Ariel KALMA
Les Premières Moissons d’une musique évolutive
Le compositeur français de musique planante électro-acoustique Ariel KALMA (de son nom complet KALMANOWICZ) a quitté son enveloppe terrestre début juin 2025 à l’âge de 78 ans. Confirmant l’adage selon lequel nul n’est prophète en son pays, ce poly-instrumentiste (saxophones, flûtes, orgues, claviers, synthétiseurs…) n’a guère fait parler de lui dans l’Hexagone et est longtemps resté mal connu, en dépit d’une production discographique foisonnante, mais guère visible.
On ne peut même pas dire que nous avons affaire à un cas typique de star déchue et oubliée, puisque Ariel KALMA n’a jamais connu de réel succès tant commercial que public ou critique. À vrai dire, il a même tout fait pour que ça n’arrive pas ! Son inspiration artistique, Ariel KALMA n’a pas voulu la faire servir à des fins strictement matérielles, juste pour « gagner sa croûte ». Son credo était du reste : « Pourquoi chercher à gagner sa vie, alors qu’on l’a déjà ? » Parole d’illuminé, ou parole illuminante ? Un peu des deux, à l’image de sa musique résolument tournée vers les flux harmoniques circulant entre l’âme humaine et le cosmos.
Nous vous proposons dans cet article de découvrir, ou de revenir sur les années pionnières de la création musicale d’Ariel KALMA, soit les années 1970, à travers ses deux premières œuvres et d’autres enregistrements exhumés plus récemment.
Depuis les années 1970 Ariel KALMA a enregistré des kilomètres de musique ; mais seulement une petite partie a été publiée, la plupart du temps en autoproduction ou sur des micro-labels. Au fond, Ariel KALMA a commencé comme artisan et l’est toujours un peu resté, évoluant dans l’ombre des grands circuits, fussent-ils ceux des musiques contemporaines et expérimentales.
Cependant, la musique d’Ariel KALMA aurait dû connaître une reconnaissance au moins analogue à celles de Terry RILEY, LaMonte YOUNG, TANGERINE DREAM, Steve REICH, POPOL VUH, Philip GLASS, Peter MICHAEL HAMEL, LARAAJI, etc., avec lesquelles elle se trouve des affinités. Il a fallu attendre la fin des années 2000 pour que soient rééditées en format CD les premières œuvres d’Ariel KALMA, grâce à d’obscurs labels étrangers. Ainsi redécouvertes et réhabilitées, Le Temps des moissons (1975) et Osmose (1978), sont désormais reconnues comme des perles rares évoluant à la croisée de musiques que l’on n’appelait pas encore « ambient », « drone » et « new age » et qui, aujourd’hui, ne peuvent pas être complètement réduites à ces étiquettes. Depuis, des archives inédites – dont le double album An Evolutionary Music – ont été déterrées et ont contribué à une réévaluation plus profonde de sa démarche musicale dans ses premières années.
Fast Road to Nowhere
Au départ pourtant, l’ « enfance musicienne » d’Ariel KALMA fut aux antipodes des univers musicaux qu’il a prospectés ou même initiés plus tard. À ses débuts, il fut musicien d’accompagnement pour le chanteur francophone Salvatore ADAMO, puis a enregistré pour Gilbert MONTAGNÉ, Claude ENGEL ou encore pour David McNEIL (du label Saravah créé par Pierre BAROUH), et a suivi Jacques HIGELIN en tournée. Il fallait bien vivre, comme on dit. Mais dans son jardin secret, Ariel KALMA a d’abord été un amateur de rock n’roll avant de virer de bord en se prenant dans la poire le free jazz d’un Albert AYLER et d’un SUN RA, ce qui l’a poussé à former brièvement un duo orienté free jazz avec le batteur Jean-My TRUONG.
Et comme la porosité des univers se charge de tracer des lignes fort sinueuses et tarabiscotées aux destinées, sa carrière alimentaire a permis à Ariel KALMA de connaître, par le biais d’heureux accidents, ses premières « révélations » musicales, et même spirituelles. Il y a ainsi eu cette rencontre fortuite, lors d’une tournée en Allemagne avec ADAMO, avec le guitariste brésilien Baden POWELL, qui a donné lieu à une mémorable jam nocturne et qui a valu à Ariel d’enregistrer brièvement avec son quartet (Corba Coisa n°1, sur l’album Volume 3). Pendant une tournée également, une escale durant la saison des moussons en Inde, dans un hangar d’avion transformé en marché aux épices, a offert à KALMA une expérience sensitive intense qui a « ouvert son cœur » et son esprit.
À la Maison de la Radio, un concert des frères DAGAR, éminents gardiens d’une séculaire tradition indienne, le dhrupad, a révélé à KALMA l’existence d’une musique apte à transformer l’esprit, un son qui résonne en profondeur autant dans la psyché que dans l’enveloppe physique, une pratique musicale qui agit en mode « vertical » et ouvre sur d’autres dimensions. Et à peine une semaine après avoir achevé une tournée physiquement et spirituellement usante avec Jacques HIGELIN, Ariel KALMA a pris un aller-simple pour l’Inde. Il y est resté neuf mois. Suffisamment pour en revenir transformé. Humainement. Artistiquement. Spirituellement.
Avoir à ses débuts accompagné quelques stars de la variété française n’a pas encouragé Ariel KALMA à se mettre sous les feux de la rampe, bien au contraire. Vite lassé de jouer pour les autres, peu enthousiaste à l’idée de jouer avec d’autres qui n’avaient pas forcément la même vision que lui, Ariel KALMA a préféré rester dans sa tour d’ivoire.
Bien qu’il ait continué à assurer quelques participations amicales pour des musiciens ou groupes cette fois plus marginaux, comme Guy SKORNIK, NYL, ou encore Richard PINHAS (il avait joué sur le premier 45 Tours de son groupe SCHIZO puis a remis le couvert plus tard sur le troisième album de HELDON, Third – It’s Only Rock n’roll) et l’éphémère collectif DELIRED CAMELEON FAMILY de Cyrille VERDEAUX (CLEARLIGHT) et Ivan COAQUETTE (MUSICA ELETTRONICA VIVA, SPACECRAFT), Ariel KALMA n’a cessé d’expérimenter dans son studio du quartier de Montparnasse, rue de la Gaieté à Paris, intégrant la technique de la respiration circulaire au saxophone dans un système d’effets de « delays » étendus. Utilisant des magnétophones à bandes Revox à deux pistes, il a ainsi créé des « feedbacks », des longues boucles, des motifs répétitifs, des chevauchements. Les nuits et les week-ends, Ariel a ainsi composé, improvisé de la musique à un rythme soutenu et constant, s’autorisant à aller où il voulait selon son intuition, en fonction des sons qui se manifestaient dans son esprit.
La destinée artistique d’Ariel KALMA s’est dessinée en fonction de rencontres humaines et musicales, de voyages tant extérieurs qu’intérieurs, d’expériences sensitives « épiphaniques », d’expérimentations technologiques, de pratiques initiatiques, bref tout un tas d’événements singuliers plus ou moins agencés selon un programme « synchronistique » dont sa musique est en quelque sorte le miroir réfléchissant.
Ainsi, Salvatore ADAMO, Jacques HIGELIN, Pierre BAROUH, Albert AYLER, SUN RA, les frères DAGAR, Baden POWELL, l’Ensemble ARICA, Don CHERRY, Terry RILEY, LaMONTE YOUNG, Peter Michael HAMEL, Bryon GYSIN, Richard PINHAS, Michaël LEVINAS, Richard HOROWITZ… mais aussi l’Inde, Manhattan, le GRM (Groupe de Recherches Musicales) et un charmeur de serpents ont, à des degrés divers, joué un rôle dans l’évolution tant artistique qu’intérieure d’Ariel KALMA, métamorphosant le simple « session man » en voyageur cosmique de première classe.
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Le Temps des moissons, ou la modalité indienne en mode électronique
Paru en 1975, le tout premier album éponyme d’Ariel KALMA, plus tard re-titré le Temps des moissons, est devenu mythique autant pour son contenu musical que pour les conditions pour le moins artisanales de sa fabrication et de sa diffusion. Il est constitué de trois longues pièces présentées comme des « ragas électroniques des 70’s » (sic). Le terme « raga » renvoie à la musique savante indienne et désigne une sorte de cadre mélodique dont les notes correspondent à un climat émotionnel particulier, à un moment du jour ou de la nuit ou à une saison. Ariel KALMA n’est pas un musicien traditionnel indien, mais l’Inde a imprégné sa vie comme son approche artistique.
En 1974, Ariel KALMA a en effet effectué un séjour de neuf mois en Inde. Là-bas, il s’est initié aux rudiments des arcanes modales de la musique savante indienne auprès d’éminents gardiens de la séculaire tradition du « dhrupad », à savoir les Frères DAGAR, qu’il avait auparavant découverts à l’occasion d’un concert à la Maison de la radio. C’est de plus en Inde qu’Ariel aurait appris la technique de la respiration circulaire auprès d’un charmeur de serpents ! Il a fait de cette technique une véritable méditation yogique, mettant la respiration du corps et de l’esprit en mouvement à travers son jeu au saxophone et à la flûte.
L’Inde n’a pas seulement offert à Ariel KALMA une approche musicale, elle lui a également prodigué des visions qui l’ont transformé de simple musicien en pèlerin en quête de vérité intérieure. Une escale durant la saison des moussons en Inde, dans un hangar d’avion transformé en marché aux épices, a offert à KALMA une expérience sensitive intense qui a ouvert son cœur et son esprit. Plus tard, lors de son périple de neuf mois en Inde, Ariel KALMA s’est immergé dans un océan de sons, et a découvert que chaque son là-bas est accordé à une note, et que tout ce qui se donne à écouter est dans une relative harmonie. À des degrés divers et dans des contextes différents, l’Inde a donc servi de marche-pied dans le cheminement tant artistique que spirituel d’Ariel KALMA.
À son retour en France (après tout un périple dans le Moyen-Orient et en Turquie qui a aussi joué un rôle), Ariel KALMA s’est retrouvé au sein du GRM (Groupe de recherches musicales), fondé par Pierre SCHÄEFFER, en tant qu’assistant du compositeur contemporain Michaël LEVINAS, lequel lui a permis d’utiliser son studio à l’INA (Institut national de l’audiovisuel) les week-ends et les nuits. C’est durant ces moments que KALMA a perfectionné une méthode qui lui a permis de transcrire les sons qu’il avait dans sa tête sur des bandes magnétiques, mêlant des instruments et des boucles de son invention en une combinaison électro-acoustique artisanale. Les compositions de son premier album résultent de tout cet assemblage de tourneries de saxophones, de sons exotiques et de filtres électroniques.
Dans le Temps des moissons, qui s’étale sur toute la face A du LP original, des phrases de saxophones tournent en boucles, sont mises en écho, subissent des variations de vitesse et des mutations via une pédale wah-wah et des effets d’échos, se mêlent à d’autres instruments (harmonium) et traversent plusieurs phases, à la manières des « alaps » (introduction arythmique et abstraite) des ragas indiens : une introduction lente accordant chaque note et ébauchant le thème, une partie qui développe l’aspect rythmique, et une ultime partie entièrement imaginée par Ariel, se détachant des règles musicales de la tradition indienne, dans laquelle le saxophone se laisse aller et disparaît dans l’éther.
À l’inspiration indienne s’ajoute celle de la musique nord-africaine gnawa sur la deuxième pièce, Bakafrica, qui voit le concours de Loy EHRLICH à la guitare électrique et de Brahim el BELKANI au djonkoloni (ou hajouj), Ariel KALMA jouant du saxophone et des percussions, usant de l’echoplex (delay à bande magnétique) et se servant de filtres. S’appuyant sur les effets de basse du djonkoloni, le tempo change constamment de vitesse, et dessine une ligne sinueuse qui évoque la marche des chameaux dans le désert…
Quant à la troisième pièce, Reternelle, elle se présente comme une danse pour deux saxophones et leurs harmonies. Les motifs joués au saxophones sont accordés en boucles et en échos qui les transforment de manière à faire tourner les rythmes. Sur le premier pressage vinyle de l’album, le sillon en fin de face B avait été bouclé, de manière à créer justement une boucle (r)éternelle… Sur la version CD publiée par Beta-Lactam-Ring Records en 2008, ce genre d’effet n’a évidemment pas pu être reproduit, mais Reternelle a tout de même vu sa durée prolongée par l’inclusion d’une boucle finale de quelques minutes supplémentaires.
De plus, cette version CD contient deux pistes non incluses dans la version vinyle originale. Conçue pour un diaporama multi-écran au Kinopanorama de Paris en 1973, Voyage Reternelle combine des abstractions saxophonistiques à des boucles de vitesse variable et à des rythmes curieux créés avec une boîte à rythme « vintage ». Comme son titre le laisse entendre, Voyage Reternelle est lié à Reternelle puisqu’on y retrouve son thème principal, mais en est une sorte de variante plus condensée. Évoquant une marche solitaire difficile, Fast Road to Nowhere est pour sa part fondée sur une mélodie moyen-orientale et fait intervenir des instruments acoustiques – une guimbarde et une flûte de bambou – une voix subreptice et des effets d’échos.
Contre toute attente, ces pistes bonus ne figurent pas après la troisième et dernière pièce du disque original, mais entre la deuxième et la troisième pièces et sont de fait intégrées au corps de l’album, dans lequel elles se fondent il est vrai assez bien.
Tant dans ses constructions que dans la forme d’hypnose extatique qu’il génère chez l’auditeur, le Temps des moissons présente une familiarité d’esprit avec les œuvres minimalistes pionnières de Terry RILEY telle que In C ou A Rainbow in Curved Air, mais de manière plus artisanale et avec quelques touches d’exotisme et une aspiration résolument cosmique. À l’époque, KALMA et RILEY ne s’étaient pas encore rencontrés et vivaient à des kilomètres l’un de l’autre. On ne peut donc parler d’inspiration directe ou mutuelle – et encore moins de copiage – mais plutôt d’une circulation d’idées relevant d’une même source psychique et qui se sont déployées à la même époque dans deux esprits et deux lieux différents. Il s’agit autrement dit d’un phénomène de coïncidence temporelle qui relève de la synchronicité.
Pour la petite histoire, la première édition vinyle du Temps des moissons est entrée dans la légende du fait de sa fabrication artisanale et originale. N’ayant pas trouvé de maison de disques désireuse de prendre en charge les frais de production, Ariel KALMA, sur les conseils de son ami Richard PINHAS, a effectué lui-même le pressage des mille premières copies de son disque et s’est procuré des pochettes vierges qu’il a numérotées et sur lesquelles il a tracé sur chacune d’elles le contour de sa main. Il va sans dire que ces copies sont aujourd’hui dûment recherchées sur le marché du disque de collection…
À l’époque, Ariel KALMA a de même vendu ses exemplaires à l’arrière de son Solex et les a démarchés auprès des disquaires et des stations de radio. Un coup de pouce du destin, en l’occurrence sous la forme de diffusion dans une émission nocturne de Daniel CAUX sur Radio France, a permis à KALMA de faire connaître son album et d’écouler son stock d’exemplaires, et même d’en presser une seconde fournée ! Finalement, les moissons se sont révélées plutôt bonnes…
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Osmose, ou la « tropicalité » cosmique
L’album Osmose est quant à lui paru en 1978. Durant les trois années qui séparent ce dernier et le Temps des moissons, Ariel KALMA s’est investi davantage dans le yoga via des communautés de développement personnel d’inspiration tantrique et a poursuivi ses expérimentations de boucles et de feedbacks, son approche musicale à base de respiration circulaire pour ses instruments à vents devenant une véritable pratique yogique. Il a ainsi continué à enregistrer des kilomètres de bandes.
Mais c’est sa rencontre avec un sculpteur, Richard TINTI, qui a été déterminante pour la genèse de son nouvel album. En effet, TINTI avait en sa possession plusieurs heures d’enregistrements de terrain effectués lors son voyage sur l’île de Bornéo, en Asie du Sud-Est. En parfait autodidacte, il a capté avec un Nagra et deux micros une ample collection de sons de la forêt tropicale (chants d’oiseaux, bruitages naturels, percussions tribales, etc.) dont les résonances ont rappelé à Ariel KALMA son expérience indienne d’un océan de sons en harmonie (voir plus haut), expérience qu’il cherchait à retranscrire dans ses propres enregistrements. Ariel s’est vite convaincu que les enregistrements qu’il avait prévu pour constituer son nouvel album étaient accordés aux captations « in situ » de Richard TINTI, et s’est juste mis à enregistrer quelques autres nouvelles musiques qu’il s’est contenté d’adapter aux sons naturels de Bornéo, lesquels étaient déjà accordés avec ses morceaux.
Dans les six compositions d’Osmose, les sonorités de la forêt tropicale bornéenne ne se contentent donc pas de servir de fond de décoration aux drones de KALMA ; ce sont au contraire ces derniers qui interagissent avec les hauteurs des pépiements, gazouillements, croassements et craquements captés par TINTI, leurs tonalités se fondant dans les couches électroniques de KALMA et leur procurant même des impressions rythmiques et mélodiques.
C’est ainsi qu’un enregistrement live d’Ariel effectué lors d’un concert nocturne à ciel ouvert au Planétarium de Paris, et dans lequel il joue du saxophone soprano en mode respiration circulaire et de l’orgue, se retrouve agrémenté de delays et mixé avec des sons nocturnes de la forêt en bordure d’une rivière (Saxo Planétariel) ; qu’un grand harmonium d’une petite église française se retrouve combiné aux chants d’oiseaux de Bornéo (Planet Air) ; qu’une flûte argentée fait écho aux ondes harmoniques changeantes des claviers et des réverbérations accordées parmi les arbres de la forêt tropicale, avec oiseaux et insectes matinaux (Forest Ballad 77) ; ou qu’un paysage sonore composé pour un diaporama géant de 1973 (Voyage au centre de la tête, ça ne s’invente pas !) avec des sons de guimbarde est remixé avec des tambours de guerre des indigènes de Bornéo, eux-mêmes analogiquement filtrés à travers 40 canaux pour engendrer des effets mouvants (Gongmo).
Dans Osmose, les sons de la forêt tropicale n’ont pas exactement le même rôle que celui que lui donnent des dizaines de productions new age plus convenues et prévisibles. Au lieu d’être simplement relaxante et apaisante, elle devient chez KALMA et TINTI une scène de théâtre hantée sur laquelle se jouent des micro-drames sensitifs. Sujette à des effets de dilatations du temps et de l’espace, de la présence et de la distance, renforcées par les effets électroniques, la jungle de Bornéo devient un panorama extérieur autant qu’un espace intérieur qui engendre des visions hallucinatoires. De terrestre, la forêt tropicale devient céleste ou infernale. À l’hypnose crépusculaire de Saxo Planetariel, à la langueur extatique de Message 18.1.77, à la méditation émerveillée de Planet Air et à la lévitation éthérée de Forest Ballad succèdent le trouble vaporeux dans Manège et la menace angoissante de Gongmo. L’univers sonore de TINTI, combiné à celui de KALMA, engendre de magistrales, extatiques et fiévreuses visions diurnes et nocturnes aux résonances universelles.
Dans sa version vinyle originale, Osmose se présentait sous forme d’un double LP, avec un « Disque A » et un « Disque R ». Le premier contenait les compositions d’Ariel KALMA, et le second était entièrement dévolu aux captations de terrain de Richard TINTI. Ce dernier, composé de cinq pistes, était exceptionnellement long pour un disque vinyle, ses deux faces dépassant aisément les trente minutes chacune du fait de sillons extrêmement fins, nécessitant une pointe de lecture très aiguisée. Le contenu de ce disque R ne figure hélas pas dans la réédition CD d’Osmose parue chez Blur, mais celle-ci, uniquement dévolue au disque A original, comprend en revanche trois pistes supplémentaires.
Comme son titre l’indique, Osmose Chant fait entendre un chant languide étiré par des delays et proféré par une voix aux échos sépulcraux, auquel s’ajoutent des chants d’oiseaux, des grillons, une couche d’harmonium, des notes cristallines de claviers… et un bourdon de mouche passagère (apparemment la même qui était venue faire un tour à la fin de Planet Air) ! Saxo Forest a des allures de douce sérénade en nocturne, toujours animée de grillons et d’oiseaux en goguette ; et Orguitar Soir fait entendre Ariel KALMA à l’orgue et – une fois n’est pas coutume – à la guitare, tous deux accordés dans le style de la musique gnawa marocaine, ses notes volatiles se mouvant avec des chants d’oiseaux pour plonger l’auditeur dans les bras de Morphée avec un sourire aux lèvres. Ces trois pièces bonus prolongent admirablement l’exploration sonore d’Osmose et dévoilent de nouveaux pans de sa « tropicalité cosmique ».
Avec le recul, on se rend compte combien Osmose est une œuvre visionnaire et défricheuse qui a ouvert la voie de la musique ambient exotique. Sa capacité à relier les géographies terrestres avec les espaces stratosphériques en fait un guide d’expédition idéal pour tout globe-trotter sidéral.
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An Evolutionary Music – Original Recordings : 1972-1979, ou les autres moissons d’étoiles arrachées au temps
Pendant longtemps, le Temps des moissons et Osmose furent les seules traces discographiques d’Ariel KALMA à illustrer ses expérimentations durant les années 1970. Les rééditions de l’une et de l’autre en format CD à la fin des années 2000 ont suscité un tel regain d’intérêt pour sa musique que Matt WERTH, fondateur d’un label indépendant new-yorkais, RVNG Intl., a persuadé Ariel KALMA de fouiller ses tiroirs et ses caves pour en exhumer quelques trésors cachés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y en avait ! Comme on l’a en effet laissé entendre, Ariel KALMA s’est livré à moult expérimentations durant les années 1970, et celles-ci ont été enregistrées mais n’ont pas trouvé trouvé place sur ses albums. Paru en 2014, le double album (LP et CD) An Evolutionary Music ouvre la boîte de Pandore des trésors cachés datant de l’époque circonscrite entre 1972 et 1979, soit une période qui englobe le Temps des moissons et Osmose, dévoilant même des enregistrements d’avant le premier et d’un peu après le second.
Au total, An Evolutionary Music contient 21 pièces inédites, à l’exception d’une seule, Love and Dream, enregistrée en 1979 et tirée de l’album Bindu, paru en 1982 uniquement en K7. Ces pièces ne sont cependant pas présentées par ordre chronologique d’enregistrement. Il est vrai que la musique d’Ariel KALMA a ce don de diluer l’espace-temps horizontal et, en l’occurrence, ces pièces sont à écouter comme des fragments extraits de ce temps, des moments couchés sur bande qui auraient pris une saveur différente s’ils avaient été captés un instant plus tôt ou un instant plus tard. C’est l’éternel présent qui se manifeste à travers ces morceaux. Du reste, l’ordre des morceaux diffère quelque peu entre la version double LP et la version double CD, laquelle contient quatre pièces supplémentaires. An Evolutionary Music ne s’écoute donc pas comme une simple documentation de fonds de tiroirs ; il a été conçu comme un album inédit sauvé des limbes.
Cela ne signifie pas que son contenu soit homogène et unilatéral. Au contraire, ce double album se distingue par la richesse et la diversité de ses morceaux. Comment pourrait-il en être autrement, compte tenu du foisonnement d’expériences, de voyages et de rencontres qu’a connu Ariel KALMA durant ces sept années ? Son parcours, comme on l’a vu, est loin de ressembler à une ligne droite. Outre les enchaînements de circonstances qui l’ont fait passer de « session man » d’ADAMO à assistant de Michaël LEVINAS au GRM (voir plus haut), les années qui séparent la sortie du Temps des moissons de celle d’Osmose ont été le théâtre d’événements haut en couleurs pour Ariel KALMA.
Il a ainsi fait un séjour de l’autre côté de l’Atlantique, à Manhattan, durant lequel il a rencontré et joué avec Don CHERRY, reconnaissant en lui un frère spirituel. Il a tenté sans succès d’intégrer l’Institut ARICA, un cercle très fermé fondé par l’écrivain scientifique Oscar ICHAZO et porté sur le développement personnel et la protoanalyse. Cette école avait un ensemble de musiciens dont les créations musicales servaient de support aux pratiques ésotériques enseignées par GURDJIEFF. Ariel KALMA a suivi l’enseignement de l’Ensemble ARICA durant un stage de quarante jours, mais n’a pu intégrer proprement dit l’ensemble. Enfin, Durant cette époque, Ariel KALMA s’est pris d’engouement pour les espaces religieux et sacrés et s’est même enregistré jouant sur l’orgue à pompe de la cathédrale St-John The Divine. Quelques temps avant ce séjour à New York, KALMA s’était déjà enregistré à l’orgue à l’Abbaye de Sénanque, dans le Sud de la France.
De retour en France, Ariel KALMA a rencontré – il fallait bien que ça se produise… – Terry RILEY, qui lui a notamment parlé de la « Dream House » de La Monte YOUNG, un environnement sonore permanent créé par des générateurs, puis a frayé avec une certaine avant-garde parisienne, approchant Bernard HEIDSICK, Bryon GYSIN, Richard HOROWITZ. Et nous ne parlons là que de rencontres « musicales ». Mais avec Ariel KALMA, créativité artistique et quête spirituelle vont de pair…
1972-1979 : toutes ces années ont été initiatiques à plus d’un titre, et c’est bien ce désir d’évolution qui apparaît en filigrane et qui caractérise les musiques engrangées dans le bien nommé An Evolutionary Music.
On y retrouve l’instrumentation typique de KALMA, saxophones, flûtes en bambou ou argentée, claviers, synthétiseur EMS VCS3, Piano Rhodes, harmonium indien, orgue Farsifa, et même un clavier-jouet Bontempi, et tout un arsenal de magnétophones à bandes Revox, microphones, haut-parleurs, consoles, effets divers (réverb’, flanger), pédale wah-wah, etc.
Certaines des pièces renvoient immanquablement aux deux albums déjà connus. S’inscrivant dans un registre proche de celui de Terry RILEY, Ecstasy Musical Mind Yoga n’aurait pas déparé dans le Temps des moissons, de même que Devil Forest Spirit aurait clairement dû figurer dans Osmose. Echorgan et Echo Planetarium auraient pu également trouver place dans Osmose s’ils avaient intégré des bruitages naturels de la forêt de Bornéo… Et les ambiances nocturnes d’Osmose trouvent leur écho provençal dans Sunset Inside, dans lequel l’orgue de l’Abbaye Notre-Dame de Sénanque, dans le Sud de la France, se voit infiltré par le chant des grillons.
Dans le registre électro-ethnique, Montparnasse Morocco et Asalam Yamarek partagent la même inspiration gnawa de Bakafrica dans le Temps des moissons, ce qui n’a rien d’étonnant puisque ces pièces ont été conçues avec les mêmes musiciens, Brahim El BELKANI (djonkoloni, castagnettes, voix) et Loy EHRLICH (hajouj, castagnettes), auxquels s’ajoute Khaïm SELIGMAN aux percussions.
L’inspiration rythmique africaine est aussi à l’œuvre dans l’hypnose inquiétante de Head Noises, tandis que le souvenir de l’Inde et du Moyen-Orient perdure avec le tabla de BABU et un saz sorti de nulle part dans Sazz Tabla. Plus étonnant encore, nous avons droit à des échos de rugosité moyen-âgeuse quand le bourdon de la vielle à roue de Dominique REGEF (alors membre du groupe de musique ancienne BLANCHE FLEUR) se mêle à la flûte d’Ariel KALMA sur Almora Sunrise ou quand ses cordes sont mises en boucle dans Enuej Elleiv, générant une forme singulière d’electronica exotico-médiévale.
La voix humaine s’invite également sur quelques pièces, celle d’une obscure « SISTER » dans l’étrange pastoralité de Sister Echo (avec bribes répétitives de flûte et de percussion) et au sein de la boucle mélodique en forme de berceuse de What Would You Say ; et la voix d’Ariel KALMA lui-même, déclamant des poésies mystiques absconses sur une trame d’orgue minimaliste dans Les Mots de tous les jours (Rêves étranges), et dans Les Étoiles sont allumées, assurément les pièces les plus anciennes de cette collection, antérieures à son premier album. Une voix réverbérée (celle de KALMA ?) et mise en boucle occupe tout l’espace, mystique à souhait, de Ma-A-E-A, un bonus uniquement disponible dans la version CD.
Les éléments naturels ont de même été conviés à intégrer leurs manifestations instantanées dans certains enregistrements. C’est ainsi le tonnerre et de grosses gouttes de pluie qui viennent frapper au toit du studio d’Ariel dans Rainy Day, apportant un inattendu concours percussif à sa sérénade filtrée de saxophone.
Et si Osmose faisait chanter la forêt tropicale, c’est l’océan, avec ses fracas de vagues récurrentes, qui est mis à contribution dans Voltage Controlled Wave, secoué par une curieuse pulsation rythmique mécanique et des sons aliens. Et en matière de programmation « vintage » mécanique et compulsive, il faut aussi citer le cas, assez unique chez KALMA à cette époque, de Chase me now, qui rappelle les hypnoses rythmiques de la musique « motorik » de NEU ! ou de CAN.
Ce qui est étonnant dans An Evolutionary Music, c’est que quasiment tous les morceaux sont de courte durée, c’est-à-dire en dessous des dix minutes, alors qu’on se serait attendus à des pièces plus étirées, à l’instar de celles du Temps des moissons. Il y a toutefois une exception de taille, Yogini Breath, qui s’étale sur 18 minutes. Elle a été conçue par Ariel KALMA comme support pour des séances de thérapie du souffle de la prêtresse du néo-tantrisme à l’occidentale Margot ANAND, grande fan de KALMA devant l’éternel. Et c’est peu dire que, en matière de trip cosmique, on est servi dans les grandes largeurs, avec tout un kaléidoscope de nappes sonores incluant des cloches, une basse pulsative, des voix langoureuses, un chœur harmonique, un tic-tac rythmique, et les vagues de l’océan.
Sidérale et extatique, cette « respiration yoginique » a de quoi rendre TANGERINE DREAM jaloux. Elle clôture en beauté, et haut perchée dans les étoiles, cette « moisson » d’inédits des années 1972-1979 qui nous fait faire le tour des mondes extérieurs comme intérieurs à travers le prisme visionnaire du maître de cérémonie. An Evolutionary Music apporte une contribution substantielle et hautement recommandable à la découverte des zones non encore explorées de l’œuvre défricheuse d’Ariel KALMA.
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Nuits blanches au studio 116 : voyages intérieurs et ballades mentales
Après être revenu de son périple initiatique de neuf mois en Inde et au Moyen-Orient entamé à l’automne 1974, Ariel KALMA a principalement disposé de deux lieux de création musicale : son propre studio dans le quartier de Montparnasse, à Paris, et le studio 116 du GRM (Groupe de Recherches Musicales) de Radio France, où il a été introduit par l’entremise de son ami Jacques DARNIS en tant qu’assistant de Michaël LEVINAS. Quand des habitués du lieu comme Bernard PARMEGIANI et François BAYLE annulaient leurs sessions, Ariel pouvait disposer « officieusement » du studio pour lui-même. Il s’y est ainsi installé durant des nuits entières, ou des week-ends, se dévouant corps et âme à ces bruissements sonores d’une autre dimension, quand il poussait les microphones à fond dans cet antre de silence envoûtant et pouvait mixer ses boucles répétitives avec les consoles Studer ou Schlumberger, passant des heures à accorder les sons, cultivant un espace-temps tourné vers l’infini…
Les premiers albums d’Ariel KALMA, le Temps des moissons et Osmose, ont ainsi pu être produits en bénéficiant des facilités offertes par le studio 116. Il a fallu attendre 2014 pour que d’autres trésors issus de ces moments passés au GRM soient exhumés sur le double album An Evolutionary Music. Mais ce n’était qu’un début… En 2016, Ariel KALMA a digitalisé des centaines d’heures d’enregistrements effectués sur des bandes magnétiques qui croupissaient dans des cartons. L’année suivante, Jacques DARNIS a retrouvé encore un autre carton de bandes, et Ariel a cette fois demandé au compositeur Jonathan FITOUSSI, restaurateur d’archives sonores à l’INA, de s’occuper de ces ultimes bandes. Et comme FITOUSSI avait également co-fondé avec Sébastien ROSAT le label Transversales, spécialisé dans la publication d’archives rares et inédites, il n’a pas fallu longtemps pour que ces enregistrements retrouvés fassent l’objet d’un disque, uniquement disponible en support vinyle, judicieusement intitulé Nuits blanches au studio 116.
Cet album est constitué de cinq pièces composées entre 1974 et 1979 ; à chaque année sa pièce. Si Paris Flight, composé en 1977, s’inscrit dans la continuité du Temps des moissons, avec ses tirades de saxophones dédoublées, étirées, « échoïsées », entremêlées pour générer un « intra-temps » hypnotique, le Soleil au couchant, plus ancien (1974), fait entendre le chant d’Ariel, psalmodiant un texte évoquant le « souffle des esprits » dans la crypte de Notre-Dame de Sénanque, une abbaye provençale (Vaucluse) cistercienne d’architecture romane et à dimension humaine. Sa voix est nimbée d’un effet d’écho qui se noie dans l’amplitude résonnante du lieu, donnant presque l’impression que des voix harmoniques d’un autre temps soutiennent celle d’Ariel, lequel a vécu l’expérience comme un authentique « satori » (éveil spirituel).
Une autre voix se fait entendre dans Voyage au centre de la tête (un titre qui va comme un gant à l’univers musical de KALMA !). L’auteure, philosophe et thérapeute Paule SALOMON y décline posément un plaidoyer psycho-cosmique sur fond de percussions ethniques, de chant harmonique et de sons de flûte, générant une ambiance mystique aux effluves de cinéma fantastique d’antan. Cette pièce avait été composée en 1975 pour une performance sur le grand écran du Kino-Panorama de Paris, avec six projecteurs en fondu enchaîné, enregistrée avec un Revox et remixée au GRM.
La face B de ces Nuits blanches au studio 116 comprend deux pièces déjà publiées dans la K7 Bindu – The Heart and the Wave, publiée par le micro-label Astral Muse en 1982, et réintégrées à l’album virtuel In my Dreams en 2009. Elles connaissent donc ici leur première édition vinyle (une édition CD aurait de même été méritée…).
La première, Ballade sur le Lac (1979), fait écouter Ariel KALMA en mode « unplugged », jouant sur un grand piano Bosendorfer qui traînait un soir dans le studio 116. Dans ce qu’on suppose être performance improvisée, Ariel explore des variations autour d’un thème évoquant le souvenir d’un orage s’abattant sur le lac Léman, à Genève. D’abord emprunt de quiétude, suggérant les mouvements sereins des flots, le morceau vire en mode plus sombre, exploitant des notes graves amplifiées par l’octave supplémentaire dont bénéficie le modèle du piano et qui convoquent l’arrivée du tonnerre, avant que des notes en cascade traduisent le passage d’une pluie généreuse, avant un retour au calme. Pour un peu, à l’écoute de cette pièce, l’auditeur sentirait même l’humidité le pénétrer si tant est qu’il se laisse aller à plonger dans ce « Lac »…
Une autre circonvolution pianistique enrobe Japanese Dream, un morceau enregistré en 1976. Cette fois, c’est un certain MONK (on ne garantit aucunement qu’il se prénomme Thélonious…) qui joue la trame au piano, KALMA s’affairant au saxophone, une fois encore mis en boucle et générant des notes allongées et languides dont le timbre rappelle celui des hautbois utilisés dans la musique de Gagaku, bien connue elle aussi pour avoir la capacité d’engendrer une ambiance hiératique susceptible de ralentir le temps. À sa façon, ce « rêve japonais » tutoie lui aussi des espaces sacrés…
Décidément, ces Nuits blanches magnétiques donnent à voir des myriades de couleurs tout à la fois familières et inattendues chez Ariel KALMA. Ce LP s’avère être un remarquable complément aux enregistrements originaux contenus dans An Evolutionary Music, dévoilant d’autres facettes de l’univers protéiforme de notre explorateur des cosmos internes.
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Les quatre albums ci-dessus chroniqués constituent l’épine dorsale de l’univers musical multidimensionnel conçu par Ariel KALMA durant les années 1970. Ils ne représentent, comme on l’a dit, qu’une partie de tout ce qu’il a pu composer pendant cette période. D’autres enregistrements inédits des 70’s ont également refait surface dans la série de coffrets French Archives parus entre 2017 et 2023 chez Black Sweat Records, un label italien qui a aussi réédité Osmose en vinyle. Trois volumes de ces French Archives existent à ce jour, chacun d’eux étant constitué de quatre disques vinyles (!), et dont l’amplitude chronologique est très variable d’un volume à l’autre.
Le Volume 1 dessert les années 1977-1980 ; il contient notamment des versions alternatives de pièces incluses dans Osmose (Planet Ariel, Planet Air Variation et Planet Air : Full Version) et le Temps des moissons (Pas Ternelle, une variation sur Reternelle), et d’autres pièces inédites. Le Volume 2 contient des morceaux provenant des années 1974-1985, dont certains enregistrés dans son studio Rue de la Gaieté ou au GRM. (On y retrouve Montparnasse Morocco, déjà inclus dans An Evolutionary Music.) Le Volume 3 est celui dont le contenu brasse le plus large sur le plan chronologique, puisqu’il comprend divers enregistrements s’étalant de 1964 à 1989. Ces French Archives sont donc de véritables cavernes d’Ali Baba, mais leur disponibilité dans le seul format vinyle les rendent, il faut bien le dire, assez onéreux.
Rêves de saxophones, amours de flûtes, fréquences de sérénité…
La création musicale d’Ariel KALMA ne s’arrête aucunement à ces années 1970. Durant la décennie suivante, notre troubadour des stratosphères psychiques a enregistré des albums parfaitement recommandables, notamment Interfrequence, Musiques pour le rêve et l’amour et Open like a Flute, tous réédités en support vinyle uniquement en 2016 par Black Sweat Records. D’autres albums d’Ariel des années 1980 ne sont sortis qu’en support cassette.
Ariel KALMA a quitté la France en 1983 et a voyagé jusqu’en Polynésie puis en Australie, où il s’est établi, près de Byron Bay, depuis une quarantaine d’années. Dans l’oubli quasi total de l’Hexagone, il a continué à enregistrer quantité de musiques qu’il a publiées en format dématérialisé sur sa page bandcamp. On y découvre que le Temps des moissons et Osmose sont devenus des titres de séries d’albums comprenant trois ou quatre volumes, d’autres dont les titres se suffisent à eux-mêmes quant au programme musical proposé, comme Music to Dream by, In my Dreams, Serenity, Rêverie, Music for Quiet Times, ou bien Flute for the Soul, Gourmet Sax, Tantric Sax, My Sax, my Love, Galactica Electronica, ou d’autres encore plus ésotériques, 1985 Kula Blackhole, Yo Yo Homme nouveau et Chansons d’esprit… Ariel KALMA a de plus créé avec sa femme Ama un label, Mosaic Music, qui comprend un nombre impressionnant de références discographiques s’inscrivant dans un registre new age exotique, avec des sous-catégories comme « Groove Music », « Relaxing Music », « Tribal Music », « Meditation Music », « Mantra Chanting », etc., dans la perspective de prendre « le pouls de l’harmonie mondiale »…
Le regain d’intérêt suscité par les rééditions de ses premiers albums dans les années 2000 ont motivé Ariel KALMA à poursuivre son aventure créative. Il a même refait des concerts après un hiatus de presque quatre décennies, et a développé de nouvelles collaborations artistiques avec des artistes incarnant la nouvelle génération des musiques électroniques et expérimentales. Il a ainsi enregistré des albums de fort belle tenue avec Robert Aiki Aubrey LOWE (We Know Each Other Somehow en 2015, Notes Above Land en 2021), Sarah DAVACHI (Intemporel en 2019), Gilbert COHEN (Head Voices en 2020), Davide ZOLLI et Riccardo SINIGAGLIA (Three Blokes in Ameno en 2022), Jeremiah CHIU et Marta Sofia HONER (The Closest Thing to Silence, en 2024) et Asa TONE (◯, en 2025). Mais cela est une autre histoire…
La production stakhanoviste dont a fait preuve Ariel KALMA durant son existence aux multiples renaissances témoigne en tout cas que les « moissons » n’ont jamais cessé, et ce par tous les temps.
Article et chroniques réalisés par Stéphane Fougère
Site : www.ariel-kalma.com
Page : https://ariel-kalma.bandcamp.com/
Références discographiques :
* Le Temps des moissons (1975, LP, Astral Muse / rééditions : 2008, CD, Beta-Lactam Ring Records ; 2015, LP, Wah Wah Records)
* Osmose (1978, 2xLP, SFP / rééditions : 2006, CD, BLUR ; 2013, LP, Black Sweat Records)
* An Evolutionary Music (Original Recordings : 1972-1979) (2014, 2xCD et 2xLP, Rvng Intl.)
* Nuits blanches au studio 116 (2019, LP, Transversales/The Pusher)