Gilli SMYTH, Daevid ALLEN, Orlando ALLEN – I am Your Egg

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Gilli SMYTH, Daevid ALLEN, Orlando ALLEN – I am Your Egg (Voiceprint)

I Am Your Egg est un disque qui nous donne la vague impression de revenir d’une brocante sur laquelle on a chiné et rapporté quelques petites pièces disparates et attachantes, bien que pas forcément d’une grande valeur commerciale. La seule différence réside dans le fait qu’au sein de cet album, bien loin de découvrir des vieilleries dépoussiérées, l’assortiment de pièces et piécettes est relativement récent ou flambant neuf. Car voilà un disque sur lequel on trouve à boire et à manger.

Cela dit sans connotation péjorative, mais simplement parce que l’on passe allègrement de vignettes d’ambiance (End St Station, Slinky Ones, Hungry Lion…) au punk le plus virulent (Sacrifice) ; de chansons acoustiques (Ship Of Fools), à une sorte de soul/r’n’b excentrique (Undeniably) ; de nappes célestes (River Song) à des collages de bandes (Mechanical Schoolmistress) et autres morceaux semi-électro ou inclassables. Un peu comme si Gilli SMYTH (la maman), Daevid ALLEN (le papa) et Orlando ALLEN (le fiston) avaient réuni une foule d’amis à venir les rejoindre pour élaborer avec eux un album-sons familial sous forme de patchwork musical forcément éclectique. Et ces morceaux, résolument ancrés dans le présent, apparaissent comme autant de possibles chemins à emprunter pour le futur, tout en vaporisant autour d’eux de forts embruns de nostalgie.

Ainsi, End St Station, Slinky Ones et Hungry Lion auraient sans nul doute trouvé une place légitime sur l’album It’s All A Dream de Gilli SMYTH ; Melting Love n’aurait sûrement pas déparé sur Electric Shiatsu (GODDESS T) ; Sacrifice renoue avec la hargne vindicative d’Opium For The People (PLANET GONG) ; Mechanical Schoolmistress nous fait faire un bond de 39 ans dans le passé en évoquant furieusement les boucles hypnotiques de Switch Doctor (Daevid ALLEN sur Tape Works ou The Death Of Rock) ; River Song et ses flots de glissando accompagnés d’une guitare douze-cordes semble tout droit issue des sessions de 22 Meanings (ALLEN & WILLIAMSON) ; et Ship Of Fools n’aurait pas eu à rougir de sa présence au beau milieu du légendaire Good Morning ! (ALLEN & EUTERPE).

Il faut également noter que ce sont Orlando ALLEN et Gilli SMYTH qui se taillent la part du lion tout au long de l’album, la grande majorité des compositions leur étant directement due. Daevid ALLEN quant à lui voit sa participation réduite à une portion plus congrue, mais laissant néanmoins une empreinte immense au travers de River Song et de Ship Of Fools, probablement les deux morceaux les plus forts du disque (en terme de beauté émotionnelle). Parmi les nombreux artistes figurant sur l’album, on relèvera principalement les noms de Scott TINKLER, Josh POLLOCK, Kawabata MAKOTO et Harry WILLIAMSON pour les plus connus, ainsi que la révélation d’une voix féminine d’exception en la personne de Clara QUENNFRANC. Voilà pour les présentations.

Maintenant, on se doute bien qu’un tel rassemblement de diversités musicales n’ayant à priori pas grand-chose en commun, chamboule quelque peu l’auditeur qui ressort de ce disque avec des impressions mitigées sur le pourquoi du comment de la chose. Car inévitablement, les quatre ou cinq premières écoutes de ce CD vont le rendre quelque peu perplexe. Mais pour peu qu’il se débarrasse de ses idées préconçues et accepte de se laisser entraîner sans résistance à travers les méandres brumeuses de l’album, alors il arrivera sans nul doute à se faire immerger totalement par l’unité de ton qui règne durant tout le disque.

Car en fin de compte, et malgré toutes ces disparités, I Am Your Egg se veut tout de même baigné d’une ambiance constante. Une ambiance très zen, lancinante, un brin hypnotique. Comme un voyage en forme de dérive sur des flots apaisés, bercé par le rythme chaloupé d’une embarcation de fortune qui nous transporte au gré du vent vers des horizons lointains, divers et variés.

Idées de voyage d’ailleurs évoquées dès l’introduction du disque puisque la première chose que l’on entend se trouve être un train qui entre en gare. À notre bon vouloir de monter à son bord…

Et idées de voyage encore, sous forme de petites cartes postales musicales que l’on recevrait des terres d’Orient, de par l’utilisation de divers instruments ethniques ou encore au travers de voix féminines qui, par leur modulation, prennent par moments des allures de chant arabe.

En fait, I Am Your Egg est un album que j’imagine très bien convenir à l’amateur de volutes de fumée bleutée, qui pourra trouver en lui un support idéal à la contemplation de son plafond. Il pourra sans peine y rajouter des étoiles et y peindre sans efforts des figures fantasmagoriques. Car il y a dans ce disque quelque chose d’éphémère, d’irréel et de suffisamment vaporeux pour se laisser engourdir confortablement dans son univers. C’est un peu l’équivalent sonore d’une lampe lava.

Les morceaux défilent les uns derrière les autres en formant des spirales ondulantes, comme le fait sous l’effet de la chaleur la cire colorée enfermée dans le corps de la lampe. À une exception près cependant, car on se demande quand même un peu ce que vient faire dans tout ça la violence sonore de Sacrifice, qui fait l’effet d’un avion de chasse venant troubler la quiétude d’un champ de coquelicots. Cela dit, placé en tout début d’album, son effet s’en trouve atténué et ne parvient pas à diminuer l’impression globale de tranquillité que dégage le disque. C’est donc un moindre mal.

Alors adeptes du vagabondage de l’esprit, vous voici prévenus ! I Am Your Egg va vous faire naviguer vers des rivages inattendus et vous démontrer s’il en était encore besoin que malgré l’abondance de disques publiés depuis près de quarante ans par cette famille de musiciens décidément pas comme les autres, il s’en trouve encore parmi eux qui sont à même de nous surprendre. Cet I Am Your Egg en est la preuve par n’œuf ! Car sans non plus être une révolution, l’album n’en reste pas moins unique dans sa conception et démontre sans prétention le désir des artistes de simplement vouloir nous faire plaisir, ce qui après tout est déjà beaucoup, non ?

Benoît Godfroy

Site : www.planetgong.co.uk

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°19 – mars 2006)

 

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