BAGAD KEMPER & RED CARDELL – Nerzh

157 vues

BAGAD KEMPER & RED CARDELL – Nerzh
(Coop Breizh)

À ma gauche, voici l’orchestre de bombardes, cornemuses et percussions le plus récompensé au championnat des bagadoù depuis sa création en 1949 (oui, ça lui fait 70 ans !) ; autant dire une institution ! À ma droite, voici un groupe de rock indépendant à l’univers très personnel, nourri de blues, de chanson française et de world music, et qui traîne ses guêtres un peu partout depuis 1992 ; autant dire un pilier baroudeur. Le BAGAD KEMPER compte une bonne quinzaine de productions discographiques à son actif, et RED CARDELL une bonne vingtaine. Leur point commun ? Ils sont nés dans la même ville, Quimper. Ça aide un peu… Mais ce n’est qu’en 2011 qu’ils se sont mis à travailler pour la première fois sur un projet commun, Fest-Rock. Ils remettent le couvert sept ans plus tard, et ce n’est pas un malheur.

Leur autre point commun, plus artistique, est qu’ils cultivent tous deux un goût pour les rencontres musicales créatives. On s’en souvient, la notoriété du BAGAD KEMPER a dépassé le strict cadre de la scène bretonne suite à sa contribution, essentielle, à l’ensemble L’HÉRITAGE DES CELTES conduit par Dan Ar BRAZ dans les années 1990, qui a servi de fer de lance à une nouvelle vague musicale bretonne, laquelle a permis de rappeler que la création musicale de Bretagne dépassait largement l’archétype de musique à crêpes, à chouchen, et de la bière nom de dieu !

Depuis lors, le BAGAD KEMPER a travaillé avec Denez PRIGENT, Marthe VASSALLO, a multiplié les croisements avec d’autres musiques celtiques (avec Carlos NŨNEZ, Susana SEIVANE, HEVIA…) et a élargi ses horizons en collaborant avec Johnny CLEGG, en s’ouvrant aux musiques sud-américaines (Sud Ar Su) ou encore balkaniques (Breizh-Balkanik). De son côté, RED CARDELL, enraciné dans la scène alternative comme dans la culture bretonne, s’est autorisé toutes les fusions possibles entre diverses musiques populaires, campagnardes comme urbaines (électro, rap, folk, progressif, berbère, slave, reggae, dub, zydeco…).

C’est dire si l’un comme l’autre n’ont cessé de… Courir, d’abord chacun de son côté, jusqu’à ce qu’ils décident de courir ensemble. Fest-Rock, initié en 2011 mais publié en 2013, a allumé la mèche. On y entend le BAGAD KEMPER imposer sa force de souffle et de frappe sur plusieurs morceaux choisis du répertoire pré-éexistant de RED CARDELL. Parallèlement, le BAGAD KEMPER a collaboré avec RED CARDELL sur une bonne moitié des compositions de son album Falling in Love. Le groupe de rock et le « pipe-band » breton se sont retrouvés également en 2015 sur la création conceptuelle de Pascal JAOUEN Gwenn-ha-Du.

On le voit, les deux entités ont cheminé de concert (et de concerts en concerts) depuis un petit moment, et se connaissent donc bien. Leur décision de retravailler ensemble sur un projet commun devait évidemment dépasser le simple stade de collage, de juxtaposition ou de superpositions de leurs musiques respectives.

Contrairement à Fest-Rock, Nerzh présente un répertoire complètement inédit, écrit à la fois par le BAGAD KEMPER et par RED CARDELL. Ça a commencé par un partage de sons : le « pen-soner » (directeur musical) du BAGAD KEMPER, Steven BODÉNÈS, a présenté des thèmes de mélodies composées et arrangées par différents membres du bagad, et RED CARDELL a proposé des arrangements avec sa formation actuelle – guitare acoustique/chant (Jean-Pierre RIOU), guitare basse (Fred LUCAS), guitare électrique/violon/banjo (Pierre SANGRA) et batterie (Hibu CORBEL) – pour aboutir à des œuvres originales.

Il a fallu au passage tenir compte du changement de tonalité du bagad, passé du majeur au mineur, travailler de nouvelles suites d’accords pour l’harmonisation des thèmes, et la muse du parolier « red-cardellien » Jean-Pierre RIOU a dû s’adapter à un autre style d’écriture pour les chansons. Le répertoire a ainsi pris forme au cours de l’année 2019 et a été présenté pour la première fois sur scène au Festival interceltique de Lorient en août de la même année. Il fallait que le disque suive peu après, et il n’a effectivement pas traîné !

Nerzh : le disque ne démérite pas de son titre, tant il est habité par une force, une énergie infaillible. Du haut de ses quarante minutes (durée idéale pour une sortie vinyle qui ne demande qu’à voir le jour…), le CD ne souffre pas de remplissage : c’est un condensé de pièces compactes, intenses, menées tambours battants, guitares sur le vif, toutes bombardes et cornemuses dehors, et appuyées par une rythmique gonflée, avec la batterie rock du quartette et le pupitre batteries du bagad.

Avec pareil appareillage, Nerzh ne se contente pas de lâcher un vent, il sème à tous vents des concentrés d’énergie, empaquetés dans des structures « chanson » mais à l’esprit à la fois rock, blues et trad’. Les maître-mots sont mouvement, mélodie, puissance sonore, danse et émotion.

Dans la mesure où RED CARDELL est connu pour son gros son (surtout en concert) et que le BAGAD KEMPER compte quand même une cinquantaine de musiciens, la surcharge sonore était à craindre. Or, les huit compositions de Nerzh s’avèrent étonnement fluides, déliées, colorées et, surtout, respirables et respirantes. Chacun y trouve ses marques sans piétiner l’autre, et l’ensemble se révèle très homogène.

On retrouve dans les textes « parlés-chantés » de Jean-Pierre RIOU l’univers très « road-movie » de RED CARDELL, combinant esprit de fête universelle et instantanés de mélancolie blues, que le BAGAD KEMPER ancre de ses balises caractéristiques sur les chemins de terre bretons. Le morceau éponyme se développe du reste autour d’un thème traditionnel, et Un grain permet de retrouver le thème trad’ bien connu du Pop-Plinn d’Alan STIVELL, ici doté d’une nouvelle vigueur.

Le son épais et les structures ramassées que draine le disque d’un bout à l’autre n’empêchent pas les moments de suspension et de tension, avec en point d’orgue l’introduction d’Au milieu de nulle part, qui démarre juste là où Un nouveau monde s’arrête (on aurait pu les enchaîner…), et qui se déploie en un mouvement plus abstrait, où guitare électrique et bombarde « soloïsent » en alternance…

L’album fait respirer un air nouveau à l’une comme à l’autre entité musicale, mais se révèle d’une telle évidence qu’on a l’impression que cette rencontre a toujours été là, qu’elle défie le temps. Et comme par hasard, c’est le passage du temps et les marques qu’il laisse qui constituent le noyau de l’inspiration des paroles : le rapport au temps, son interprétation, le passage de l’enfance à l’âge adulte, les premiers émois sentimentaux, l’évolution du rapport à l’autre, et un regard inquiet sur l’état de la planète livrée aux assauts de la surconsommation, et tous ces « froids dans le dos » qui ne donnent « plus envie de courir »…

Nerzh fait bien plus que rapprocher le BAGAD KEMPER et RED CARDELL ; il les absorbe en une entité neuve douée d’un son propre. C’est bel et bien Un nouveau monde qu’il nous est donné d’écouter…

Stéphane Fougère

Sites : www.bagad-kemper.bzh/

www.redcardell.com/

Label : www.coop-breizh.fr/

 

YouTube player

 

YouTube player

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.