Frédéric GERCHAMBEAU et ZREEN TOYZ – Uranophonies
(Autoproduction)
Uranophonies, les sons qui viennent du ciel (ou sons célestes), est le deuxième album de Frédéric GERCHAMBEAU et ZREEN TOYZ (le premier étant Méta-Voyage de l’Ouïe). Tous ceux qui aiment la Berlin School aimeront ce disque. De plus, il faut s’en féliciter, ces musiciens sont de chez nous. La scène électronique progressive française existe bel et bien et elle est plutôt digne d’intérêt.
Pour ceux qui voudraient en savoir plus, rappelons le travail fabuleux et nécessaire de l’association Patch Work Music qui est notamment à l’origine du Synt Fest à Nantes et qui réunit une bande de musiciens-compositeurs fous de musique planante allemande, de musique contemporaine et surtout de synthés. Le travail de PWM est de distribuer et promouvoir leur musique marquée par l’héritage des grands noms des années 1970 (Klaus SCHULZE, TANGERINE DREAM…), mais aussi éprise de nouvelles découvertes et d’expérimentations soniques. Au sein de Patch Work Music, nous trouvons par exemple notre ami ALPHA LYRA, mais aussi Olivier BRIAND, Bertrand LOREAU, Jean-Christophe ALLIER et bien entendu Monsieur GERCHAMBEAU. Que de grands noms qui n’ont pas à rougir de leur travaux face à leurs concurrents allemands !
Frédéric GERCHAMBEAU, comme l’indique la page de PWM consacrée à sa biographie, n’est pas un amateur ; c’est un « spécialiste des techniques de synthèse, un chercheur en modulations sonores et un explorateur de séquences impossibles ». Ses travaux sont d’abord influencés par l’école allemande au milieu des années 1990, puis il va progressivement ciseler des compositions marquées par les modulations et les variations sur les timbres, donnant vie ainsi à une musique cérébrale, riche en détails et ouvrant la porte à un univers émotionnel unique.
Ce nouveau disque vous promet de belles sensations. Jamais de tels sons nous auront aussi bien décrit l’univers spatial, en nous donnant cette forte impression de basculer dans les profondeurs insondables du vide intersidéral. Il y a longtemps, il y a eu le Zeit de TANGERINE DREAM ou dans les années 1980, Apollo : Atmospheres and Soundtracks avec les frères ENO et Daniel LANOIS.
Cet album comme le précédent a été réalisé en trois étapes : tout d’abord, Frédéric crée des centaines de sons, des séquences, des rythmes et différents bruits sur son modulaire. Ensuite, ZREEN TOYZ (de son vrai nom Jean-Luc Hervé BERTHELOT, musicien, sound designer et synthésiste hélas peu connu chez nous, mais à la carrière extraordinaire depuis les années 1970 ayant accumulé différents projets touchant à l’acousmatique, l’ethno-ambient ou la musique électronique contemporaine) transforme toute cette matière première de sons bruts en musiques par un travail d’assemblages, de triturations, de mises en récits, de mixages et de spatialisations. Puis, Frédéric reçoit le produit fini pour mettre en concept et en ordre tous les morceaux afin d’obtenir ce disque. C’est un travail long qui a duré de plus de huit mois mais pour ces musiciens adeptes d’explorations sonores, ce n’est que pur plaisir !
Pour les connaisseurs, sachez que Frédéric utilise le modulaire de type Eurorack qui a marqué au milieu des années 1990 la renaissance des modulaires plus complexes, plus technologiques et plus puissants que les fameux Moog utilisés par TANGERINE DREAM ou Klaus SCHULZE. Frédéric dispose également de modules de modélisation physique (pour synthétiser des sons d’instruments aussi réalistes que les instruments eux-mêmes) et de logique boléenne (pour créer des rythmes et des séquences plus complexes). Tout ce nouveau matériel amélioré avec le temps n’existait pas à l’époque de Ricochet ou de Mirage. Cette fantastique puissance de synthèse sonore est donc la base des sons bruts qui après leur transmutation par ZREEN TOYZ ont donné vie à Uranophonies.
Cet album réalisé entre 2014 et 2015 à Chartres et Wasquehal, se compose de six pièces allant de sept à onze minutes et à l’image d’un Aqua, cette musique subtile et magnifique se doit d’être écoutée au casque, pour en capter toute la profondeur et la beauté. Chacune des écoutes dévoile davantage le travail minutieux sur les sons effectué par les deux intéressés. L’auditeur est comme transporté dès le premier titre, Langueur Ascentionelle, mettant en évidence des sons et des bruits étranges, venus du fin fond du cosmos, sur une musique légèrement drone en arrière-plan. Ces sons de l’espace nous emmènent très loin et notre imagination vagabonde tout au long de ce périple extraordinaire et unique.
Avec le titre Apesanteur, c’est comme si nous flottions vers l’inconnu. La force d’Uranophonies est de pouvoir peindre majestueusement à travers ces sons ce vaste infini que représente l’espace et de nous y transporter de la manière la plus simple qui soit: en fermant juste les yeux. Cette musique-là appelle au rêve et c’est l’essentiel.
S’il y a peu de mélodies (rien à voir par exemple avec ce qu’a pu faire Edgar FROESE durant les dernières années du DREAM) et si ce disque est essentiellement un hymne à l’expérimentation, il n’y a cependant pas de quoi être effrayé. Étonnamment, cela s’écoute avec une grande facilité et c’est même plus accessible que certains travaux de l’école allemande. Nous sommes bien loin par exemple de la musique de KLUSTER, de cette dureté sonique, ou même d’un album comme Zeit de TANGERINE DREAM, quelque peu soporifique même pour certains fans !
Un titre comme Hyperespacetemps est un grand moment de onze minutes, s’étirant dans le temps avec volupté, avec une ambiance space qui donne l’impression de percevoir l’invisible. Il y a d’abord des passages abstraits, assez étranges, puis une deuxième partie avec des séquences plus accessibles et mélodiques qui peuvent rappeler quelque peu l’univers de CLUSTER. Au gré des vents solaires étonne également et foisonne d’idées surprenantes, montrant que cette musique est en constante évolution. Ce titre commence avec une petite mélodie synthétique simple et presque enfantine qui disparaît aussitôt pour laisser la place à des sortes de signaux robotiques bizarres et des ambiances drones et évanescentes.
Le grand voyage est une autre merveille de plus de dix minutes. Il propose notamment des instants mélodiques, douces réminiscences de HARMONIA (Deluxe), ou de KRAFTWERK (période 1975), imbibés aussi d’une douceur apaisante, presque imperceptible, dont la mélancolie ambiante rappelle ENO (Another Green World, Music for Films). Cette pièce est très hypnotique et l’ingéniosité des deux artistes atteint un haut niveau de perfection quant aux nombreux effets sonores des plus réalistes. Par delà Pluton, conclusion parfaite en deux parties, commence comme une cascade de sons étoilés, clairs, limpides, portes ouvertes à des rêves cosmiques, pour finir avec des séquences à la fois mystérieuses, spatiales et mélancoliques.
Les progrès d’aujourd’hui font que les musiciens disposent d’un matériel offrant des possibilités sonores inimaginables il y a quarante ans. Uranophonies, nouvelle œuvre d’une certaine musique électronique à la française, dans la droite lignée de la légendaire Kosmische Musik, en est un bel exemple. La production est réalisée de main de maître et la matière sonore est travaillée au point que l’auditeur a le sentiment d’être enveloppé par toutes ces séquences, ces rythmes, ces bruits qui se superposent, se rencontrent et fusionnent avec élégance. C’est une découverte que nous vous recommandons comme le fut celle d’ALPHA LYRA il y a quelques années. Ce disque est un véritable poème cosmique à ranger à côté des grands classiques du genre.
Cédrick Pesqué
Sites : http://asso-pwm.fr/
https://www.youtube.com/user/GruithuisenCityMan
http://jlhb.free.fr/