Joce MIENNIEL & Aram LEE – Wood and Steel

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Joce MIENNIEL & Aram LEE – Wood and Steel
(Buda Musique / Socadisc)

Si l’on a connu des créations scéniques et discographiques se targuer de célébrer le mariage du ciel et de la Terre, du soleil et de la lune, du cuir et de la dentelle et j’en passe, peu ont encore osé célébrer l’alliance du bois et de l’acier. À vrai dire, il se pourrait même que ce Wood and Steel soit le premier cas du genre, puisqu’il met en valeur les jeux, les timbres et les couleurs de deux flûtes culturellement séparées par autant de kilomètres que d’années. D’un côté nous avons une flûte européenne métallique, chromatique, tempérée et pourvue du système de clés créé par le Bavarois Theobald BOEHM ; de l’autre, nous avons une flûte traversière coréenne en bambou, le daegum, qui ne possède aucune clé mais qui a tout de même été pourvue au cours de son existence trois fois millénaire d’un mirliton en papier de riz. L’une privilégiant les sons bas et moelleux et l’autre osant les sonorités plus aigües et saturées, on ne risque guère de les confondre. Mais quand en plus elles sont jouées par des artistes aux parcours et aux options esthétiques aussi dissemblables qu’atypiques, on se doute que l’alliance musicale ici exposée échappe aux routines stylistiques codifiées.

Joce(lyn) MIENNIEL fait partie de ces artistes-caméléons dont les activités musicales se déploient en moult directions : de formation classique en tant que flûtiste, il est aussi saxophoniste, guimbardier, compositeur, orchestrateur, producteur, arrangeur et touche-à-tout en matière d’électronique musicale. Il a travaillé avec un bon paquet de personnalités dans les domaines du jazz, de la pop, de la chanson, des musiques du monde, dont la liste complète ferait un paragraphe trop exhaustif pour cette modeste bafouille. Mentionnons tout de même sa participation à l’orchestre de Jean-Marie MACHADO, son implication dans l’ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ, du temps où il était dirigé par Daniel YVINEC (notamment dans le projet Around Robert WYATT)… Il a déjà réalisé plusieurs albums solo (Paris Short Stories Saison 1, Tilt, Babel, The Dreamer), et depuis quasiment une décennie, il co-dirige avec Sylvain RIFFLET l’ensemble ART-SONIC et a créé sa propre C.P.L. (« Compagnie, Pépinière d’idées & Label musical »), Drugstore Malone. Enfin, depuis 2020, il est artiste en résidence à l’Abbaye de Royaumont. Dans le disque qui nous occupe, il déploie son expression musicale sur plusieurs flûtes : traversière, alto et basse.

Son interlocuteur coréen sur Wood and Steel, Aram LEE, n’a peut-être pas un parcours musical aussi hétéroclite et azymuté que celui de Joce MIENNIEL, mais il fait partie de cette génération d’artistes coréens qui bousculent les normes en mêlant les instruments antiques et les traditions musicales de Corée du Sud au jazz, à l’improvisation et aux musiques expérimentales. LEE a ainsi fait partie de l’ensemble BARAMGOT (deux albums en Corée), qui s’était notamment illustré au Festival de l’Imaginaire et à l’Auditorium du Musée Guimet en 2010, et plus récemment de BLACK STRING, auteur de deux albums sur le label allemand ACT (Mask Dance et Karma).

La rencontre de MIENNIEL et de LEE n’est donc pas complètement due au hasard, sinon objectif : tous deux sont aguerris aux explorations des champs de possibles musicaux, et Wood and Steel est l’un d’eux. Ce projet a été patiemment mûri avant d’être gravé sur disque, puisqu’il avait été initié lors de l’édition 2016 du festival Jazz sous les pommiers. Et comme l’improvisation et l’expérimentation sont les moteurs de cette alliance flûtée, rien ne prouve que le prochain concert sera l’exacte restitution de ce qui se donne à écouter sur ce disque. Celui-ci offre néanmoins un ample et riche panel des directions prises par les artistes en présence et s’avère même bien plus diversifié qu’on ne pourrait le penser.

Du reste, et contrairement aux apparences créditées, Wood and Steel n’est pas le disque d’un duo, mais d’un trio ! Car Joce MIENNIEL et Aram LEE sont accompagnés sur plusieurs pièces par un troisième complice, Minwang HWANG, tout aussi Coréen que LEE et tout aussi membre que lui du groupe BLACK STRING, ceci expliquant cela.

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Comme si le daegum et les autres flûtes traditionnelles d’Aram LEE ne suffisaient pas, les interventions de HWANG au tambour sur cadre « janggu », au gong « jing », au hautbois « taepyeongso » et au chant occasionnel concilient le propos des flûtistes avec un fonds chamanique tout en restituant des échos du « pansori », cet art savant du récit chanté coréen. La pièce la plus longue du disque, Heullim, est particulièrement caractéristique de cette absorption culturelle et de la volonté des artistes de l’ouvrir à un renouvellement créatif, de même que Bukcheong Arirang (l’Arirang étant une forme de chant coréen très populaire, voire identitaire, dont il existe une soixantaine de versions régionales et rien moins que 3600 variantes).

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L’empreinte sonore des expressions coréennes ancestrales est donc bel et bien présente dans Wood and Steel, mais projetée dans un processus créatif qui en extrapole les figures imposées. De fait, Wood and Steel ne se présente pas seulement comme une rencontre entre deux cultures, mais plutôt entre deux, voire trois, imaginaires, eux-mêmes nourris de nombreuses influences. Et comme pour brouiller les références, l’une des pièces se nomme Ethiopic !

Les talents poly-instrumentaux des trois artistes aidant, chaque morceau du disque a été arrangé dans des combinaisons instrumentales différentes : certains sont joués en trio, d’autres en duo, et MIENNIEL, LEE et HWANG exposent chacun une pièce soliste ouvrant d’autres sentiers de traverses.

Flûtes-derviches mises en boucle, souffles caressants, souffles exubérants, vents stridents, frappes effrénées, rythmiques complexes, danses tribales, pauses contemplatives, marches sinueuses, soubresauts chtoniens, exaltation vocale, hypnose nocturne, les matières musicales sont mouvantes et vibrantes dans Wood and Steel, déclinent un panel d’émotions intenses et illustrent combien les énergies créatives sollicitées sont puissantes et exaltantes.

Trois mille ans séparent les flûtes européennes et extrêmes-orientales ici jouées, mais les pistes tracées par Joce MIENNIEL et Aram LEE révèlent une proximité et une complicité artistiques qui réduisent drastiquement les supposées distances. C’est d’autres perceptions du temps et de l’espace que font entrevoir ces histoires de souffles métalliques et boisés…

Stéphane Fougère

Site : www.jocemienniel.com

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