VIOLONS BARBARES – Monsters and Fantastic Creatures
(Violons Barbares / L’Autre Distribution)
BARBARES un jour… BARBARES toujours ? En tout cas, voici une affaire qui tourne ! Ça fait en effet une quinzaine d’années que ce trio bulgaro-franco-mongol dénommé VIOLONS BARBARES sévit sur diverses scènes musicales, folk, world, rock, jazz et continue à faire blanchir les cheveux des colleurs d’étiquettes. Ce que l’on a pu prendre au départ pour un projet ponctuel et éphémère de « rencontre entre la musique bulgare et la musique mongole » s’est avéré être une proposition esthétique aux dimensions plus vastes, à l’inspiration plus ample, soit une entreprise artisanale à développement durable, farouche et indépendante, une véritable musique de groupe fondée sur une complicité non moins pérenne entre ses membres qui a favorisé une créativité toujours apte au dépassement de ses supposées limites. Cela a déjà donné trois albums, et voici que débarque le quatrième, dûment auto-produit, pour éviter les sollicitations parasites des faiseurs de modes…
Le Bulgare Dimitar GOUGOV, le Mongol Dandarvaanchig ENKHJARGAL et le Français Fabien GUYOT ont beau avoir des bagages artistiques très différents, ils se sont trouvés suffisamment d’affinités pour engendrer un univers sonore qui leur est propre et dont ils n’ont eu de cesse d’accentuer et d’affiner la cohésion, quitte à ne pas rouler sur les plates-bandes dites de sécurité. Contemporaine est la musique des VIOLONS BARBARES, et ce bien qu’elle se nourrisse de références traditionnelles, ancestrales.
Leur quatrième galette discographique n’est pas qu’un simple assemblage aléatoire de nouvelles chansons : elle révèle une unité thématique puisée dans le vaste fonds des mythes et légendes du continent eurasiatique. Le titre du disque est du reste on ne peut plus explicite : les VIOLONS BARBARES nous entraînent bien cette fois dans cette dimension de l’inconscient collectif peuplée par des monstres et autres créatures fantastiques (Monsters and Fantastic Creatures).
Les compositions ici réunies célèbrent donc un bel assortiment de figures archétypales du genre, mais présentées avec des caractéristiques régionales. On y rencontre un dragon écailleux maître de la pluie et protecteur des sources, un vampire qui ne peut être vu que par ses enfants, un diable noir à quinze têtes, un fantôme protecteur… Le Zmei, le Talasam, les Kalushari… Tous nous sont présentés dans le précieux livret qui accompagne ce disque, chaque « monstre » ayant de plus droit à son portrait, en l’occurrence tiré par l’illustratrice Clotilde PERRIN, dans un style gouailleur et farfelu parfaitement en phase avec l’univers des VIOLONS BARBARES.
Certains de ces monstres sont maléfiques, mais on y croise aussi des monstres gentils (oui, c’est un paradis…), ce sont des Sweet Mangas. Mais n’allez pas croire que toutes les créatures exhumées dans cet album respirent la poussière du passé. Il y a aussi des monstres plus actuels, des Modern Mangas, beaucoup moins gentils, même s’ils apparaissent sous les traits de gens bien comme il faut ! Vous savez, ce sont ceux qui piratent les comptes dans le cyber-espace, ou ceux qui déclenchent des guerres les lendemains de confinement…
Ainsi les VIOLONS BARBARES redonnent-ils toute son actualité à cette thématique « monstrueuse » que l’on aurait pu croire cantonnée aux petits livres d’histoires pour enfants d’une époque révolue. Les monstres sont toujours parmi nous, car derrière chaque peuple, il y a des croyances qui structurent sa pensée, voire sa langue. Et derrière chaque être humain normalement constitué, il y a un fantôme dans le placard ou un monstre qui sommeille sous la table de la conscience… Cela méritait bien que l’on renouvelle le stock d’histoires fantastiques inspirées de telle ou telle culture, et qu’on en fasse des chants ou des pièces instrumentales.
Contrairement à ce qu’on aurait pu en attendre compte tenu du sujet évoqué, cet album ne contient pas « stricto sensu » de reprises de thèmes ou de chants traditionnels. Il ne contient que des pièces originales, chacune apportée par l’un ou par l’autre de nos BARBARES et dûment réarrangée par les autres pour aboutir à de vraies compositions de groupe.
Une fois encore, les VIOLONS BARBARES persistent et signent dans une musique acoustique hybride, fondée sur l’interaction entre deux vièles, la gadulka bulgare et le morin-khuur mongol – jouées de manière pas vraiment conventionnelle, même si elles gardent leur rusticité originaire, mais avec des accents plus modernes, « hendrixiens » ou métalliques par endroits – une batterie ethnique dotée de percussions sonnantes, trébuchantes et foisonnantes et de cymbales volantes, et trois voix aux tonalités différentes, ethniquement typées tout en cultivant l’entorse aux codes traditionnels, sans oublier le saisissant chant de gorge des steppes mongoles, dont EPI est un spécialiste et qu’il n’hésite pas à transposer dans des écritures plus contemporaines. Et tous ces Monsters and Fantastic Creatures sont convoqués par nos BARBARES en pas moins de cinq langues, selon les cas : en bulgare, en mongol, en français, en allemand et en anglais.
Violons, chants, voix et percussions sont ainsi déclinées dans des combinaisons diverses selon les morceaux et accouchent d’ambiances fort variées. Certaines de ces pièces incitent à remuer plus ou moins sauvagement, tel le vigoureux Scaly Lover qui ouvre l’album et le chavirant Vampiri Talasami, avec ses ponctuations chorales grisantes et son solo de gadulka progressivement contaminé par la distorsion.
D’autres nous invitent à s’asseoir et à méditer, comme le bluesy Old Man’s Stories, joué à la rêche dombra centre-asiatique et qui fait entendre divers types de chant (récitatif, diphonique, plaintif, haute-contre…), ou bien l’imprononçable (respirez!) Arvantavan Tolgoitoi Atgaaljiin Har Mangas, qui démarre comme une prière et s’achève dans une ambiance de cérémonie sabbatique, sans parler du morceau de clôture à l’ambiance plus martiale et crispée, Hard Times, auquel la mélodie violoneuse ajoute un soupçon d’amertume. (On y évoque il est vrai ces politicards véreux qui saccagent pour la gloire de leur seule trogne les ressources naturelles…)
D’autres encore racontent des histoires qui se déploient en plusieurs chapitres, avec des changements de rythmes et de climats, comme dans Modern Mangas et dans Sweet Mangas, ou encore avec cette glaçante histoire de Femme emmurée, narrée en chanson par Fabien GUYOT. C’est du reste l’une des surprises de cet album : le percussionniste français qui, jusqu’à présent, ne faisait entendre sa voix que dans les chœurs, se lance en tant que chanteur « lead » à deux reprises, puisqu’il nous conte également cet étrange Rebetico du sorcier.
Il y a de même des histoires sans paroles (comprenez : des instrumentaux) mais aux rebondissements inattendus, comme cette histoire d’exorcistes qui a inspiré Cast out the Demon, le plus rêveur Crystal Ghost avec ses vocalises hautes, ou l’aparté soliste de Dimitar en hommage à sa fille lutine, La Danse à Hélène.
Et puisque un album des VIOLONS BARBARES ne serait pas complet sans sa « minute de folie », il y a LE morceau en forme de coup de sang, « punky » en diable et éméché juste ce qu’il faut, c’est Olelia, qui rappelle on ne peut mieux à qui ne veut pas l’entendre que le folk est une musique bien vivante et très agitée !….
Mais nos trois compères en rajoutent une couche dans l’ébriété avec cette histoire de « jours sales » (Dirty Days), qui font écho à nos jours pas si éloignés de couvre-feux généralisés, et durant lesquels il est interdit de travailler de nuit, de faire la fête et l’amour, sous peine de réveiller des entités malveillantes ! Et c’est précisément sur ce morceau que nos trois « violoneux barbarustiques » chantent en chœur des « la la la » bien pompette, qu’ils brament à tue-tête des « Verboten ! » (Interdit !) à répétition et qu’ils s’esclaffent comme des beaux diables en mode sardonique. Eu égard à la thématique traitée, on n’aurait pas été étonnés de les entendre reprendre le générique de la série animée Groovie Goolies (Le Croq’Monstres Show, en français) ! Ça aurait fait du bien par où ça passe…
Voilà donc un album qu’il convient de se procurer de préférence en support physique, avec son livret, pour une immersion plus complète dans cet univers aux moult ambiances et couleurs. Vous avez ainsi le choix entre le format CD digipack et, pour la première fois dans la discographie des VIOLONS BARBARES, le format double 33Tours, lequel contient même un morceau supplémentaire, Monsters Introduction, placé singulièrement à la fin de la face D ! Une introduction en clôture ? On savait les VIOLONS BARBARES capables de mettre les choses (et les esprits) sens dessus-dessous, ils ne faillissent décidément pas à leur réputation !
Stéphane Fougère
Site : https://violonsbarbares.com