AFTER DINNER – Paradise of Replica / Paradise of Remixes
(ReR/Orkhêstra)
Si la pop expérimentale japonaise a aujourd’hui su séduire un certain public en Occident, elle ne le doit pas nécessairement aux caprices d’exotisme de nos circuits underground, mais plutôt aux travail de reconnaissance effectué par des groupes pionniers qui, depuis une vingtaine d’années, ont répandu leur bonne et saugrenue parole au-delà des rives japonaises.
AFTER DINNER est l’un d’eux et fut le premier véhicule dirigé par HACO, qui, dans les années 80, le fit connaître en Europe. (Le groupe est apparu sur une cassette, Paris-Tokyo, du label français Tago-Mago dès 1983 et s’est produit au Festival MIMI en 1987.) En seulement deux albums, AFTER DINNER s’est imposé par son aptitude à canaliser un fourmillement d’idées dans le format apparemment réducteur de la chanson pop.
Chaque morceau est élaboré comme une estampe langoureuse et apprêtée dont les mille et un détails sont mis en valeur par un arc-en-ciel de couleurs variées et disparates au premier abord, mais qui se fondent organiquement. L’aspect moulin de la formation et le recours aux compétences d’invités aux bagages fort diversifiés ont contribué à donner sa singularité à chaque concert et à chaque enregistrement.
Chez AFTER DINNER, pièces orchestrales, berceuses intimistes et chansons de cabaret combinent l’inspiration folklorique avec l’expérimentation électronique, avec un sens du raccourci qui n’obstrue nullement l’échappée onirique. Le tout est rehaussé par des textes abscons et en apparence décousus, genre haïku japonais, enluminés par la voix délicieuse, naïve et pâmée de HACO, imparable maître d’œuvre d’une architecture qui sublime le kitsch en un art mature et prodigieusement original.
De la même manière que le premier LP éponyme du groupe a fait l’objet d’une réédition CD chez ReR Megacorp augmentée d’enregistrements live et rebaptisée Editions, le second opus, Paradise of Replica, paru initialement chez RecRec en 1989, a été effectivement répliqué, avec une nouvelle pochette, par le même ReR Megacorp et augmenté de remixes inédits.
À l’origine, neuf pièces constituaient le corps de Paradise of Replica : certaines d’entre elles nous étaient déjà connues sous forme live dans le précédent CD, comme Ironclad Mairmaid, A Walnut et Kitchen Life, et l’on apprécie d’autant plus de les retrouver dans des arrangements totalement repensés. Il faut dire que l’on n’a pas lésiné sur les invités et l’instrumentation. Chaque morceau présente son lot de sonorités inattendues, manipulées ou non.
Des instruments traditionnels (tung-siao, yanch’in, hichiriki, guimbarde, harpe indienne) ont ainsi été réquisitionnés, de même que des instruments classiques comme la clarinette, le violoncelle ou la flûte. Tous sont utilisés pour leur saveur spécifique mais dans un contexte radicalement neuf et ouvrant à toutes les hypothèses surréalistes, telle cette rencontre du dub et du classique dans Ironclad Mermaid, la guitare électrique comme condiment privilégié d’une vie en cuisine déjà bien agitée par des percussions-ustensiles et à peine calmée par les harmonies vocales de Motorcycle, qui passe au milieu, ou le recours au volley-ball comme support rythmique sur Dancing Twins !
Fragile comme un château de cartes et ciselée comme une pyramide de verres, ou le contraire, la pop atmosphérique d’AFTER DINNER contient moult séductions pour toute oreille en quête de ritournelles torpillées, de mélancolies sémillantes, d’insanité réfléchie et d’avant-gardisme au nez rouge.
Cette réédition offre en supplément quatre remixes conçus par Pascal PLANTINGA, Terre THAEMLITZ, SKIST et Joshua McKAY. En récupérant çà et là des textures instrumentales et rythmiques de l’album d’origine, chaque remixeur en propose une relecture subjective, qu’elle soit brumeuse, hypnotique ou romantique. Globalement, et sans être indispensables ou révolutionnaires, ces remixes se fondent assez bien dans la continuité de l’œuvre d’AFTER DINNER. La poire de l’« après après-dîner », si l’on veut.
Stéphane Fougère
Label: www.rermegacorp.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°10 – janvier 2002)