Laurent ROCHELLE OKIDOKI QUARTET – Au-delà des brumes
(Linoleum / Inouie Distribution)
Ce nouvel album de l’OKIDOKI QUARTET a beau paraître sept ans après son prédécesseur, il ne s’inscrit pas moins dans le prolongement de celui-ci pour ce qui est de la tonalité et de l’intention générales, tout en apportant son lot de petites nouveautés. Aucune franche rupture n’est donc à craindre. Du reste, si l’on met les titres de ces deux albums côte à côté, ils forment une phrase parfaitement articulée : Si tu regardes… Au-delà des brumes. Voilà une invitation typiquement « okidokienne » ! Et n’oublions pas non plus le EP de 2019, When OKI meets DOKI, un titre lui aussi en forme de lien, ou de « reliure ». Et c’est encore cette thématique du lien qui sous-tend les neuf compositions de ce nouvel album, lesquelles, sous diverses latitudes émotionnelles, appellent à se (re)trouver soi-même après un travail d’élagage, de mise en lumière…
Toujours initié par le compositeur et souffleur Laurent ROCHELLE (également inspirateur des groupes PRIMA KANTA, TANUKI, LILLIPUT ORKESTRA, MONKOMAROK, sans oublier son prolifique duo avec le pianiste Marc SARRAZY…), le combo franco-allemand continue à nous abreuver de son jazz contemporain onirique et surréaliste nourri de références littéraires, voire scientifiques (Carl Gustav JUNG est cité…) et, après nous avoir suggéré de déployer notre regard, nous convie à franchir un cap, à passer outre ce qui nous laisse reclus dans l’ombre. En mode jovial comme en mode mélancolique, l’OKIDOKI QUARTET décline diverses voies d’émerveillement, voire d’épiphanie, permettant de sortir les esprits de la brume que le passage capricieux du temps a pu obscurcir…
Toute de noir et de blanc, la photo de la pochette indique bien ce passage de l’autre côté du miroir, où les cieux se métamorphosent en mers, où les nuages se font vagues. Il y a du MAGRITTE ou du DALI chez OKIDOKI, mais il n’y a nul besoin de fumer une pipe qui n’en est pas une, ni de pratiquer la méthode paranoïa-critique pour pénétrer l’univers sonore du groupe, qui se révèle fluide et accessible dans sa contemporanéité.
Il suffit de se laisser porter par ces flots de méditations nonchalantes, de spirales grisantes, de rêveries métamorphiques et de fantaisies ludiques dessinées par Laurent ROCHELLE, principal compositeur des musiques, et subtilement mais non moins franchement colorées par l’action combinée et complice de la clarinette basse ou du saxophone soprano de Laurent ROCHELLE, du piano ou du synthétiseur de Frédéric SCHADOROFF et de la batterie et des percussions de Jean-Denis RIVALEAU, le dernier arrivé (qui livre lui aussi une palpitante composition).
Et il y a les inflexions vocales et les mots polyglottes de la chanteuse et musicienne allemande Anja KOWALSKI (fondatrice du projet WOLKE et en d’autres temps membre de FLAT EARTH SOCIETY), qui véhiculent avec moult nuances poétiques un certain sens de l’essentiel, qui font éclore le grain de vie en chaque instant et qui dévoilent l’évidence de la lumière qui doit se faire, tôt ou tard, que ce soit dans les moments d’attente, dans des adieux, dans ces jours que l’on sait spéciaux, dans ces petits ciels sous lesquels on s’abrite, dans ces plongeons qui ressemblent à des envols, dans ces danses de joie et de vie, le tout exprimé en anglais, en allemand, en français ou en pur sabir onomatopéique.
Aux textes d’Anja KOWALSKI s’ajoutent ceux empruntés à la poétesse et artiste juive allemande Else Lasker SCHÜLER (Meinwärts), ceux inspirés par l’écrivaine québécoise d’origine japonaise Aki SHIMAZAKI (Suzuran), ou ceux de Laurent ROCHELLE qui clôturent le disque en lançant un appel vibrant à (re)passer du côté lumineux de la forc…, pardon, de la vie, à l’occasion d’une Danse des esprits particulièrement entraînante. Du reste, l’album avait déjà démarré en mode radieux avec ces Tsumi Variations et, entre deux plages plus contemplatives (Goodbyes, Suzuran) ou ondulantes (Waiting, Your Own Little Sky), ne manque pas de donner du ressort (A Special Day, Dive with me).
Écouter Au-delà des brumes, c’est passer un miroir comme on franchit un gué pour se retrouver en terrain bienveillant et émerveillant, au sein de cette psyché humaine qui, si elle a ses recoins sombres, a aussi ces fenêtres éclairantes. Et OKIDOKI QUARTET a ce don précieux de savoir les ouvrir.
Stéphane Fougère
Site : http://www.okidoki-quartet.com/
Page : https://okidoki-quartet.bandcamp.com/album/au-del-des-brumes
Label : www.linoleum-records.com