RÊVE GÉNÉRAL au Festival RIO : Un hurlement de chambre

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RÊVE GÉNÉRAL au Festival RIO

Un hurlement de chambre

Venu présenter son tout premier album, Howl (publié par Altrock), RÊVE GÉNÉRAL a compté parmi les découvertes les plus heureuses de la huitième édition du festival Rock In Opposition en septembre 2015.

S’inscrivant dans cette sphère des musiques nouvelles mi-acoustiques, mi-électriques, ce septette est le fruit d’un rapprochement entre les membres de deux groupes dont la création remonte aux années 1990-2000, METAMORPHOSIS et VOLAPÜK. RÊVE GÉNÉRAL fut l’occasion de les tirer d’un sommeil prolongé et de les éveiller à un projet créatif inédit.

Bourré d’humeurs grinçantes et souriantes et d’humour en coin, sinueux mais accessible, ce RÊVE GÉNÉRAL ravive la flamme d’un « rock de chambre contaminé » et met les sens… en éveil.

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C’est une grève générale qui, un certain 13 mai, s’est étendue au point de paralyser tout l’Hexagone. C’est sous forme d’un hurlement (« Howl ») que naît en 2015 la première galette discographique de RÊVE GÉNÉRAL, laquelle contient curieusement une pièce nommée Paralyse. De là à penser au « cri qui tue » (comme celui du Cri du sorcier de Jerzy SKOLIMOWSKI), il n’y a qu’un pas. D’autant que la pochette de ce digipack, réalisée par Piero COIFFARD, montre des hommes assis dans ce qui semble être un hall ou une salle d’attente, et tous ont des têtes de loup dont certains hurlent effectivement non à la lune, mais sous un gros nuage noir.

reve-general-howlAvec un emballage aussi inquiétant, on s’attendrait à écouter du gothique post-moderne, ou du dark-folk glaçant. Mais voilà : il est précisé sur la couverture que l’enregistrement a été effectué au Brise-Glace, une salle de concert d’Annecy. Brisons donc la glace, et faisons les présentations !

Il y a deux façons de présenter RÊVE GÉNÉRAL : c’est un « super-groupe » constitué de musiciens de six nationalités différentes (France, Autriche, République Tchèque, Russie, Turquie et… Japon ! Toujours plus à l’est…), et c’est un collectif rassemblant les membres de deux groupes provenant de la scène des musiques nouvelles européennes des années 1990-2000, à savoir METAMORPHOSIS et VOLAPÜK. « Ah bon, ils existent encore ? » ne manqueront pas de s’exclamer les moins néophytes de cette sphère musicale. Contre toute attente, oui. Et il n’y a rien de tel qu’un « hurlement » pour réveiller deux formations qui étaient en sommeil depuis quelques années, et qui se mettent donc à rêver… éveillées, à la surprise… générale !

VOLAPÜK, souvenez-vous, c’est ce groupe formé par le légendaire compositeur et batteur Guigou CHENEVIER, ex-ÉTRON FOU LELOUBLAN (groupe pionnier du mouvement Rock in Opposition), LES BATTERIES, OCTAVO, BODY PARTS, etc., avec le violoncelliste Guillaume SAUREL, le clarinettiste Michel MANDEL et la violoniste Takumi FUKUSHIMA. Ayant écumé pendant 17 ans les festivals les plus audacieux comme les bouges les plus étriqués, VOLAPÜK avait fini par tirer officiellement et discrètement sa révérence en 2010.

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Quant à METAMORPHOSIS, après un début discographique sur le label tchèque underground Rachot-Béhémot, il avait réussi à étendre sa voix hors de ses murs en signant ses deux albums suivants sur le réputé label anglais de jazz avant-gardiste, improvisé et expérimental Leo Records, et on était en attente d’un quatrième album… qui tardait à venir.

Sans doute moins connu par chez nous que VOLAPÜK bien qu’il ait joué en France à plusieurs reprises, METAMORPHOSIS est un quartette à cordes frottées et pincées acoustiques et électriques usant de traitements sonores.

« On a grandi dans les années 1980, raconte le guitariste Martin ALAÇAM, et à cette époque, on ne connaissait rien du Rock In Opposition. On était plutôt versés dans les musiques des années 1960-70, parce que la musique pop des années 1980 était assez merdique. Plus tard, on a découvert Fred FRITH, Chris CUTLER, toute cette scène improvisée, et ça a été une révélation. »

Mêlant la rigueur d’un quatuor classique-contemporain à une énergie punk et à une inspiration folk, METAMORPHOSIS a engendré ce qu’il a lui-même appelé une « musique de chambre contaminée ». Et à y bien regarder, la musique de VOLAPÜK n’était pas loin de correspondre également à cette expression, le goût de l’improvisation en plus !

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L’idée a donc germé dans la tête de Guigou CHENEVIER, qui avait programmé METAMORPHOSIS dans son festival Gare aux oreilles à deux reprises (la dernière étant en 2012), qu’un rapprochement entre les deux formations était possible.

« Quand je les ai vus s’installer et répéter, c’est devenu une évidence pour moi. Il y a tellement de points communs dans nos musiques, dans nos manières de composer, que le parti-pris était assez excitant. Je leur ai proposé, ils ont tous dit oui, et maintenant ils sont tous pieds et poings liés dans cette aventure ! »

RÊVE GÉNÉRAL a ainsi vu le jour. Ce n’était toutefois pas la première fois que les membres de VOLAPÜK et de METAMORPHOSIS se rencontraient.

Martin ALAÇAM se souvient : « Nous avons joué plusieurs fois en France, dans les années 1990-2000. On a connu VOLAPÜK quand ils ont joué en République tchèque en 1998, je crois. Dix ans après, on jouait à Avignon, dans le festival de Guigou. C’est là qu’il a eu l’idée de faire quelque chose ensemble. Sur le plan logistique, ça s’annonçait difficile, car ça fait quand même sept personnes à faire tourner, chacune vivant dans un pays différent. Mais on s’est arrangés et finalement, nous voilà ! »

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Une fois le projet lancé, le répertoire commun aux deux groupes s’est monté somme toute assez rapidement.

Richard DEUTSCH, l’autre guitariste de METAMORPHOSIS, raconte : « Avant de se rencontrer l’an passé pour notre premier concert, on a chacun apporté des idées dont on pensait qu’elles pourraient coller à ce projet, parfois avec des arrangements, parfois sans. On a joué ce qu’on avait durant les répétitions et tout cela a été soumis à un processus collectif d’arrangement, où chacun a pu apporter une perspective différente. Il était nécessaire de travailler ainsi, vu que notre temps était limité pour se rencontrer. »

Après une résidence à Avignon durant l’été 2014, le groupe a donné ses premiers concerts à l’automne de la même année dans quelques salles en France, à Avignon, Lyon, Fontaine et Annecy, où a été enregistré le CD Howl, lequel est sorti juste à temps pour le festival Rock In Opposition 2015 de Carmaux/Le Garric, où le collectif a été invité à se produire.

Pour Guigou CHENEVIER, se retrouver à jouer au sein d’un festival Rock In Opposition peut paraître un logique retour aux sources. Sauf que Guigou CHENEVIER n’est animé d’aucune nostalgie. « Je n’étais pas du tout intéressé quand j’ai vu que des gens recommençaient le Rock In Opposition, plus de 20 ans après que ça a été créé par quelques personnes des différents groupes en présence (principalement Chris CUTLER et Nick HOBBS, le manager de HENRY COW). Et pour dire la vérité, ce côté nostalgique ne me plaisait pas tellement. »

Pas question donc pour RÊVE GÉNÉRAL de rejouer une musique appartenant au passé, qu’il soit proche ou moins proche, que ce soit celle de VOLAPÜK, de METAMORPHOSIS, et encore moins celle d’ÉTRON FOU LELOUBLAN.

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Howl est donc doté d’un répertoire complètement inédit, à l’exception de Dunaj, une pièce que VOLAPÜK avait enregistrée sur son deuxième album, Slang ! (2007). La version qu’en donne RÊVE GÉNÉRAL est plus tendue et acérée, violons et guitares se disputant la corde raide avant que les violoncelles ne fassent entendre leurs doléances.

Car hormis le jeu percussif fourmillant de sons et d’idées de Guigou CHENEVIER, RÊVE GÉNÉRAL est une formation entièrement constituée de cordes, pincées ou frappées, acoustiques comme électriques, classiques et rock, les musiciens allant par paires : deux violonistes (Takumi FUKUSHIMA et Christoph PAJER), deux violoncellistes (Guillaume SAUREL et Jan KAVAN) et deux guitaristes (Richard DEUTSCH et Martin ALACAM). Les plus perspicaces auront remarqué l’absence d’instruments à vents, et les fans de VOLAPÜK ne manqueront pas de se demander dès lors où a bien pu passer le clarinettiste (et taragotiste) Michel MANDEL ?

« L’idée première était de réunir les deux groupes au complet, explique Guigou CHENEVIER. Mais pour des raisons d’organisation diverses et variées, Michel MANDEL n’a pas souhaité participer au projet. Ce qui au départ n’était pas un choix est devenu une assez bonne idée en fait ! Ce n’est pas parce qu’on n’aime pas Michel, on l’aime beaucoup. Mais du coup, cette formation avec que des cordes et une batterie a vraiment un sens. Et avec Michel, ça aurait donné un peu autre chose. »

Uniquement fait de cordes et de peaux, sans vents ni claviers, la palette sonore de RÊVE GÉNÉRAL se trouve à la croisée de la musique classique contemporaine, du folk européen et de l’avant-rock, prenant l’aspect d’un rock de chambre cultivant une part d’ombre et une part de lumière aux proportions différentes dans chaque pièce. La plupart d’entre elles sont structurées comme des mini-suites aux climats évolutifs.

Avec Nejak (composé par le violoncelliste Jan KAVAN), l’album semble démarrer gentiment, avec ces notes de guitare égrenées et ces violoncelles lancinants, mais revêt bien vite un caractère cyclothymique quand les violons attaquent. Intervient alors le chant de Takumi FUKUSHIMA, d’abord très posé, presque murmuré, et qui se crispe peu à peu, devient plus éraillé, rugueux et se transforme en râle (marrant, c’est précisément le nom d’un groupe dont elle a fait partie!) sépulcral.

Avec War, le ton se fait plus menaçant, avec ces frappes tribales, ces staccato répétés et ces « howls » électriques dans le nocturne (pas si) lointain, parfois tempérés par des notes plus tenues, mais qui ont un aspect abrasif. La tension monte lentement, mais ne se lâchera pas.

Paralyse est dans une veine quelque peu parallèle, avec ce mélange de mélodie et de contre-mélodie plus heurtée, et, en seconde partie, ce chant rugueux (Richard DEUTSCH) déversant un mantra énigmatique pas rassurant.

War, Paralyse et le déjà cité Dunaj explorent ainsi une veine plus sombre et ardente, dans l’esprit de ce qu’aurait pu faire la LEAGUE OF CRAFTY GUITARISTS de Robert FRIPP, augmentée de deux violons et d’un batteur.

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Plus concis mais plus labyrinthique, Une brève histoire du temps a des airs de croisement entre ARANIS et un PRÉSENT devenu plus acoustique (ça doit rappeler des souvenirs aux fidèles du festival RIO !).

5/4 est un autre grand moment d’avant-rock, avec ses mélodies enchevêtrées aptes à générer le suspense et qui rappelle quand même étrangement le générique d’une célèbre série TV des années 1960. La section centrale est curieusement plus « chavirée ».

C’est en revanche une ambiance plus western qui se dégage de la composition de Guillaume SAUREL, Winesoup Cowboys, à l’allure plus relâchée, avec ce tangage rythmique et ces guitares planant sous le soleil, avant que la section finale ne vienne leur faire mordre la poussière.

À d’autres moments, le RÊVE GÉNÉRAL tend vers plus de légèreté, comme ce Hachiru Rêve (Rêve qui court) folâtre et intimiste, glissant vers une berceuse japonaise qu’interprète (évidemment) Takumi FUKUSHIMA.

Le dixième morceau du disque, intitulé 11 selon une logique propre à Guigou CHENEVIER, déploie lui aussi un climat plus aérien, même si rythmiquement très marqué.

L’humour en coin dans le choix des titres se vérifie aussi avec Vodka Express, attribué à une mini-épopée en quatre parties contrastées.

« Cette pièce évoque le trajet en train de nuit entre Moscou et Saint-Pétersbourg, raconte son compositeur, Christoph PAJER. Dans la première partie, un personnage monte dans le train, le voyage commence, ça se bouscule un peu vu que le train bouge dans tous les sens. Dans la deuxième partie, il est assoiffé et se demande si ça ne serait pas une bonne idée d’aller au wagon restaurant. Il décide donc d’y aller. Et il y a la dernière partie, qui démarre avec cette partie de guitare slide, qui raconte ce qui se passe après l’ingurgitation de vodka. »

Vous trouvez qu’il y a de quoi rire ? C’est quand même une histoire vécue, si l’on en croit Richard DEUTSCH : « On a fait plusieurs voyages dans ce train, quand on devait jouer en Russie. Et à chaque fois, il s’est passé un peu la même chose, à savoir qu’on a décidé d’aller dans ce wagon restaurant. Du coup, c’est devenu une blague à l’intérieur du groupe de surnommer ce train le Vodka-Express. »

Et parce que l’alcool peut générer des rêves aux conséquences spéciales, Death of Illusions clôt le disque avec brio, commençant comme une flânerie de demi-sommeil (le chant de Takumi y contribuant) et mutant à mi-parcours en frayeur secouée, comme si un cauchemar avait voulu s’immiscer dans ce « rêve général »…

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Sur les douze morceaux que renferme l’album, la moitié comporte du chant, soit celui de Takumi FUKUSHIMA, soit celui de Christoph PAJER. C’est à ce dernier que l’on doit l’inclusion de la seule véritable chanson que contient Howl. Elle est étonnamment interprétée en français – elle s’appelle du reste Si tu veux – dans un style qui sent bon la fumée de cigarette et le verre d’alcool (avec même, sur la fin, des chœurs masculins façon armée russe sous tranquillisants).

Ce qui aurait pu passer pour une erreur de casting se révèle en fait un beau moment de poésie titubante, avec ces couplets joliment imbibés : « Si je veux, je déteste l’humanité entière. Si je veux, j’aime tout le monde que je rencontre. (…) Mais si tu veux, je fais ce que tu veux. »

RÊVE GÉNÉRAL ne s’est semble-t-il rien refusé et intègre des inspirations fort diverses qui ne nuisent en rien à sa cohérence d’ensemble, bien au contraire. Le corpus de compositions de Howl tire sa force de la pluralité des contributions (quasiment tous les musiciens ont écrit une pièce) et du travail collectif d’arrangements, qui lui confère une identité musicale bien taillée.

VOLAPÜK et METAMORPHOSIS ont bel et bien des tas de choses en commun, et leur union ne pouvait qu’aboutir à une œuvre ancrée dans le vaste terreau des musiques nouvelles européennes, dont le champ lexical évoque le rock de chambre et l’avant-garde progressive, mais qui évite tant l’étirement emphatique que la construction hermétique.

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Howl a cette particularité d’être à la fois accessible et sinueux, dense et tempéré, nerveux et lumineux, versatile et revêche, bourré d’humeurs grinçantes et souriantes qui rappellent aussi les univers de groupes est-européens comme BEGNAGRAD, TARA FUKI, NE ZHDALI, PUSTIT MUSIS et bien sûr DUNAJ.

Quoi qu’il en soit, et en dépit des réticences fort légitimes de Guigou CHENEVIER envers ce « revival » du phénomène Rock in Opposition, RÊVE GÉNÉRAL avait parfaitement sa place au festival de Carmaux, non en tant que réunion de vieux combattants, mais bien comme groupe d’ici et maintenant, dont la musique se soucie peu des tendances et traverse les époques.

Lors de sa performance qui a duré un peu plus d’une heure, RÊVE GÉNÉRAL a joué l’intégralité de l’album Howl (fraîchement sorti pour le festival), les pièces étant joué dans l’ordre dans lequel elles apparaissent sur le disque, avec en supplément une pièce inédite. Une seconde version de 5/4 a de plus été jouée en rappel, puisque rappel il y a eu, dûment quémandé par un public captivé par ce rock de chambre contaminé dont le « hurlement » n’est pas tombé dans des oreilles de sourds, et qui les a moins heurtées que séduites.

L’heure du RÊVE GÉNÉRAL est assurément venue ! La mise en sommeil de la curiosité musicale doit cesser, et il est défendu de s’endormir sur ses a-prioris. VOLAPÜK et METAMORPHOSIS sont décidément de vraies bêtes de Musique-Howl !

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CD : RÊVE GÉNÉRAL – Howl (Altrock)

Sites : https://m.facebook.com/ReveGeneralBand/www.collectif-inoui.org

Label : http://www.altrock.it

Réalisé par Stéphane Fougère
Propos recueillis lors de la conférence de presse
du festival RIO animée par Aymeric Leroy
Photos : Sylvie Hamon et Stéphane Fougère

Diaporama photos du concert de RÊVE GÉNÉRAL au festival R.I.O. 2015:
https://www.rythmes-croises.org/reve-general-volapuk-metamorphosis-au-festival-r-i-o-2015/#more-234

 

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