TRITHA ELECTRIC : La « Femme folle » de l’underground indien

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TRITHA ELECTRIC

La « Femme folle » de l’underground indien

En Occident comme en Orient, forte et indécrottable est la conviction que la musique et le chant traditionnels indiens, de nature raffinée, envoûtante et volontiers méditative, ne peuvent trouver de terrain d’entente avec les formes d’expressions musicales électriques, plus tonitruantes. Ce préjugé, TRITHA ELECTRIC se fait un plaisir de l’éclabousser sans afféterie avec son rock psychédélique abreuvé de krautrock 70’s et dûment parfumé au chant hindoustani et bengali sans âge.

Loin d’être une bouffonnerie exotico-world concoctée par un directeur marketing en mal de « révélation » préfabriquée, TRITHA ELECTRIC est une entité artistique qui, toute extra-terrestre qu’elle puisse paraître, répond au besoin viscéral de sa chanteuse, Tritha SINHA, chanteuse traditionnelle native de Calcutta maîtrisant le chant khyal et les bhajans semi-classiques, de faire entendre une voix féminine avide d’affranchissement, en dépit des préjugés sociaux et politiques qui minent toute forme d’émancipation des femmes sur le continent indien.

Sans délaisser le cœur même de l’expression traditionnelle hindoustanie, Tritha SINHA, appuyée par ses acolytes français, le batteur Paul SCHNEITER et le guitariste Mathias DURAND, peut à l’occasion se métamorphoser en pythie punk ou « explosée » pour chanter les corruptions politiques et environnementales, ou simplement les mutations psychologiques d’une femme trop à l’étroit dans les convenances sociales.

L’origine de TRITHA ELECTRIC remonte à 2010. C’est à cette époque que Tritha SINHA rencontre Paul SCHNEITER, alors ingénieur du son installé à Delhi. Ils sont rejoints en 2013 par Mathias DURAND et dès lors, TRITHA ELECTRIC écume les salles de concerts sur trois continents. Entre le premier album paru en digital en 2014, PaGLi, et Raagas in Paris, sorti également en digital à l’été 2017, TRITHA ELECTRIC a fait entendre sa singulière voix sur une bonne centaine de concerts. Vous cherchez à nettoyer vos esgourdes de leurs œillères ? Ce trio indo-français à l’improbable fusion est à découvrir d’urgence ! RYTHMES CROISES l’a rencontré à l’occasion de sa flamboyante performance lors de l’édition 2017 du Festival du Chant de Marin de Paimpol.

Entretien avec TRITHA ELECTRIC

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Mathias DURAND : Nous nous sommes rencontrés en Inde. J’ai rencontré Tritha il y a huit ans à Calcutta. Nous faisions déjà de la musique, mais nous ne pensions pas du tout à monter un groupe. Puis Tritha a rencontré Paul à Delhi un an plus tard, et ils ont commencé à jouer ensemble. Ils sont venus l’été en France, alors nous nous sommes revus à cette occasion et l’idée est venue de monter un groupe tous les trois. Et nous avons commencé en 2013.

Avant de monter ce groupe, quel genre de musique jouiez-vous séparément ?

Tritha SINHA : J’étais une chanteuse classique indienne qui apprenait toujours le chant classique indien depuis son enfance.

Quel genre de chant ?

Tritha : C’était surtout du chant khyal et aussi des bhajans semi-classiques. J’ai fais aussi un peu de musiques de films, du Tollywood de Calcutta, du Bollywood de Bombay, mais je suis plus souvent sur scène. J’ai poursuivi cette carrière pendant environ sept ans, et il y a eu une sorte de vague en moi en 2010 qui m’a poussé à faire une musique qui venait de mon cœur, de mon âme. J’ai eu envie d’écrire des chansons, alors j’ai commencé à monter des groupes. À Calcutta, j’ai eu un groupe de femmes avec ma meilleure amie dans lequel nous écrivions des chansons sur l’autonomie des femmes en Inde en tant que femmes indiennes modernes.

Ça devait être inhabituel à entendre ?

Tritha : Oui c’était vraiment très inhabituel, et les gens étaient très choqués parfois de nous entendre nous exprimer ainsi. Mais il y a toujours eu une partie de moi qui voulait s’exprimer sur ma condition de femme indienne et j’étais une musicienne classique qui voulait s’exprimer à travers la musique et rencontrer le monde. Alors, lorsque je rencontrais des musiciens comme Paul ou Mathias, j’étais toujours très excitée de faire des mélanges et de les écouter, de comparer nos styles et nos cultures et de discuter. Le meilleur moyen de discuter avec des musiciens est de jouer de la musique ensemble. Voilà l’histoire de mon côté. Paul était dans un groupe de rock à Delhi.

Paul SCHNEITER : Oui, je travaillais en Inde comme ingénieur du son et comme batteur. J’étais en train de monter un studio à Delhi et je jouais avec deux ou trois groupes de rock qui tournaient en Inde et puis j’ai rencontré Tritha. Je faisais le son sur une production franco-indienne justement à Delhi, une sorte d’adaptation de la comédie musicale Hair, donc qui choquait quand même beaucoup en Inde mais faite par un Français un peu taré et financé par des Indiens, où Tritha était l’une des chanteuses et où je m’occupais de la régie son. Et c’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Et j’ai tout de suite eu envie de faire de la musique avec elle.

Tritha : Il est venu me voir et m’a dit : « Hey, j’aime bien ta façon de chanter ! » Je ne savais pas du tout qu’il était batteur. Il était ingénieur du son sur ce projet. Je l’ai vu une fois jouer avec un groupe de rock et j’ai dit :« Wah ! Ça c’est un jeu de batterie puissant ! » Il m’a alors dit : « Toi aussi tu as quelque chose de rock en toi. » Et je lui ai répondu : « Non, non, non, je suis une chanteuse classique indienne. » Et il m’a rétorqué : « Tu devrais essayer. J’ai vu que tu joues de la guitare acoustique. Pourquoi ne la changes-tu pas pour une guitare électrique ? Mais tu pourrais garder ton sari…». Il pensait déjà à une forme de fusion…

Ce qui m’a vraiment plu, c’est que la musique rock me permette de me sentir libre, alors je me suis dit « pourquoi pas ? ». J’avais déjà joué avec un musicien français à Delhi, un bassiste, pendant environ un an et nous avions fait ensemble l’une de nos chansons les plus connues, Fish Market, que j’ai écrite à propos de la corruption en Inde.

Quand nous sommes venus à Paris nous voulions passer l’hiver et l’été à Paris, aller dans les festivals, et je lui ai dit « Il faut que je te parle de ce guitariste fantastique, un de mes grands amis, que nous devrions inviter pour jouer », et c’est alors que Mathias nous a rejoint. Ça a commencé comme ça.

Avais-tu déjà entendu le style de musique que Paul jouait ?

Tritha : À Paris, non. Il avait déjà fait partie de groupes à Paris qui étaient très actifs et avait plusieurs projets. Mathias a aussi ses propres projets et il joue également avec d’autres musiciens dans plusieurs groupes, il travaille avec des auteurs de chansons et il écrit pour lui aussi. Ça s’est fait très naturellement, nous étions amis et nous sommes devenus collègues maintenant.

Mathias, avant de rencontrer Tritha, avais-tu déjà travaillé avec des chanteurs ou des musiciens indiens ou était-ce la première fois ?

Mathias : Oui et non. Je suis allé en Inde la première fois pour apprendre la musique classique, et pour aller chercher un professeur. Et en rencontrant Tritha, elle m’a présenté son professeur de chant avec qui ça a très bien collé, et on a aussi commencé à jouer ensemble tous les deux en fait. Je faisais de la guitare acoustique et du chant et, à cette époque, on n’avait pas commencé à jouer tous les trois, ni même tous les deux. Mais assez rapidement, j’ai invité à venir le prof, Santanu BANDYOPADHYAY, très bon chanteur à écouter. Il est venu en France faire quelques concerts et sur ces mêmes concerts j’avais invité Tritha à venir aussi, et il y avait aussi le groupe avec lequel je jouais à l’époque, avec clarinette, percussions, chant et guitare acoustique. C’était pas rock, c’était plutôt de la musique folk. Je pense que c’est parmi les premiers concerts qu’on a faits, à Saint-Eustache.

Tritha : À Saint-Eustache, j’étais plus qu’une invitée en fait (rires), mais c’était très intéressant pour moi de chanter avec mon gourou dans un projet de fusion, de musique du monde. Auparavant, nous avions comme une relation gourou et fille et, soudain, nous étions sur la même scène et nous jouions ensemble, avions un dialogue, ce n’était plus un cours.

Et à ce moment-là, je ne savais pas que nous formerions un trio comme le nôtre. Je pense que simplement nous suivons toujours nos cœurs et la situation a fait que Mathias était aussi ouvert à l’idée de venir en Inde, et Paul était déjà en Inde. J’aime venir en France, j’y venais déjà auparavant pour faire des concerts de musique classique indienne et pour enseigner un peu. Alors c’est allé de pair avec nos désirs musicaux. Et aussi le fait que nous étions connectés humainement a aidé le groupe à travailler. Peu après, nous commencions déjà à faire des chansons ensemble.

Femme fêlée

Il faut que je parle de ma première chanson. J’étais une chanteuse classique à Bollywood mais, en secret, j’écrivais des chansons et la première que j’ai écrite et qui n’est pas classique du tout s’appelle PaGLi, sur une femme fêlée qui essaie de comprendre la liberté. Parce qu’en Inde, ce n’était pas facile d’être libre pour une femme.

Ce n’est pas le genre de chanson qu’on entend tous les jours en Inde ?

Tritha : Non, et je ne m’étais encore jamais exprimée comme ça (rires). C’était très étrange, et je me suis vraiment exprimée un jour avec un(e) ami(e) qui me poussait à faire n’importe quoi et pas seulement des classiques indiens, pas nécessairement des choses que je savais faire, qui essayait de me déconditionner d’être une chanteuse indienne classique, et quelque chose a émergé de mon écriture qui était très libre, très « non-classique », très profond. Peut-être que j’essayais en tant que compositrice de comprendre ce qu’est la liberté, de célébrer la folie, et je pense que c’est à ce moment-là que m’est venue l’idée d’écrire des chansons.

Ça peut faire peur d’entendre des chansons sur la liberté ?

Tritha : Oui, exactement. Peu après, une opportunité s’est présentée. Je commençais à faire des vidéos, j’étais avec des amis et nous envisagions de faire une vidéo indépendante. Et nous avons fait une vidéo de cette chanson qui peut faire peur : elle montre une femme dérangée et pas du tout glamour comme à Bollywood, qui montre toujours les femmes attrayantes, sexy. J’en avais assez de ces clichés. Peu après, j’ai montré cette vidéo à Paul qui m’a dit qu’il fallait la mettre en ligne. Et j’ai répondu : « Non, non, non ! Qu’est-ce que mon gourou va dire ? Qu’est-ce que mes parents vont dire ? » Puis, avec mes amis, nous avons décidé de la mettre en ligne, et ça a marché.

C’est alors que nous avons eu des chances de jouer à Delhi. À cette période (2010), Delhi était une ville très ouverte, les jeux du Commonwealth venaient d’avoir lieu et le monde venait à Delhi. C’était une époque très intéressante, et beaucoup de musiques et d’artistes indépendants étaient encouragés. Aussi, nous avons eu beaucoup d’opportunités pour jouer ensemble.

Underground Ragas

Vous n’étiez plus un groupe underground ?

Paul : Toutes les musiques modernes sont toujours underground, sauf la musique électronique qui est assez « mainstream ». Huit ans auparavant, lorsque j’ai commencé à venir en Inde – et Mathias également – il y avait le Bollywood, le classique et pas grand-chose d’autre. Il n’y avait qu’un seul club à Delhi qui diffusait de la musique live. Dans une ville de 10 millions d’habitants, il n’y avait qu’un endroit, peut-être deux, mais pas plus de cinq, c’est sûr.

Tritha : Il y avait de la musique tous les jours. La nuit, des jeunes s’exprimaient et il en ressortait des musiques géniales. À la même époque, nous commencions à venir à Paris l’été, et j’étais vraiment éblouie par tant de musiques. J’allais au Théâtre de la Ville, à Châtelet, j’y ai vu tant d’artistes du monde incroyables, qui n’avaient rien des superstars indiennes. Nous avons appris beaucoup de choses. Et puis nous avons commencé à jouer avec Mathias, qui nous a dit : « J’ai un studio, voulez-vous enregistrer un album ? » Nous avions déjà commencé à travailler sur notre premier album, alors nous avons commencé à enregistrer et l’album a été réalisé le mois dernier en groupe.

C’est votre premier album ?

Tritha : Avant cela, nous avions fait PaGLi. La chanson est devenue un album avec d’autres chansons, parmi elles Fish Market, qui était un morceau très punk sur la corruption, que nous jouons en concert. C’est une voix classique indienne qui trouve sa liberté, en faisant parfois des choses pas du tout classiques, une fille qui devient une femme moderne avec des idées radicales. C’est un album très intéressant que nous avons fait avec Paul, et qui contient deux morceaux enregistrés aussi avec Mathias. Peu après, nous avons voulu faire le deuxième album en groupe, ce que nous avons fait le mois dernier à Paris. Il s’appelle Raagas in Paris. La tournée de cet album a lieu en ce moment en Europe. Aujourd’hui vous allez entendre une grande partie du répertoire de Raagas in Paris.

C’est un album studio ou live ?

Mathias : C’est un live enregistré en studio (rires). Pour certaines chansons, les compositions ont été faites en studio et enregistrées en une seule prise. C’était intéressant de garder de nombreuses improvisations dans le cadre d’un enregistrement studio. On garde le côté spontané, mais il y a eu aussi de la production. Nous avons gardé les bases du live et avons ajouté de petites choses ça et là.

Des overdubs ?

Mathias : Oui, des overdubs, mais la base guitare, voix, batterie provient de la prise live.

Toutes vos compositions sont faites à partir d’improvisations ?

Mathias : La plupart, mais ça dépend. Quand nous jouons tous les trois, oui, c’est toujours le cas. Parfois Tritha amène de vieilles chansons qu’elle a apprises d’un gourou.

Tritha : Oui, j’amène parfois des classiques en disant « on peut interpréter ce morceau classique ou ce raga d’une manière différente ». Parfois, j’ajoute des textes à des chants folkloriques, comme Radha. Tout le monde connaît Krishna, mais personne ne connaît Radha. C’est une femme qui est l’autre côté de Krishna et je voulais l’évoquer. J’ai pris un chant appelé Kolonkini Radha, issu du folklore traditionnel, en le réarrangeant. Parfois j’écris aussi de nouvelles chansons, l’une d’elles parle des relations qui sont fragiles de nos jours et peuvent se briser si facilement. Certaines chansons comme Saajan, Rangamati, viennent du précédent album, PaGLi. Il y a d’autres chansons que je chante depuis longtemps qui seront dans le prochain album et d’autres que nous avons faites ensemble.

Je dirais que nous composons de trois manières. La première, lorsque nous sommes tous les trois et que nous ne savons pas ce qui va se passer, nous jouons et quelque chose se passe. La deuxième, lorsque j’amène des chansons et que nous les réarrangeons, et la troisième, qui arrive quelquefois, c’est lorsqu’il y a une intervention divine. Les paroles coulent toutes seules et la musique avec, une seule prise, et c’est fait. C’est arrivé aussi.

Des scènes pour une différence

Où jouez-vous le plus souvent, en Europe ou en Inde ?

Tritha : Nous avons joué en Malaisie, à Madagascar, beaucoup en Inde. Pour la sortie de notre dernier album, nous avons fait une tournée de vingt villes en Inde.

En Inde, y a-t-il une évolution des réactions du public ?

Paul : En général, les gens aiment notre musique en Inde. Mais il n’y a pas beaucoup de scènes pour nous. Je sais qu’il y a un public large pour ce que nous faisons, mais il n’y a pas de moyen actuellement de rencontrer ce public en faisant des concerts. Les réseaux sociaux ne sont pas très efficaces pour réunir les artistes indépendants et leur public, parce qu’il y a très peu de clubs. Il n’y a pas de squats en Inde, et la plupart des festivals sont quand même plutôt financés par des grosses boîtes, des marques d’alcool. Enfin tout est quand même assez mainstream, gentil.

Thrita : C’est en train de se développer parce que, au début, nous jouions dans des endroits, des clubs plus petits, et puis nous avons commencé à jouer dans des festivals où d’autres groupes indépendants se produisent. Cette année, nous allons peut-être jouer dans des collèges. Des concerts dans des collèges, devant de futurs juristes ou de futurs ingénieurs, c’est très bien. Nous avons joué dans des lieux respectés, comme Ahmedabad et chez Mallika SARABHAI, qui une très grande danseuse et aussi une activiste. Elle a une belle salle où nous avons joué des morceaux dingues comme PaGLy devant un public familial. Les gens écoutent notre musique et la trouvent intéressante, différente, parce que nous ne faisons pas ce qu’on attend de nous en tant que chanteuse ou groupe. Cela prend aussi du temps, mais nous restons fidèles à ce que nous sommes en groupe, les gens nous écoutent et prennent davantage conscience de ce que nous faisons.

Changer l’image de la femme indienne

Pensez-vous que vos textes, vos chansons, peuvent contribuer à changer la situation de la femme en Inde ?

Thrita : Je fais juste mon travail en m’exprimant, et le changement peut arriver très lentement. Il y a une sorte de mouvement en Inde de femmes qui veulent être libres, et pas seulement dans la musique. Des chansons comme PaGLi ou Fish Market font en sorte que les gens remarquent davantage la représentation symbolique de la femme indienne qui fait quelque chose de non traditionnel, qui s’affranchit de la tradition. J’espère que ce sera le cas.

Parce que j’ai eu la chance de venir en Europe et de vivre comme une femme libérée et lorsque je rentre en Inde, je sens que quelque chose n’est pas juste. C’est comme une responsabilité à partager, je dis « oui, nous pouvons le faire ». Je pense que la musique m’a vraiment donné la possibilité de partager ça. Nous ne devons pas faire les mêmes erreurs, être ultra-féministes. Les hommes peuvent ne pas apprécier. Il faut que nous comprenions le problème ensemble, et la situation sera meilleure pour les deux.

Imprégnations

Quelles sont vos influences musicales ?

Mathias : C’est très large parce que chacun de nous a écouté des choses très différentes, on a joué des choses très différentes et on a été formés à des musiques très différentes. Le socle qui met tout ça en commun, c’est bien sûr la musique classique indienne.

Paul : C’est d’abord le krautrock et ensuite la musique classique indienne.

Mathias : On pourrait imaginer que c’est une forme de krautrock indien, de rock psychédélique indien. En fait, si fusion n’était pas un terme qui a été si mal employé pour plein de musiques, on pourrait vraiment dire que c’est de la fusion. Parce qu’on est allés chercher les uns comme les autres, essayé en tout cas de comprendre un peu la racine de l’autre. Que ce soit Paul ou moi d’aller voir ce qui se passe dans la musique classique indienne et un peu plus même d’apprendre pour ne pas juste utiliser en surface un raga et avoir juste une petite couleur pour faire joli, essayer d’aller plus loin que ça. On ne joue pas des ragas dans les règles, etc. Mais en tout cas on les connaît, ce qui nous permet aussi de respecter profondément ce qui est à la base des ragas.

Les structures sont quand même là, vous jouez avec ?

Mathias : De temps en temps. On joue avec. Il y a des chansons qui sont clairement ancrées dans la tradition. En Inde, il nous arrive, à des concerts, que de vrais amateurs de musique classique nous disent : « Ah ! tiens, c’est marrant, cette chanson vous l’avez jouée dans ce rag-là… ». Il y a quelques personnes qui vont reconnaître ça et, en même temps, Tritha a fait l’autre partie du chemin, elle chante du punk. Nous on ne vient pas nécessairement du punk comme disait Paul, nous c’est plutôt krautrock, rock psyché, influences sixties.

Tritha : Oui, c’est juste moins calme (rires).

Un groupe comme AGITATION FREE a-t-il été une influence ?

Mathias : Je ne connais pas bien AGITATION FREE. Mais CAN, NEU, oui. Ça, c’est pour ce qu’on joue ; mais sinon, plus largement, je me suis senti très bercé de free-jazz, Eric DOLPHY, toute la bande à COLTRANE… Après j’ai étudié la musique électro-acoustique, la musique acousmatique, proche de la musique contemporaine. On est dans un panorama large.

Et justement, si je peux préciser quelque chose par rapport à notre façon de fonctionner dans cette fusion, c’est qu’on ne cherche pas à intégrer d’instruments indiens. Il n’y a pas de sitar, ni de flûte, ni de tablas.

Tritha : Juste moi avec le sari et ma voix (rires).

Profondément indien, formellement autre

Mathias : On a formé un groupe à trois parce qu’on avait envie de jouer tous les trois, et il se trouve que dans le groupe, il y en a un qui est batteur plutôt de rock, il y a une chanteuse qui vient de la musique classique indienne. Donc sans nécessairement se dire : « Il faut absolument qu’on mette l’Inde en valeur plus qu’elle ne l’est déjà. » C’est déjà totalement là, on vit là-bas, on étudie ça et Tritha fait ça depuis 25 ans. C’est déjà là, donc on ne cherche pas à rajouter tous ces sons, mais ils seront là de temps en temps s’ils viennent naturellement. On ne s’interdit pas de les mettre.

Est-ce qu’il vous arrive d’inviter des musiciens indiens ?

Tritha : Oui quelquefois. J’aime aussi la production parce que j’ai toujours fait du Bollywood et je fais partie d’autres groupes qui ont beaucoup de danse. Parfois, nous participons à des shows au cours desquels on nous demande de jouer avec un chanteur rajasthanais, par exemple.

En Inde parfois, il y a des événements ou des festivals. Le Holi festival est un festival de couleurs où se rencontrent des gens de différentes races, cultures, et on nous demande parfois de faire un grand spectacle de variété. J’ai eu un danseur de feu. Beaucoup de filles qui apprécient ma voix me disent : « Tritha, je veux danser sur ta chanson, car je sens ta liberté et je veux l’exprimer. » Elles dansent sur la chanson PaGLi, agissent comme si elles étaient folles, ou sur Pachamama, qui est une chanson sur Notre Mère la Terre. C’est comme une prière, nous prenons beaucoup à la Terre et nous ne rendons pas assez. Ce sont aussi mes influences, je veux amener l’aspect de l’éco-féminisme dans la musique sacrée en tant qu’auteure. Et je suis aussi influencée par les chanteuses classiques indiennes.

Parfois les gens me disent que je chante comme Nina HAGEN (rires) ! Alors je cherche qui est Nina HAGEN. « Ah bon ? OK. » J’apprends aussi comme ça, car lorsque j’apprenais le chant traditionnel, je n’écoutais pas beaucoup de musique de l’extérieur. Mon frère écoutait parfois NIRVANA et mon père criait : « C’est trop fort ! » (rires) Dans mon enfance, il est arrivé que ce genre de sons arrivent à mes oreilles lorsque je pratiquais le chant classique dans ma chambre. C’était agréable d’être dans un monde de musique psychédélique.

Mathias : Concernant la personnalité du groupe, une autre chose très importante, c’est que Tritha ne chante pas en anglais. Elle chante en hindi, en bengali, en sanskrit. Là aussi, il y a un caractère évident. Le caractère indien est là de fait.

Pour finir, si nous évoquions votre actualité discographique ?

Tritha : Le nouvel album s’appelle Raagas in Paris. C’est une suite de ragas que nous avons enregistrée ensemble à Paris. C’est notre deuxième album.

Mathias : On le trouve sur internet, on ne l’a pas encore en physique. Les vinyles viendront à un autre moment.

Tritha : C’est le premier album de TRITHA ELECTRIC en tant que groupe. J’ai trouvé ce groupe à la fin du premier album. Nous allons jouer beaucoup de ce répertoire. Et le prochain album est déjà prêt, mais nous n’avons pas encore de titre. Il y aura des chansons sur la Terre, sur la protection. C’est bon de penser à faire de nouvelles choses, un nouvel album..

Mathias : Ce sera pour l’an prochain.

Article, entretien et photos réalisés par Stéphane Fougère et Sylvie Hamon

Site : www.tritha.com

Page : https://tritha.bandcamp.com/

 

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