VAN DER GRAAF GENERATOR – Merlin Atmos
(Esoteric Antenna)
Il est devenu de bon ton pour des groupes quarantenaires de satisfaire les penchants nostalgiques de leurs publics en reprenant l’intégralité d’un (ou de plusieurs) ancien(s) album(s) sur scène. VAN DER GRAAF GENERATOR n’a pas succombé à cette tentation, mais il a tout de même porté un sérieux regard dans le rétroviseur ces derniers temps. Il a ainsi repris, lors de sa tournée américaine de 2012, un opus épique que Peter HAMMILL avait enregistré pour son album A Black Box (1980) et joué d’abord avec le K. GROUP (et même en solo, si si !), je veux parler de Flight.
Puis, pour sa tournée européenne de 2013, VAN DER GRAAF GENERATOR a annoncé clairement sa décision de jouer l’un de ses opus les plus réputés, la fameuse suite qui couvre la face B du LP Pawn Hearts, A Plague of Lighthouse Keepers. L’événement était de taille, puisque le groupe ne l’avait quasiment jamais joué sur scène à l’époque. On en connaît qu’une version jouée en faux direct pour la TV belge en 1971, puis la formation VAN DER GRAAF en avait joué des fragments, qu’elle avait couplé à une partie du morceau The Sleepwalkers (cf. le live Vital). Mais on était loin de s’imaginer que le groupe, surtout dans sa formule en trio, allait oser exhumer pareille pièce montée.
Le public de la tournée 2013 a donc eu l’honneur de goûter un répertoire exceptionnel, incluant deux pièces épiques de plus de 20 minutes, en plus d’autres pavés dépassant les 10 minutes (Childlike Faith in Childhood’s End ; Over the Hill ; Man-Erg), voire le quart d’heure (Meurgly’s III, The Songwriter’s Guild).
C’est une curieuse volte-face de la part d’un groupe qui s’était pourtant acharné, depuis sa reformation en 2005, à s’éloigner tant des formats archétypaux du rock progressif que des climats sulfureux et écorchés qui avaient fait sa réputation en faveur de constructions et de thèmes plus concis et accessibles – comme l’illustre son dernier album studio en date, A Grounding in Numbers (2011). Sans doute cette exhumation des « grands formats » était-elle la condition « sine qua non » pour assurer un renouvellement (malgré tout relatif et réduit) du répertoire de cette tournée 2013, qui n’avait aucun nouvel album à promouvoir. Accessoirement, la parution – quelque peu tardive – de ce recueil d’enregistrements de ladite tournée est une manière très habile d’assurer au groupe un minimum de survivance discographique et de faire oublier son silence en matière de nouveauté musicale…
Et puisque les exigences mercantiles actuelles obligent à la multiplication des supports discographiques, Merlin Atmos a été publié simultanément en LP simple, en CD simple et en… double CD !
Ce déploiement quantitatif, s’il satisfera les pulsions « collectionnistes » de certains fans, en laissera d’autres (ou les mêmes) dubitatifs par sa redondance par rapport aux précédents albums live que le trio a fait publier depuis son activation en 2007, à savoir Live at the Paradiso (2009) et Live in Concert at Metropolis Studios, London (2011). Tout au plus Merlin Atmos s’en distingue-t-il en ne documentant pas un concert précis, mais plutôt un panel d’enregistrements provenant de diverses sources.
Le mystère reste entier sur les lieux et dates précises des captations – aucune mention n’apparaissant dans le livret – mais on subodore qu’une bonne partie du premier CD a été captée lors de concerts en Italie… Le mixage de celui-ci, qui jouit d’une qualité sonore cristalline, a été assuré par Hugh BANTON, tandis que le second a été assemblé par Peter HAMMILL. Cela dit, avait-on réellement besoin d’un nouveau double album live rempli à ras bord dont le répertoire n’offre pour toute « nouveauté » que deux morceaux, si imposants soient-ils ?
En cela, la version LP de Merlin Atmos va droit à l’essentiel, puisqu’elle ne contient que les épopées Flight et Plague, remplissant chacune une face entière ; le rêve idéal des amateurs de rock prog’ !
Si le futé et affûté batteur Guy EVANS était familier de Flight, du fait de sa présence à l’époque dans le K. GROUP, Hugh BANTON ne l’avait par contre jamais joué. Le claviériste créé donc ici la surprise en tirant le meilleur parti des possibilités de son orgue électronique afin de métamorphoser Flight, lui ajoutant notamment une introduction et une conclusion instrumentales de son cru (dans lesquels il recrée le son d’un moteur d’avion très usité durant seconde guerre mondiale, le « Rolls-Royce Merlin » – d’où le titre de l’album), conférant ainsi à cette composition un son typiquement vandergraafien. On pourra dire de Flight que c’est un morceau qui a beaucoup voyagé…
Concernant Plague…, on sent bien que le trio bataille sévère pour offrir une interprétation décente de ce monument. Il y parvient, non sans un énorme et fort louable effort de répétition et de réarrangement qui parvient presque à faire oublier l’initiale présence d’un quatrième musicien… Le chant de Peter HAMMILL a bien sûr perdu dans le registre aigu, mais ses rugissements graves sont toujours impressionnants bien qu’un peu trop systématiques, comme sa tendance à interpréter certaines phrases (ou bouts de phrases) en mode « parlé ». Mais peut-on interpréter à plus de 60 ans des chants écrits à 20 ans sans distanciation émotionnelle ?
Entre ces deux pavés, la version CD simple intercale d’autres morceaux plus courts, comme pour former une « troisième face » : on retrouve le méditatif Lifetime, l’énergique et caustique All That Before et un Bunsho fiévreux et tout en heurts, tandis que l’abrasif Gog sert de (flamboyant) rappel. Les versions de chacune de ces pièces tiennent la route, mais n’offrent rien de bien inédit par rapport à d’autres versions live que l’on connaissait déjà.
On en dira évidemment autant de la version 2CD, à ceci près que le second disque est ouvertement présenté comme un « CD bonus » – malicieusement nommé Bonus Atmos ! Cette version restitue certes la quasi-intégralité du répertoire de la tournée 2013, comme tout bon live rétrospectif (tous les morceaux joués y sont inclus, à l’exception de Mr. Sands), sans toutefois respecter rigoureusement l’ordre d’interprétation des morceaux. (Il est vrai que la set-list variait d’un concert à l’autre.)
Bonus Atmos ne présente pas la « suite du concert » de Merlin Atmos, mais offre plutôt un contenu additionnel. Il est même recommandé de l’écouter séparément, car son rendu sonore est différent du premier CD : il est plus étouffé, manque de relief, au point qu’on croirait écouter une version « nettoyée » d’un enregistrement bootleg, de très bonne qualité cela dit… Bref, si Merlin Atmos est un peu le « live des villes », Bonus Atmos est fatalement le « live des champs ».
En fait, cette version 2CD de Merlin Atmos paraît avoir été conçue sur le même modèle que la réédition de 2002 du célèbre premier disque live de Peter HAMMILL avec son K. GROUP, The Margin (initialement paru en 1985), parue sous le titre The Margin +, qui offrait pareillement un CD bonus. Sauf que, dans le cas de Merlin Atmos, l’éditeur n’a semble-t-il pas voulu attendre 22 ans pour que ce live devienne un disque culte et en publier une version collector augmentée… Qu’il se rassure ; cet album live se vendra comme des petits pains, mais se serait vendu autant s’il n’avait comporté que Flight et A Plague of Lighthouse Keepers.
Mais ce tour de piste, si honorable soit-il, n’élude pas la véritable question qui s’impose: y a-t-il un futur (maintenant) pour VAN DER GRAAF GENERATOR ?
Stéphane Fougère