Yasuko SUZUKI / Honoré BÉJIN – L’Âme résonnante

4 vues

Yasuko SUZUKI / Honoré BÉJIN – L’Âme résonnante
(Indesens Calliope)

Au-delà de sa formation brillante, Yasuko SUZUKI, flûtiste d’origine japonaise que les conservatoires et écoles, qu’elles soient françaises ou japonaises, ont maintes fois gratifiée de leurs premiers prix, est une virtuose de grand talent dont la prédilection va prioritairement au concert, au partage de la musique, pardon, de la Musique.

Après avoir découvert la musique de Cécile CHAMINADE grâce à Shiho NARUSHIMA (https://rythmes-croises.org/shiho-narushima-lorpailleuse-des-chefs-doeuvre-oublies/) nous arrive fortuitement l’information de la sortie toute récente d’une réinterprétation de ses Sylvains Opus 60a composés à l’origine pour le violon et le piano. Situation de plus en plus rare, Yasuko SUZUKI, la flûtiste à l’origine de cet enregistrement, contactée par la rédaction, se propose immédiatement de nous envoyer son CD – fait de plus en plus rare de la part des artistes.

Car pour Yasuko, la Musique est l’expression de l’Amour porté à sa dimension mystique. Ainsi son acte de foi, Amour et Passion, exprimé sur son site (www.yazukozusuki.com), est-il ainsi rédigé :

« L’Amour est un sentiment pur que l’on ressent du plus profond de son cœur. Je prie pour que chaque personne sur cette terre ait de l’amour et considère la vie comme un bien précieux. Je pense que l’être humain ne peut vivre seul. Il a une âme sœur.

Je crois que la musique nous aide à retrouver notre innocence originelle. Elle nous aide à exprimer le meilleur de nous-même et à partager cette vision avec d’autres qui du coup s’élèvent et trouvent ainsi la dimension de leur être véritable. C’est un monde dans lequel les êtres vivent en harmonie et de le bonheur de l ‘aide mutuelle.

La Passion… J’ai trouvé la passion dans la musique. C’est l’amour qui me permet de donner le meilleur de moi-même lors de mes récitals. À chaque représentation, je me remets en question, prends du recul par rapport à moi-même, et cela me pousse à vouloir aller toujours plus loin. Les répétitions sont dures et représentent un effort, un dépassement de moi-même. Mais j’apprécie le temps passé à jouer avec mes amis, et c’est parce qu’il y a cette passion toujours présente que j’arrive à produire une telle sonorité et une telle musicalité.

L’amour et la passion sont les thèmes de ma vie. »

Ce préalable philosophique et spirituel étant posé, je vous propose de nous intéresser à un enregistrement récent et audacieux de cette musicienne hors pair. Récent puisque « mis sous presse » en octobre 2024, audacieux, car Yasuko SUZUKI nous propose ici des interprétations inédites et inouïes de sept compositrices françaises que l’Histoire de la Musique semble avoir oubliées. Cette problématique redondante et pénible de l’occultation chronique des femmes musiciennes a déjà été abordée dans nos colonnes, notamment dans une de nos chroniques consacrées d’une part à Lili BOULANGER (https://rythmes-croises.org/la-foudroyante-et-ephemere-frenesie-de-composition-dune-musicienne-geniale-lili-boulanger/) et d’autre part à la remarquable pianiste SHIHO NARUSHIMA (https://rythmes-croises.org/shiho-narushima-lorpailleuse-des-chefs-doeuvre-oublies/).

On observera qu’une fois encore, une grande interprète japonaise, flûtiste cette fois, exhume les partitions oubliées de ces musiciennes inspirées que les classes de nos conservatoires conservateurs franco-français se sont évertués à sceller dans les sous-sols de leurs archives.

Le défi relevé ici par Yasuko SUZUKI n’est pas des moindres : la première compositrice mise à l’honneur sur cet enregistrement est Marguerite CANAL et à sa Sonate n°1 pour violon et piano. Car non seulement Yasuko SUZUKI interprète ici une œuvre d’une compositrice dont le nom est injustement oublié, mais encore transpose-t-elle pour son instrument, la flûte traversière, la partition initiale du violon, nous livrant ainsi une version inédite de cette magnifique sonate ! La transposition fonctionne à merveille au point de nous convaincre que, finalement, c’est peut-être pour la flûte qu’elle fut composée à l’origine.

Mais mettons à jour le catafalque d’amnésie qui a bien failli nous faire oublier qui était Marguerite CANAL. Née en 1890 à Toulouse, Marguerite CANAL meurt oubliée, discrètement, dans une maison de retraite de Cépet dans les environs de Toulouse en 1978. Avec sa mise en lumière par Yasuko SUZUKI, Marguerite CANAL nous apparaît avec tout ce qu’on peut imaginer de pugnacité, de volonté, de détermination par rapport à ce milieu musical excessivement masculin : musicienne, maintes fois récompensée, elle est également la première femme à accéder à la fonction de chef d’orchestre après la première guerre mondiale.

Elle est aussi compositrice et, après un prix de Rome dûment obtenu, elle prend pendant quelques années ses quartiers à la Villa Médicis, mais reprendra l’enseignement en 1932. Elle impressionne ses contemporains et se pose très vite comme une continuatrice de la veine d’inspiration qui traverse les œuvres de FAURÉ, DEBUSSY et RAVEL.

 

Ci-contre : Marguerite CANAL lors de la remise de son prix de Rome en 1920.

 

Ci-dessous nous vous proposons le troisième mouvement de la Sonate n°1 pour Violon et Piano :

YouTube player

On remarquera la belle osmose entre Yasuko SUZUKI et le pianiste Honoré BÉJIN qui tisse à ses côtés la trame de cette musique élégante et intimiste.

Pauline VIARDOT, née GARCIA, naît en 1820 à Paris où elle s’éteint en 1910. Sœur de la célèbre MALIBRAN, Pauline VIARDOT est, elle aussi, une chanteuse exceptionnelle mais cela ne l’empêche pas d’être une pianiste accomplie (élève de Franz LISZT) et une compositrice prolixe d’œuvres pour le chant choral notamment mais aussi une mélodiste accomplie. On lui doit trois opéras. La pièce proposée ici par Yasuko SUZUKI et Honoré BÉJIN est une Sonatine pour piano et violon composée en 1874. La partie de violon est jouée à la flûte. On notera que cette transposition, comme pour l’ensemble des œuvres enregistrées sur cet Opus, confère à ce CD une dimension sensible encore plus palpable que dans son instrumentation d’origine.

 

YouTube player

Claude ARRIEU naît en 1903 et meurt en 1990. Pianiste et compositrice, sa formation, si elle part de MOZART et de BACH se tourne rapidement vers la musique du XXe siècle lors de sa découverte de la musique de STRVINSKY. Néanmoins ce seront les univers de FAURÉ, DEBUSSY et RAVEL qui auront sa prédilection. Pierre SCHAEFFER dira d’elle : « Claude ARRIEU est bien de son époque par une vertu de présence, un instinct d’efficacité, une audacieuse fidélité. Qu’importe les moyens, concertos ou chansons, les publics, l’élite des concerts ou la foule des spectateurs, pourvu que l’émotion au travers d’une technique impeccable et dans une spirituelle vigilance, trouve le chemin du cœur. » Sa pièce Jeux, commandée par l’ORTF, fut créée par l’Orchestre National de Paris le 14 juillet… 2024 !

Voici le Presto de sa Sonatine pour flûte et piano.

YouTube player

La Valse mélancolique de Clémence De GRANDVAL a été composée à l’origine pour flûte et harpe : on observera, en écho à l’instrumentation originale, le style très arpégé et aérien du piano sur cette délicate transposition. De Clémence de GRANDVAL, qui fut un temps son élève, Camille Saint-SAËNS, dira, à propos de ses mélodies, « Elles seraient certainement célèbres si leur auteur n’avait le tort, irrémédiable auprès de bien des gens, d’être femme ». Car, on s’en doute, malgré ses compositions, sa grande renommée comme cantatrice, notamment un célèbre Stabat Mater qui lui valut une gloire européenne, et son soutien indéfectible – artistique et financier – pour la musique, Madame De GRANDVAL sera vite oubliée. Voici pourtant la fort belle mélodie de sa Valse mélancolique :

YouTube player

Louise FARRENC (1804-1875) doit sa résurgence dans la mémoire musicale française à un groupe de recherche allemand qui, en 1995, a exhumé, répertorié et à nouveau publié ses œuvres, oubliées peu de temps après son décès : situation d’autant plus injuste que sa célébrité, de son vivant, était avérée, et ce comme compositrice et pédagogue notamment pour le piano et le clavecin. Le duo nous donne ici à entendre ses Variations concertantes sur une mélodie suisse.

 

YouTube player

Joséphine BOULAY (1869-1925) s’illustre comme organiste, compositrice et pédagogue. Aveugle dès l’âge de trois ans, elle devient élève de César FRANCK en 1887 et obtient un premier prix de Conservatoire à l’orgue en 1888. Nommée professeure à l’Institut National des Jeunes Aveugles, elle y prend en charge les classes d’orgue et de composition tout en poursuivant ses études musicales au Conservatoire de Paris. Elle obtient un deuxième prix d’harmonie en 1890, un second prix de contrepoint et fugue en 1895 dans la classe de Jules MASSENET, enfin un premier prix en 1897 dans la classe de composition de Gabriel FAURÉ.

Décorée des Palmes académiques en 1899, Joséphine BOULAY enseignera pendant trente-sept ans l’orgue, le piano, la composition et l’harmonie. Le credo qu’elle transmettait à ses élèves était « Aimez bien le travail, car avec lui on arrive à oublier bien des peines. Par le travail on triomphe de tout. ». Si l’essentiel de son œuvre concerne la musique d’orgue, nous lui devons cette fort jolie Romance sans paroles.

YouTube player

Cécile CHAMINADE (1857-1944) est remarquée très tôt par Georges BIZET – qui l’appelait « mon petit Mozart » – qui tente de la faire inscrire au Conservatoire mais se heurte au refus de son père au nom de l’argument qui veut que « Dans la bourgeoisie, les filles sont destinées à être épouses et mères ». Mais BIZET obtient du père rétif qu’elle prenne des cours particuliers pour le piano, l’harmonie et la composition. Profitant un jour de l’absence de son père, et invitée à se produire à la salle Pleyel par un ami violoniste, elle y brille dans les trios de BEETHOVEN notamment. Elle sera remarquée et encouragée par Saint-SAËNS et CHABRIER.

Entre 1907 et 1908 elle donne vingt cinq concerts et est très appréciée aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France, mais aussi en Grèce et au Canada. LISZT dira d’elle qu’« elle lui rappelle CHOPIN ». Lorsque la Grande Guerre éclate, elle accepte un poste de directrice d’hôpital à Londres et met un terme à sa carrière de concertiste. Néanmoins, mais à un rythme moins soutenu, elle continuera à composer. Elle mourra dans l’indifférence générale le 13 avril 1944, affaiblie à la suite d’une amputation subie en 1936. Compositrice prolifique, elle écrira plus de quatre cents œuvres dont deux cents pour le seul piano !

Yasuko SUZUKI et Honoré BÉJIN nous donnent ici à entendre Les Sylvains Opus 60, pièce initialement écrite pour le piano seul. Cette œuvre d’inspiration mythologique est ici arrangée pour la flûte et le piano. Particulièrement virtuose pour le piano, et faisant clairement écho à la musique de Claude DEBUSSY, la pièce Les Sylvains, ainsi arrangée, permet de souligner les magnifiques lignes mélodiques de cette pièce courte mais flamboyante.

YouTube player

Le fil conducteur des pièces ici enregistrées est la modernité de ces compositrices par rapport à leur époque, le fait que les mélodies, souvent destinées au violon, soient ici restituées dans toute leur charge émotionnelle par une flûtiste précise et sensible. Nous vous souhaitons un beau voyage musical en compagnie de cet excellent duo : Yasuko SUZUKI nous convie ici, avec la complicité de Honoré BÉJIN, dans les mondes inspirés de ces compositrices françaises oubliées à l’honneur tout au long de cet opus délicat et virtuose bien nommé de « l’Âme Rayonnante ».

Philippe Perrichon

Site Yasuko SUZUKI : https://www.yasukosuzuki.com/html/schedule_fr.html

Page label : https://indesenscalliope.com/boutique/lame-resonnante/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.