ÉTRON FOU LELOUBLAN – à Prague

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ÉTRON FOU LELOUBLAN – à Prague
(Gazul / Musea)

Au moment où le label Musea en avait fini avec les rééditions en CD des albums de notre ÉTRON FOU LELOUBLAN hexagonal (lire notre article), la discographie officielle de ce dernier s’est augmenté sans crier gare d’un volume supplémentaire. Le groupe ne s’est pas reformé, et il ne s’agit pas non plus d’un disque oublié jadis dans les cartons. Il s’agit tout simplement d’un enregistrement de concert que Dominique GRIMAUD (ex-CAMIZOLE et VIDÉO-AVENTURES, donc un membre de la famille Dupon et ses fantômes) a déterré pour en faire la dixième publication de sa collection les Zut-O-Pistes sur le label Gazul. La discographie d’ÉTRON FOU LELOUBLAN comprenait certes déjà un album live, enregistré aux États-Unis en 1979, mais celui-ci lui est postérieur de cinq ans et lui est géographiquement parlant opposé puisqu’il a été enregistré en Tchécoslovaquie.

Or, si le débarquement inopiné de LELOUBLAN sur la côte américaine à la fin des années 1970 constituait en soi un événement pour un groupe « underground » français, sa présence dans les années 1980 sur un sol communiste particulièrement réfractaire à toute espèce de vent artistique libertaire est tout aussi retentissante, tant sur un plan politique que culturel. Un ÉTRON derrière le Rideau de fer, ça fait tache !

Le groupe français, boudé à l’intérieur de ses propres frontières, avait déjà, de 1980 à 1984, tracé son chemin « toujours plus à l’est », et avait investi la Slovénie et la Pologne. Pour sa tournée en Tchécoslovaquie, le mythique groupe PLASTIC PEOPLE OF THE UNIVERSE a joué les entremetteurs. Face aux refus des autorités tchèques de le laisser jouer sur son territoire, ÉTRON FOU LELOUBLAN s’est réfugié à l’Ambassade de France à Prague, où il a donné un concert à guichet plus que fermé, la salle étant remplie au-delà de sa capacité.

Ainsi, LELOUBLAN a découvert qu’il avait en Tchécoslovaquie un public fin connaisseur du mouvement Rock in Opposition. Et quand Ferdinand RICHARD dit, à la fin du concert : « Merci… et à bientôt peut-être… et avec plaisir », ce n’est tant par politesse que par conviction. Le groupe a trouvé ce soir-là un public à l’écoute, très concentré et attentif à la musique comme aux présentations des morceaux et aux explications des textes faites par Ferdinand RICHARD, comme il en avait l’habitude.

Cet enregistrement un rien crachotant mais parfaitement audible (le 24-pistes Digital Surround, ça ne se faisait pas trop à l’époque dans le coin…) a donc un poids historique important et constitue un événement tant dans la carrière du groupe que dans l’ouverture que sa présence a provoquée dans la « marge » tchèque. (Nos lecteurs se souviendront peut-être des propos que nous a tenu Mirek VANEK, compositeur en chef d’UZ JSME DOMA, quant à l’impact qu’a eu ÉTRON FOU LELOUBLAN  sur sa musique.)

À l’époque de ce concert praguois (novembre 1984), ÉTRON FOU LELOUBLAN était redevenu un trio : Jo THIRION à l’orgue Farsifa, à l’échantillonneur Ensonic Mirage et au chant, Guigou CHENEVIER à la batterie, aux percussions, au saxophone ténor occasionnel et au chant et Ferdinand RICHARD à la basse et au chant. Même avec le renfort de Guigou au saxo, il était difficile pour le groupe de garder un répertoire qui avait été conçu en quartet, avec un saxophoniste. Alors les trois ÉTRONs restants ont écrit de nouvelles pièces pour leurs prochains concerts, ne gardant de leurs précédents albums que La Musique, poème de Baudelaire inclus dans Les Poumons gonflés, avec cette fois des vers en moins (ben alors, Ferdinand ?) mais une séquence instrumentale plus développée, et l’impayable Phare Plafond (tiré du disque Les Sillons de la Terre).

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Les autres morceaux sont inédits pour l’époque ; les trois quarts seront enregistrés en studio l’année suivante et figureront sur l’ultime LP d’ÉTRON FOU LELOUBLAN, Face aux éléments déchaînés. Les versions jouées à Prague en cet automne 1984 sont globalement identiques à celles qui seront gravées neuf mois plus tard, la production de Fred FRITH en moins bien évidemment, mais avec la sueur du « direct » en plus.

Ce concert contient d’autres raretés : la ludique chanson pour batterie, percussions et jouets écrite et jouée par Guigou CHENEVIER, Dernier solo avant l’autoroute, trouvera finalement sa place (judicieuse) sur le premier LP du trio LES BATTERIES, Noisy Champs ; et La Java des bombes atomiques, piquée à Boris VIAN, atterrira sur la compilation A Classic Guide to No Man’s Land (1988).

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Quant à Araignée du matin, il n’est pas aussi inédit que l’on veut bien nous le vendre puisqu’il s’agit en quelque sorte d’une version préhistorique de ce qui deviendra Sous les draps dans Face aux éléments déchaînés, avec une musique un tant soi peu réarrangée, mais un texte identique (moyennant une phrase en moins), que Jo récite d’une façon différente. Voilà donc un cas intéressant de « gestation » qui n’est pas isolé dans l’histoire du répertoire d’ÉTRON FOU LELOUBLAN. (Par exemple, Le Jeu, l’alcool et les femmes, inclus dans Les Sillons de la terre, s’intitulait dans sa version scénique Train fantôme.)

Ce fort sympathique enregistrement live ne donne qu’une envie, c’est d’en avoir d’autres couvrant les autres périodes et formations d’ÉTRON FOU LELOUBLAN. Le nécrophage, avide et fier de l’être, qui sommeille en chacun de nous étant désormais réveillé, il va lui en falloir plus pour le rendormir !

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°29 – novembre 2010)

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