HELDON – Only Chaos is Real
(25pm/Wagram)
La sortie plutôt discrète de cet album, annoncé pourtant trois ans auparavant, marque le retour vindicatif d’un des groupes les plus marquants de la scène française des années 1970 dans le domaine de la musique électronique (en tout cas assez digne pour concurrencer l’école allemande de l’époque représentée par TANGERINE DREAM, ASHRA TEMPEL ou Klaus SCHULZE). En guise de programme, un mot d’ordre, une vérité : « Seul le chaos est réel ! », clame HELDON, qui tient à prouver qu’il n’a rien perdu de ses convictions juvéniles.
Bien décidé à donner l’assaut d’une nouvelle « electronic guerilla » au goût du jour, Richard PINHAS s’est adjoint les services d’Antoine PAGANOTTI à la batterie de combat, d’Olivier MANCHION, bassiste du groupe ULAN BATOR, et du « trasheur vocal » de service David KORN.
Vous voilà avertis : le HELDON nouveau accorde une large place au chant, quasi omniprésent (« ubique », vous avez dit « ubique » ?). Pouvait-il en être autrement, dès lors que la formation intègre également deux auteurs littéraires très « tendance » (hum !) : Maurice DANTEC, compagnon de Richard dans SCHIZOTROPE, et Norman SPINRAD, créateur du nom HELDON (lire Rêve de fer), qui s’était déjà illustré dans l’album East-West de PINHAS. Leurs proses pré- et post-apocalyptiques viennent donc parachever l’édifice post-Nietzschéen et Deleuzien en diable de notre philosophe hexagonal.
De par l’importance donnée aux textes (dans 8 morceaux sur 9), Only Chaos is Real se distingue des premiers albums instrumentaux d’HELDON, où la musique répétitive s’avérait, pour beaucoup, longue et parfois difficile (Interface). Ici, HELDON joue une musique brutale et sans concessions. En résumé, c’est du « cyber-rock » qui suit la voie ouverte par Stand By et qui se caractérise par un son électro-métallique hypnotique. La guitare de PINHAS, traitée par un procédé métatronique, y fait des merveilles.
Le titre éponyme, placé en ouverture, donne le ton instantanément avec sa rythmique nerveuse et technoïde (utilisation d’ »electroloop » par Philippe LAURENT) et rappelle le puissant Pandemonium de KILLING JOKE (Mathematics of Chaos) ou même le terrifiant 2007 du légendaire Alan VEGA. Les compositions qui suivent, où il est question de « machines de viande prêtes pour l’abattoir » (sic), de singes mutants et d’un millier de soleils, restent imprégnées de cette sonorité acide à la Cyborg Sally.
Un morceau comme Les Racines du mal se rapproche étrangement de l’ambiance froide et sombre de l’album On croit qu’on en est sorti de Serge TEYSSOT-GAY, et l’influence de KING CRIMSON, dans sa période « post-disciplinée », est perceptible dans Ubik. L’unique pièce instrumentale, Le Plan, n’est autre qu’une version modernisée du morceau Stand By et constitue probablement l’un des moments forts de ce disque. Elle est d’ailleurs reprise (avec cette fois du chant) sur le titre final Last Level.
HELDON se paye donc une nouvelle crise d’insoumission juvénile et a convié d’autres guerriers « cyborguiens » à y poser leur empreinte, au moins à titre symbolique. Alain BELLAICHE et Georges GRUNBLATT se rappellent à notre souvenir sur Ubik ; il pleut des guitares furieuses sur le très punk Holly Dolly grâce au concours d’Alain RANVAL et de Duncan NILSSON et on trouve des traces synthétiques et « minimoogiennes » de Benoît WIDEMANN un peu partout…
Enfin, PINHAS peut être fier d’avoir réuni ensemble deux membres de la famille PAGANOTTI (le fils Antoine à la batterie et le père Bernard à la basse) sur deux titres (Le Plan et Ubik) !
Avec Only Chaos is Real, HELDON livre un opus furieusement nimbé de futurisme hardcore, « noisy » mais accessible, révolté sans être forcément révolutionnaire, puisque constitué d’éléments déjà entendus ailleurs, mais astucieusement assemblés. Là encore, le rapprochement avec l’attitude de KING CRIMSON sur THRAK et The ConstruKction of Light est flagrante. (Même si la participation de Robert FRIPP, pendant un temps espérée, n’a finalement pas pu se concrétiser…)
On pourra éventuellement regretter que PINHAS ne se soit pas davantage détaché de ses références, mais quitte à en avoir, la synthèse qui en est faite révèle une vitalité plutôt rassurante. De plus, l’album ayant été enregistré « between 1997 and 2257 » (re-sic), ça laisse du temps à la musique pour refaire sa vie… Rendez-vous pour un dernier jugement en 2257 !
Cédrick Pesqué et Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°9 – août 2001)