Yasuaki SHIMIZU
Music for Commercials
(Crammed Discs)
Il s’agit d’une réédition d’un disque de 1987 qui était devenu très rare et donc très recherché. C’est un de ces trésors parus sous le fameux label Crammed Discs pour la célèbre série Made to Measure (le volume 12).
L’artiste concerné est japonais et s’appelle Yasuaki SHIMIZU. Il est né à Shizuoka (« la colline calme »), ville située à l’Ouest de Tokyo. Musicien virtuose au saxo ténor, il sort son premier album en 1978, travaille en 1980 avec MARIAH, groupe de rock prog’ et se distingue par sa capacité à franchir les frontières musicales : il est aussi à l’aise dans l’impro que dans le classique (voir ses dernières productions dédiées à l’œuvre de BACH avec son groupe THE SAXOPHONETTES et Back Box proposant son arrangement des Variations Goldberg). Il devient un compositeur et un producteur à la solide réputation, travaillant avec une foule d’artistes aussi éclectiques que Ryuichi SAKAMOTO, Elvin JONES, David CUNNINGHAM ou le chanteur sénégalais Wasis DIOP. Pendant plusieurs années, il vivra à Londres et Paris. Il est aussi connu pour ses musiques de films, notamment pour le film Havre de Juliet BERTO sorti en 1986. Music for Commercials est une curiosité à redécouvrir d’urgence.
Ce disque instrumental est une pure merveille présentant une musique synthétique, minimaliste, classico-moderne, saupoudrée parfois de rythmes et de percussions à forte résonance world (Suntory). Différents genres musicaux se rencontrent avec une certaine élégance. Il contient des pièces très courtes (de quelques secondes à moins de deux minutes), composées spécialement pour des publicités japonaises à la télé, à l’exception d’un titre de plus de neuf minutes intitulé Ka-Cho-Fu-Getsu, sorte de symphonie classico-électronique confectionnée pour un film d’animation.
Sur le plan atmosphérique, c’est un album particulièrement cohérent, signe que le musicien a longuement réfléchi à un agencement parfait entre les morceaux : le résultat est cette ambiance singulière qui imprègne ce disque. Il n’a pas retouché les versions finales, laissant à son intuition une place importante dans la démarche de composition. La force de SHIMIZU est d’avoir réussi à composer des pièces courtes sans pour autant négliger leur puissance émotionnelle.
Et en effet, c’est tellement prenant que nous sommes même étonnés de l’écouter plusieurs fois sans se lasser. Nous sommes rapidement captivés par ces ambiances japonisantes (Boutique Joy), la variété des mélodies, la richesse des sons proposés, à la fois très lumineux ou parfois plus mécaniques (Ricoh 2, Seiko 5). C’est un somptueux voyage, et forcément, nous pensons un petit peu au fameux Crystal Japan de BOWIE composé en 1979, également pour une pub japonaise.
Tous ces titres sont construits à partir de collages, incluant aussi parfois quelques samples de voix (notamment des voix d’opéras assez insupportables comme sur Knorr ou surtout sur le dernier titre Seibu, qui n’est pas franchement le meilleur ; d’ailleurs, l’album aurait pu s’en passer !). Nous pouvons même entendre un peu de saxo sur quelques titres (Sharp, Sen-Nen 2) qui n’est pas désagréable du tout.
Ce qui fait le charme d’un tel document est qu’il nous permet de se rappeler de cette époque où l’on réalisait des disques comme celui-ci à l’époque des « ordinateurs vintage ». C’est finalement la musique d’un passé révolu, qui n’a rien perdu de sa beauté poétique. L’émotion reste encore intacte aujourd’hui. En écoutant ces musiques, c’est comme si le temps était suspendu.
Il y a cet esthétisme qui auréole l’album, avec ces moments de féérie et de grâce, ces envolées (Seiko 3) mais aussi ces instants de mystères insondables, ces intrusions dans l’expérimentation (la suite en cinq parties Bridgestone). Devant nous, se dressent des paysages exotiques et bucoliques où la musique sait être élégante, rêveuse, très rythmée mais surtout accessible et aucunement abêtissante comme peuvent l’être les musiques de publicités.
Si vous appréciez l’univers de la musique atmosphérique, très synthétique et répétitive, rappelant parfois la « library music » d’Anthony PHILLIPS (en particulier, le titre Seiko 2, avec ses très belles boucles en cascade, aurait largement sa place dans un des Missing Links), alors, ce disque est pour vous.
Cédrick Pesqué
Site : http://crammed.be/