ECLECTIC MAYBE BAND – Bars Without Measures

52 vues

ECLECTIC MAYBE BAND – Bars Without Measures
(Discus Music)

« Bars without Measures » : allusion à Olivier MESSIAEN dont certaines pièces ne comportent pas de barres de mesures ? Ou choix délibéré de ne pas sectionner la musique en portions égales enfilées comme des perles ? Rien de tel, pour saisir l’intention de Guy SEGERS que les notes de pochettes qu’il a rédigées en anglais pour nous présenter ce superbe album, Bars Without Measures, dont il est l’initiateur, le fédérateur, le producteur et le principal compositeur.

« ECLECTIC MAYBE BAND est un projet que j’avais en tête depuis de nombreuses années. Une façon de créer de la musique sans restriction stylistique, afin qu’elle ne soit pas liée à un genre ou à un son. Le projet va dans plusieurs directions. La musique est un vaste horizon d’émotions, alors pourquoi ne pas l’exprimer ? Chacun de nous sait que la vie est une suite d’émotions, qu’elle ne reste jamais la même, ne reflète jamais la même couleur.

« Dans le passé, ce projet aurait été impossible : cela aurait coûté incroyablement cher de réunir tous ces musiciens au même endroit pour enregistrer mais nous pouvons désormais travailler avec Internet. Au début des années 80, j’ai commencé à envoyer de la musique sur cassettes à des musiciens du monde entier pour qu’ils travaillent dessus et me les renvoient. C’était la première tentative de travail à distance. Aujourd’hui, avec Internet, il est plus facile d’atteindre [cet objectif collaboratif] et de travailler avec un grand groupe de musiciens.

« Certains des musiciens inclus dans le projet sont des musiciens que j’admire, pour ce qu’ils m’ont apporté dans le passé, et parce qu’ils sont toujours prêts à faire avancer la musique. Mais j’ai aussi souhaité donner un coup de pouce à des musiciens moins connus et pourtant talentueux : ils méritent d’être découverts par davantage de personnes. Le projet est donc un mélange de musiciens, de styles, d’horizons et de pays différents. Je serais très heureux que le public et les journalistes qui connaissent déjà certains noms découvrent les autres musiciens de cet album car chacun d’eux a une merveilleuse façon de jouer et de contribuer à la musique. Le projet est basé sur l’échange, pour que nous puissions jouer les uns pour les autres, ou apporter des idées ou des pièces écrites. J’ai coordonné le tout, j’ai investis en temps et en argent pour vous apporter cette réalisation. Mais si je suis le point central de ce projet je ne me considère pas comme un chef de groupe. Je vois cet album comme un projet collectif. »

Nombreux sont ceux d’entre nous qui suivent depuis de nombreuses années le travail original de Guy SEGERS, qui fut révélé comme bassiste au sein du groupe UNIVERS ZÉRO qu’il rejoignit en 1973. Mais nous sommes ici bien éloignés des sonorités « stravinskiennes » d’UNIVERS ZÉRO même si, ça et là, et notamment dans Casanova, émergent des timbres que n’aurait pas reniés Daniel DENIS. On ne manquera pas de remarquer les interventions inspirées d’un Jean-Pierre SOAREZ à la trompette, qui présida, aux côtés de Thierry ZABOITZEFF et Gérard HOURBETTE, à la naissance du groupe mythique ART ZOYD. Cependant ici, comme tient à le préciser Guy SEGERS, la musique offerte aux auditeurs a un caractère collectif à plus d’un titre.

En effet, si Guy SEGERS signe six des onze pièces que comprend l’album, il est remarquable que les cinq autres pièces sont des improvisations collectives. On ne peut s’empêcher de faire des parallèles avec le creuset que constituaient dans les années 1970 les formations à géométrie variable qu’initiait autour de lui Miles DAVIS. Chez Guy SEGERS également, dans cet ECLECTIC MAYBE BAND, émergent des fulgurances inspirées où chacun exprime son discours et son style en interactions vivantes, actives, spontanées avec le climat que ces prises de paroles libres tissent avec complicité : un sens de l’écoute réciproque remarquable cohabite avec équilibre avec l’osmose de l’ensemble de ces espaces de liberté.

Cette osmose est une réussite d’autant plus remarquable qu’elle est le résultat de collaborations géographiquement distantes, ce qui n’a nullement obéré l’homogénéité des pièces. L’agencement des morceaux alterne compositions fixes et compositions libres, permettant une progression du projet d’ensemble tout en ménageant ces espaces de liberté entre chaque étape.

Certaines pièces ne craignent pas de verser avec un groove décomplexé : en témoigne ce jubilatoire Senseless Ostensibly que signe Guy SEGERS dont la basse s’imbrique magnifiquement avec le jeu très funky du batteur Sean RICKMAN. La voix de Dani KLEIN y surfe avec sensualité sur une section rythmique bien terrienne.

Suivent deux pièces collectives dont la première, Painting with Illicit Pigment, réunit quelques compagnons de route de Guy SEGERS : Dirk DESCHEEMAEKER à la clarinette basse et Andy KIRK aux claviers. La clarinette basse tisse ici un canevas de passages rapides sur des quintes, canevas émaillé d’harmoniques qui ouvrent l’espace sonore et dans lequel vont peu à peu s’immiscer jusqu’à la transe Guy SEGERS (il y combine ici des sonorités proches de la guitare et celles, plus telluriques, qu’un Janik TOP n’aurait pas reniées), Cécile BROCHÉ au violon et la trompette céleste d’un Jean-Pierre SOAREZ très inspiré. Si le titre évoque un climat aérien et psychédélique, la pièce est enracinée de façon très terrienne par la batterie de Fabrice OWERZARZAK. La cohésion est à ce point obtenue qu’on se surprend à oublier que la pièce est le résultat d’une improvisation collective. Un magnifique moment de cet album incontestablement.

Après un Octopus Lagoon énigmatique, Gratitude, une composition de Guy SEGERS, nous entraîne dans un climat étrange mêlant couleurs orientales : le saz de Daniel VINCKE fait ici merveille, tricotant ses sonorités turques avec la voix de Sibel DINÇER, envoûtante et mystérieuse. Le tout est soutenu par un tandem basse batterie implacable mêlant mesures irrégulières et groove binaire.

La référence hommage à un complice habitué de nos colonnes arrive avec Isolation : Thierry ZABOITZEFF y tient le violoncelle et la composition de Guy SEGERS décline ici des couleurs qui ne sont pas sans évoquer le travail de Thierry tant au sein d’ART ZOYD qu’au cœur du riche répertoire qu’il a déployé sous son nom tout au long des vingt cinq années qui sont suivi son départ du groupe français.

https://discusmusic.bandcamp.com/track/isolation

L’album se conclut avec une improvisation collective, Temporal Trace of Erich Zann’s Presence, pièce dont l’enregistrement avait été entrepris en 2021 et a été finalisé en 2023. L’ECLECTIC MAYBE BAND accueille ici Julie TIPPETTS pour une pièce qui fait ouvertement référence à une source d’inspiration qui fut chère à UNIVERS ZÉRO : La Musique d’Erich Zann est en effet une nouvelle d’H.P. LOVECRAFT où un jeune étudiant, tout d’abord fasciné par la musique de son voisin, Erich ZANN, ne tarde pas à réaliser que des forces obscures inspirent sa musique… Tout un programme !

ECLECTIC MAYBE BAND est un album réjouissant à ne pas manquer : il combine une liberté créative, un sens du partage, un véritable travail d’écriture qui alterne avec une spontanéité très homogène. Album libre, sans étiquette, qui réjouira les auditeurs non-sectaires qui constituent l’essentiel du lectorat de notre webzine !

Alors allez-y, l’album peut être commandé ici :
https://discusmusic.bandcamp.com/album/bars-without-measures-159cd-2023

Philippe Perrichon

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.