AD VITAM – Une seconde chance

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AD VITAM – Une seconde chance
(ACEL)

Dans la série, décidément à rebondissements, des retours hautement improbables et joyeusement inattendus, je vous présente le groupe AD VITAM.  « C’est quoi ? », demanderont fatalement les (très) (nombreux) néophytes ? AD VITAM est de ces groupes qui ont été certainement écoutés en priorité par des fans de la musique de MAGMA et de tout ce qui s’y rattache, mais qui n’ont pas dû tous y trouver leur compte, surtout s’ils y cherchaient la fibre guerrière et « effroyablement destructrice » qui ont fait la légende du groupe de Christian VANDER. Et pour cause, il n’y a aucun caractère proprement belliqueux dans la musique d’AD VITAM, loin s’en faut. Dans la sphère de la musique dite « zeuhl », AD VITAM a été un discret satellite tapi dans un recoin ombragé. Son rattachement à cette sphère a été due à des connexions de personnel qui ne trompent pas, ainsi qu’à une certaine proximité avec des aspects de la musique de Christian VANDER mis en valeur dans ses productions solo ou dans son groupe OFFERING.

Le fondateur d’AD VITAM, Jad AYACHE, s’est fait connaître au début des années 1990 comme guitariste et compositeur du groupe rock-prog-zeuhl français XAAL. C’est après la dissolution de celui-ci que Jad AYACHE a créé AD VITAM, au beau milieu de ces mêmes années. Les fans de XAAL ont très vite compris qu’ils avaient affaire avec AD VITAM à un cas flagrant de « solution de continuité ».

D’abord, la musique d’AD VITAM avait opté pour un mode acoustique et vocal, là où XAAL était (furieusement) électrique et instrumental. De plus, Jad AYACHE avait majoritairement troqué la guitare électrique contre un piano ! Par conséquent, en lieu et place de la martialité et de la noirceur de XAAL, AD VITAM cultivait une veine plus délicate et poétique et, surtout, proposait… des chansons.

Sur son obscur car autoproduit premier album éponyme, paru en 1999, AD VITAM était formé, outre Jad AYACHE, d’une voix féminine (Virginie COUTIN) et d’une voix masculine (Christophe BLANC). On y trouvait de plus un certain Bertrand CARDIET à la contrebasse, lequel est connu pour avoir fait partie, en tant que chanteur principal, de la réactivation en formule électrique de MAGMA en 1996, et Alex FERRAND, déjà entendu dans le groupe Christian VANDER’s OFFERING, y était invité sur un morceau.

Le deuxième album d’AD VITAM, Là où va le vent, paru en 2002 sur le tout jeune label Triton (de la salle du même nom aux Lilas, en Seine Saint-Denis), a été enregistré par une nouvelle formation d’AD VITAM comprenant trois voix, celles d’Isabelle FEUILLEBOIS, de Julie VANDER et de Claude LAMAMY, tous trois débauchés des VOIX DE MAGMA, la formation qui a assuré le trait d’union entre OFFERING et MAGMA dans la première moitié des années 1990. Symptomatiquement, le regretté James MacGAW, connu pour avoir été le guitariste de MAGMA à la même époque, y est invité sur un morceau, mais cette fois à la contrebasse !

Outre cette connexion de musiciens, il y avait dans la musique d’AD VITAM des affinités électives avec l’approche vocale exploitée par OFFERING, avec ses propensions pour des ambiances mystiques et apaisantes, saupoudrées néanmoins de voiles troubles et d’envols dramatiques, à la différence près qu’elle avait troqué le langage zeuhl pour la langue française et qu’elle avait dilué les structures classico-contemporaines dans un format chanson. Et pour l’anecdote, on trouvait dans cet album une adaptation d’un texte inédit de Christian VANDER (Poème de soldat).

Enfin, il n’est pas inutile de souligner qu’AD VITAM a également participé en 2007 à une compilation en « hommage à la musique de Christian VANDER », Hamtaï ! (un projet mené par feu Alain JULIAC), pour laquelle il a repris un thème joué par MAGMA en 1977 mais jamais enregistré, Morrison in the Storm, et que Jad AYACHE a collaboré à cette époque au « journal kobaïen » Muzik Zeuhl et a alimenté de nombreux numéros d’une rubrique, Magma Historia, conçue à partir d’entretiens fleuves avec Christian VANDER.

Les liens de proximité avec la famille et l’univers musicaux de Christian VANDER qu’a cultivé AD VITAM n’en font pas un groupe de musique zeuhl pour autant, si cette expression désigne les groupes et artistes dont la musique s’inscrit dans le prolongement de, ou plagie tout bonnement, la musique de MAGMA. Il est ici question de tout autre chose.

AD VITAM est avant tout le véhicule créatif de Jad AYACHE ; ce sont ses idées, ses visions, ses penchants poétiques et musicaux qui y sont exposés. Et l’on voudra bien croire que sa connexion à l’univers de Christian VANDER n’y est pas plus soulignée que son attachement à l’univers de Georges BRASSENS – comme en témoigne dans le deuxième album cette poignante adaptation d’un texte inédit de ce dernier, Le Fidèle absolu, devenu un classique d’AD VITAM – ou encore ses appétences pour Claude DEBUSSY, Johannes BRAHMS ou Maurice RAVEL.

Chaque disque d’AD VITAM est un jalon de la quête tant artistique qu’existentielle de Jad AYACHE. C’est dans cette optique qu’il faut appréhender la sortie de ce nouvel album, dix-neuf ans (!) après le précédent, et une quinzaine d’années après les derniers concerts du groupe. De l’eau a coulé sous les ponts, du sel s’est versé sur la vie, des vents et des marées ont soufflé, des paroles se sont perdues, des jours sont partis comme des soldats pour le dernier combat, et Jad a continué à écrire, certes sans se presser, et s’est enfin décidé à marquer son temps nouveau d’une nouvelle galette discographique.

Une seconde chance, comme son titre ne l’indique pas, est ainsi le troisième disque de Jad AYACHE à arborer la bannière « AD VITAM ». Loin d’être un disque de reformation, il est une pierre supplémentaire sur le chemin, et Jad AYACHE y est entouré de nouveaux acolytes. Pour celles et ceux qui ont connu AD VITAM du temps de son premier album ou de celui de Là où va le vent, la surprise sera de taille !

D’abord, on y trouve qu’une seule voix principale, celle de la chanteuse Isa MODICA, parfaitement inconnue du milieu zeuhl mais petite perle rare quand même. Jad AYACHE supplée à l’absence d’une voix masculine principale, mais n’intervient pas en tant que voix soliste, juste aux chœurs, et a abandonné le piano pour se concentrer sur les guitares.

Et comme une surprise peut en cacher une autre, l’autre acolyte n’est autre que Philippe GLEIZES, figure centrale de la scène musicale française aventureuse, souvent entendu aux côtés de Médéric COLLIGNON et fondateur de nombreuses formations déviantes comme GLEIZKREW, CAILLOU, BAND OF DOGS… sans parler de son passage remarqué chez OFFERING dans les années 2000 ! Du reste, Jad AYACHE et Philippe GLEIZES avaient déjà eu l’occasion de travailler ensemble au sein de l’éphémère formation CHEWBACCA, ce sont donc loin d’être des inconnus l’un pour l’autre.

Ce n’est pas peu dire que la présence de Philippe GLEIZES transfigure complètement la musique d’AD VITAM, qui ne s’était auparavant jamais dotée d’une batterie ! Et quand on embauche Philippe GLEIZES, ce n’est évidemment pas pour jouer strictement balloche ! Mais c’est pourtant toujours de chansons dont il s’agit chez AD VITAM, aussi peut-on entendre ici Philippe GLEIZES dans un contexte qu’on ne lui connaissait guère et dans lequel il est chargé, selon l’intention de Jad AYACHE, d’insuffler « la « grosse » énergie qui le caractérise » (sic). Dont acte, non sans faire montre de subtilité et de retenue, tout en distillant quelque grain de folie, un véritable exercice d’équilibre s’il en est ! Et tant qu’à faire, Philippe GLEIZES additionne ses talents aux percussions et aux guitares basses. Les compositions sont ainsi davantage enrobées, mais sans surcharge.

En conséquence, les onze chansons d’Une seconde chance sont dotées d’une armature instrumentale encore jamais entendue chez AD VITAM et qui leur donnent un côté « on the road again », entre folk et rock. On prend la route dès le départ avec un Accord perdu tout en rebonds retenus, on baguenaude avec nostalgie Au fil des pages (soulignées avec finesse par l’alto de l’invitée Nathalie BASSET), on musarde avec nonchalance avec Tu n’y étais pas, apte à soutirer au moins une larme, on met le turbo avec les plus fringantes Boucles de Meige, on fait des embardées guillerettes pour atteindre la Prochaine Sortie, on brinquebale avec Les Amis qui partent trop tôt…

On prend aussi le temps de contempler « acoustiquement » le temps qui passe, « têtu et changeant, (qui) ne fait pas de sentiment » dans Providence, une bien jolie ballade à la BRASSENS (qui, allez savoir pourquoi, me renvoie l’écho d’une chanson folk de la B.O. de The Wicker Man…). Toujours en mode dépouillé, on dresse le portrait du petit Malo, et on célèbre le Printemps (qui) revient, d’abord en suspension, avant de se remettre en route pour aller en fin de journée remuer avec Wilson… Oui, il s’agit bien d’un hommage au chanteur soul américain Wilson PICKETT, et c’est l’unique chanson du disque interprétée en anglais ! Sûr, ça change des adaptations des thèmes méditatifs de GURDJIEFF qui émaillaient les deux précédents albums…

Au bout du disque, nous avons droit en mode caché à une autre version d’Au fil des pages, en « mix doux », qui met encore plus en relief le chant émouvant d’Isa MODICA, les arpèges de guitare, les inflexions de l’alto, et ces cymbales qui se fracassent comme des vagues sur une berge…

En surface, le ton global d’Une seconde chance paraît moins mystique et moins emprunt de cette gravité hivernale qui transparaissait dans le premier album éponyme et dans Là où va le vent. Certains textes sont indubitablement plus ancrés dans le concret, égrènent des images d’un quotidien qui serpente entre une ballade au bord de l’eau sur le sable mouillé, un instant chaviré pétri de blancheur solaire, une marche rêveuse sur une falaise, une virée en voiture ou en cyclo, avec toujours la tête pleine de souvenirs, de blessures secrètes.

Au fond, on retrouve ici des thèmes déjà présents dans les précédents répertoires d’AD VITAM, comme le passage du temps et du crachin sur les saisons de l’être, l’absence, la disparition, l’attente, la marque du destin, la chaleur d’une présence humaine… La seule chanson qui renoue avec une ambiance martiale aux échos zeuhliens est J’avais cru, avec son climat plus tendu et sombre ponctué de coups de cymbales qui résonnent comme des coups de semonce…

Pour le reste, la force de cet album tient à ses contrastes entre des textes aux relents parfois amers, mélancoliques, et ses musiques plus solaires, Jad AYACHE ayant voulu clairement apporter « d’éclatantes touches lumineuses » (re-sic) à l’édifice d’AD VITAM. Passé le temps d’adaptation à ces nouveaux contours, il faut reconnaître que ce disque agit comme un baume tant il regorge de nuances émotionnelles rassérénantes. Offrez donc à AD VITAM sa « seconde chance » en prenant le temps de savourer son écoute…

Stéphane Fougère

Label : https://acel-enligne.fr/label.html

AD VITAM en concert au Triton

Le 21 avril 2023, pour célébrer la sortie de son troisième album, le Triton a offert sa « Seconde Chance » à AD VITAM, qui n’avait pas donné signe de vie depuis son dernier concert dans la même salle lilasienne en…2008 ?

Autre temps, autre formation : cette fois, Jad AYACHE, aux guitares et aux chœurs, était entouré d’Isa MODICA à la voix principale et de Philippe GLEIZES à la batterie. Pour ce concert, le trio du disque est devenu quartette avec la participation du bassiste Charles LUCAS (CAILLOU, BADUME’s BAND ..). Et ce n’est pas sans une certaine émotion que Jad AYACHE reprenait le chemin de la scène lilasienne après ce hiatus de plusieurs années.

Le répertoire d’Une seconde chance a été joué en intégralité et, du fait de la présence d’un quatrième membre, la musique a gagné en épaisseur et en relief sur des sentiers chavirés, sans jamais perdre la fibre chansonnière originelle. De plus, AD VITAM a rejoué quelques beaux vestiges de son passé, et l’on a ainsi redécouvert Ça et là, Vallon des Auffes, avec de nouveaux et étonnants atours, sans oublier bien sûr le Fidèle de Georges BRASSENS.

Et en guise de cerise sur le gâteau, AD VITAM a repris une chanson peu connue des Beatles (I’m Only Sleeping) et s’est fendu d’un dernier moment bien « acide » avec cette reprise défoulatoire et assez inattendue de Four Sticks de LED ZEPPELIN !

Le tout a été servi dans une ambiance aussi décontractée que chaleureuse ; aussi espère-t-on une nouvelle longue vie à ce nouvel AD VITAM !

Photos : Stéphane Fougère

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