur des notes de mandoline, alors qu’un autre instrument à cordes pincées fait son entrée peu de temps après. Et pourtant, Ursula SMITH et Richard COFF ne sont crédités qu’aux seuls violoncelle et violon. De même, on assiste bientôt à une conversation entre deux hautbois, comme si Paul MINNS s’était dédoublé. De l’ »overdubbing » chez THIRD EAR BAND ? Voilà qui n’est pas courant ! Enfin, Glen SWEENEY a changé de percussion, qu’il frappe immodérément en métronome infaillible.
Earth se démarque également par sa prise de vitesse et sa montée en puissance à mi-parcours. Et au moment où on aurait pu s’attendre à un paroxysme de chaos, la tension redescend d’un coup, et c’est en toute quiétude que tous les instrumentistes poursuivent leur quête onirique avant de reprendre progressivement de la vitesse, et… de s’éloigner à la faveur d’un fondu presque frustrant. Quoi qu’il en soit, Earth est vraiment une pièce à part dans cette quadrilogie « élémentale ».
Mais quand le Feu (Fire) se manifeste, on devine derechef que ce ne sera pas juste pour allumer une torche et alimenter une cheminée le long d’une soirée romantique. Violon, hautbois, violoncelle et percussions prodiguent un son dense, continu, étouffant, au point qu’il n’est pas toujours facile de distinguer ce que l’on entend exactement. Le hautbois aurait-il été à nouveau dédoublé, à moins que ce ne soit le violon ? En tout cas, leurs grincements resserrés forment un maelström qui ne cesse de tourner en spirale sur lui-même.
Le morceau semble faire du surplace pendant ses neuf minutes, mais il a un indéniable pouvoir hypnotique si tant est qu’on veuille bien s’y abandonner. La fournaise s’installe, les bois crépitent, et les flammèches multiplient leurs complaintes, toujours plus véhémentes, et dévorent tout l’espace. C’est un Feu à la fois joyeux et dangereux. Fire ressemble à une jam échevelée lors d’un cryptique rituel oriental… Les danses s’y font brûlantes, passionnées, torpides, consumantes, tandis que les esprits s’engourdissent par tant de vertiges… A-t-on évoqué un sacrifice ? Il semble qu’il ait eu lieu.
Et parce qu’il n’y a que l’eau pour arrêter la marche du feu, Water coule ensuite à petits flots, apportant dans cette dernière étape élémentale un brin de sérénité. Après une introduction très « ambient », le hautbois dessine une mélodie aux relents d’orientalisme langoureux qui distille une douce extase. Le violoncelle y appuie ses graves, les percussions se mettent en sourdine mais restent constantes, et hautbois et violon se répandent en ruisseaux de larmes ou de joie, allez savoir… On imagine bien cette eau hydrater quelques scènes d’un thriller médiéval… À la toute fin, petit ruisseau est devenu grand, et c’est sur le bruit des vagues que le THIRD EAR BAND prend congé de son auditoire, encore pétrifié par la force et la beauté de ces Elements naturels…
Alchemy / Elements : deux albums d’un autre âge, un diptyque en connexion avec une autre dimension, qui ne pouvaient émerger que pendant ces années où le psychédélisme était une voie exploratoire effervescente et qui, simultanément, n’en portent pas les stigmates stylistiques usuels, juste quelques atmosphères… Réunis en 2004 par Gott Discs sur un double CD, réédité en 2009 sur BGO Records, ces deux disques ont bénéficié d’une remastérisation qui éclaire les détails et rend les reliefs de cette musique de chambre modale et chamanique plus saillants, valorisant ainsi sa portée vibratoire. C’est dire si la remise à disposition de ces deux pierres de touche que sont Alchemy et Elements s’avérait indispensable, tant il est vrai que cette Troisième Oreille mérite d’être mise sur écoute et qu’elle n’a pas encore livré tous ses secrets…
Music from Macbeth :
le nouvel âge de la sorcellerie
Il y a dans la vie d’un groupe des rencontres déterminantes pour son évolution. Celle du THIRD EAR BAND avec le réalisateur Roman POLANSKI en a été une. Paru en 1972, Music from Macbeth est, comme son titre l’indique, la bande originale du film sorti en 1971. Après avoir réalisé deux opus fortement défricheurs et résolument uniques dans le milieu du rock psychédélique (précisément parce qu’ils n’étaient pas rock !), THIRD EAR BAND s’essaye donc au format « bande originale de film », sur lequel on ne l’attendait pas forcément. (Ce n’était cependant pas son premier coup d’essai dans le domaine puisque le groupe avait, peu après Elements, enregistré la bande originale d’un téléfilm allemand de Herbert FUCHS, Abelard and Heloïse. Cet enregistrement n’a pas été publié à l’époque, mais a été exhumé pour la première fois sur un CD accompagnant l’ouvrage que le journaliste italien Luca FERRARI a consacré à THIRD EAR BAND, Necromancers of the Drifting West, publié en 1997.)
Sur ses deux précédents albums, les ragas alchimiques que le THIRD EAR BAND avait développés étaient de nature à provoquer des visions. Mais pouvaient-ils se soumettre à des images pré-déterminées, et qui ne sont pas l’œuvre des membres du groupe ? Fatalement, ce genre de projet pouvait laisser présager – ou craindre – un changement de perspective, voire d’orientation musicale. C’est ce qui s’est produit avec Music from Macbeth, qui voit le THIRD EAR BAND sonner plus électrique ! Pas de quoi crier au loup toutefois, car cette évolution était déjà en gestation dans l’histoire du groupe…
En effet, entre l’enregistrement d’Elements et celui de Music from Macbeth, il s’est passé un peu plus d’un an. Dans ce laps de temps, le THIRD EAR BAND a eu le temps de changer de configuration. Le groupe a en effet connu quelques changements de personnel après le départ de Richard COFF et d’Ursula SMITH. Le THIRD EAR BAND, qui détonait dans le milieu du rock psychédélique par son choix d’une musique acoustique, a ainsi tenté un virage plus électrique. Un troisième album illustrant ce changement, The Dragon Wakes, a même été annoncé en 1971, mais n’a jamais été publié.
Néanmoins, Music from Macbeth a gardé les stigmates de cette nouvelle orientation. Le noyau dur SWEENEY / MINNS y est ainsi renforcé par une section plus électrique constituée de Denim BRIDGES (guitares), Simon HOUSE (violon et VCS3 ; ex-HIGH TIDE), et un certain Paul BUCKMASTER (violoncelle et basse), qui avait travaillé avec Elton JOHN, David BOWIE, les ROLLING STONES et Miles DAVIS, et qui fera par la suite amplement parler de lui en tant qu’arrangeur et compositeur que bon nombre de célébrités se sont arraché (Paul BUCKMASTER nous a quittés le 7 novembre 2017.)…
Dès le thème du générique du film, on pressent que ce nouveau THIRD EAR BAND opère un net démarquage par rapport à ses opus précédents. Si Overture contient une mélodie aux relents médiévaux, le leitmotiv de basse de BUCKMASTER et les curieuses notes acrimonieuses égrenées par la guitare de BRIDGES annoncent un son plus épais, plus ample, mais tout aussi envoûtant qu’auparavant.
Mais le thème qui suit, The Beach, creuse encore la distance avec ce que le THIRD EAR BAND nous avait habitués à entendre de sa part. Des notes étirées de violoncelle, des sons grinçant de hautbois et des cris de mouettes dessinent une ambiance brumeuse de petit matin blême… On est ici aux confins d’une musique expérimentale pré-industrielle. C’est un hautbois tout aussi lancinant qui erre en plein désert sur Lady Macbeth, à peine soutenu par d’étranges nappes de violon. Sur ces fragments comme sur d’autres, les percussions de Glen SWEENEY se distinguent par leur absence.
Tout n’est cependant pas aussi abstrait dans cette B.O. On y trouve également des thèmes plus accessibles qui prennent la forme de danses médiévales, contexte scénaristique et historique oblige (Macbeth’s Return, The Banquet, Court Dance, Groom’s Dance, Wicca Way…). Les membres du THIRD EAR BAND jouent du reste dans le film de POLANSKI, grimés en troubadours ambulants requis pour animer les orgies du roi MACBETH. On les voit notamment accompagner la ballade joliment perverse Fleance (interprétée par le jeune comédien Keith CHEGWIN), qui, sur le disque, fait fonction d’oasis angélique au sein d’un univers sonore souvent glauque, déstabilisant et tourmenté.
Des thèmes de danses médiévales y jouxtent des dissonances radicales, le tout préfigurant les ambiances austères d’un UNIVERS ZÉRO, en plus psychédélique. Le THIRD EAR BAND a troqué ses longues improvisations modales contre des piécettes autrement avant-gardistes parfois crispantes (Dagger and Death, Ambush/Banquo’s Ghost, Prophesies), mais dont le format s’adaptait mieux au contexte B.O. Toujours empreinte d’ésotérisme, la musique de THIRD EAR BAND, sur MacBeth, devenait à la fois plus abstraite et paradoxalement plus palpable. Son traitement électro-acoustique attestait d’une nouvelle direction qui ne sera hélas pas suivie…
Pendant longtemps, Music from Macbeth est resté comme l’album qui a clôturé un certain âge d’or pour la Troisième Oreille, non sans lui lui avoir fourni une plus grande visibilité artistique. Elle n’en a pour autant perdu son âme ; celle-ci a juste opéré une mutation.
Après Music from Macbeth, le THIRD EAR BAND a connu d’autres modifications internes de son personnel, a enregistré fin 1972 d’autres compositions pour un album qui n’a fait surface qu’en 2004 sous le titre The Magus, puis s’est mis en pause. Une tentative de réactivation s’est produite en 1976, mais n’a pas dépassé le stade des répétitions. C’est cependant cette année-là que le label Harvest a sorti une compilation, Experiences, qui regroupe des morceaux des albums Alchemy, Elements et Music from Macbeth.
Deux ans après, une autre mouture du THIRD EAR BAND a donné quelques concerts en Angleterre et un album a été enregistré mais n’a pas été publié à l’époque. (Il a fini par l’être en 1991 chez Materiali Sonori sous le titre Prophecies, crédité à Glen SWEENEY’s HYDROGEN JUKEBOX.)
Puis, le THIRD EAR BAND s’est évanoui dans la nature pendant toute une décennie, et a réapparu avec une nouvelle formation à la fin des années 1980, à la surprise générale. Mais cela est une autre histoire qui vous sera contée plus tard…
Article réalisé par Stéphane Fougère
DISCOGRAPHIE THIRD EAR BAND (1969 – 1972)
Alchemy (Harvest, LP, 1969 – Drop Out Records, CD, 1988)
Elements (Harvest, LP, 1970 – BGO Records, CD, 1990)
Music from Macbeth (Harvest, LP, 1972 – BGO Records, 1990 – réédition CD : Blueprint, 1999)
Experiences (Harvest, LP compilation, 1976)
Alchemy / Elements (Digitally Remastered ; Gott Discs, 2CD, 2004 – réédition : BGO Records, 2CD, 2009)
Ce premier chapitre de l’histoire du THIRD EAR BAND est longtemps resté connu à travers le seul triptyque Alchemy, Elements et Music from Macbeth. Depuis, d’autres enregistrements inédits de la même époque sont venus enrichir la discographie du groupe et éclairer des zones méconnues de son parcours entre 1968 et 1972 :
Abelard and Heloïse (Blueprint, CD, 1999)
The Magus (Angel Air, CD, 2005)
The Lost Broadcasts (Radio Bremen/Gonzo Multimedia, DVD, 2011)
Necromancers of the Drifting West (Gonzo Multimedia, CD, 2015)
(Cliquez sur les liens pour lire les chroniques consacrées à ces disques.)
Site : https://ghettoraga.blogspot.fr/
(Blog contenant 10001 informations et documents divers sur toute l’histoire du THIRD EAR BAND, créé par le journaliste italien et « über-fan » Luca FERRARI – une mine d’or exemplaire !)