Kengo SAITO – Japanistan

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Kengo SAITO – Japanistan
(Lokanga / Rue Stendhal)

kengosaito_japanistanQu’est-ce donc que le « Japanistan » ? Serait-ce un pays cousin du Kafiristan, où jamais la main d’un Européen n’a posé le pied jusqu’à l’arrivée de Sean CONNERY (cf. L’Homme qui voulut être roi) ? Une anticipation de la prochaine dérive des continents, qui aboutirait à une nouvelle Pangée ? Une déviance du cosmopolitisme ? C’est avant tout l’histoire d’un parcours artistique ancré dans diverses traditions musicales asiatiques, celui du musicien et compositeur Kengo SAITO.

Même si ses débuts étaient amarrés dans la musique classique occidentale, à base de piano et de guitare, Kengo SAITO est passé, à la faveur d’un coup de foudre pour la musique hindoustanie, au tabla et au sitar pour devenir aujourd’hui un joueur réputé de rubâb afghan. (Parce que, dès lors qu’on se consacre à la musique de raga telle qu’elle est jouée en Inde du Nord, on en découvre aussi les affinités avec la musique classique afghane.)

Bien sûr, pareil apprentissage ne s’improvise pas plus qu’il ne se bricole. Kengo SAITO s’est initié au sitar auprès d’un maître, le Pandit Kushal DAS ; il a de même étudié le répertoire afghan auprès de Daud Khan SADOZAI, lui-même disciple de feu Ustad Mohammad OMAR, considéré comme le roi du rubâb afghan. Comme si ça ne suffisait pas, Kengo SAITO s’est ouvert à d’autres musiques du monde, celles d’Iran, de Turquie, de Grèce. Et on se souvient que l’une de ses premières apparitions discographiques fut au sein du Phillip PERIS TRIO (album Zephyr), qui mêlait didgeridoo, shamisen, sitar, guimbarde, chant diphonique, tabla et guitare.

Que de chemin tracé depuis ! Toujours est-il qu’on ne s’étonne pas de le voir impliqué dans divers projets : récital soliste de sitar, croisements de musiques modales, musique néo-traditionnelle grecque indo-orientale, world-jazz… et bien entendu Japanistan !

Car oui, au fait, si vous ne l’aviez pas remarqué, Kengo SAITO est d’origine japonaise ! Aussi, Japanistan s’est imposé dans son esprit comme une volonté de renouer avec ses racines, sans abandonner ce qu’il a découvert. En clair, ça veut dire que Japanistan a été pensé comme un recueil de mélodies provenant de la culture japonaise comme de la culture afghane.

Et puisque Kengo SAITO n’est pas un joueur de koto, de biwa, de shamisen ou de tout autre instrument spécifiquement japonais, c’est donc au rubâb qu’il s’exprime. C’est un choix tout à fait légitime dès lors qu’il joue des thèmes afghans ; c’est un choix déjà plus… « exotique » quand il s’agit de jouer des thèmes nippons. Mais Kengo SAITO aurait pu aussi choisir de jouer ces mélodies au sitar. Il ne l’a pas fait, sans doute parce que le sitar est plus connoté « musique indienne », voire « musique indienne… pour hippies ». Alors que le rubâb est déjà plus vierge de connotations. Et moins connu.

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Le long de ses onze pièces (ou dix, si l’on considère que l’une d’entre elles a été découpée en deux plages), Japanistan nous entraîne donc de l’Afghanistan au Japon, sans pour autant donner l’impression de nous tirer à hue et à dia. Des Sakura Variations à Bairagi, de Mahali à Kokiriko Bushi, le rubâb de Kengo SAITO déploie des trésors d’arrangements ingénieux pour ne pas nous faire souffrir du décalage horaire entre les deux cultures.

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Sur cette Route de la Soie du troisième type, Kengo SAITO a recruté quelques complices de longue date. Si la présence du zarb d’Antoine MORINEAU, du daff d’Ershad TEHRANI ou du zerbaghali de Gholam NEJRAWI est assez logique, la sollicitation de la flûte bansuri de Guillaume BARRAUD et du tabla de Prabhu EDOUARD (who else ?) provoque un tirage de couverture vers la musique classique indienne, manière pour Kengo SAITO de brouiller les pistes auditives tout en rappelant un autre de ses centres d’intérêts (mais sans sitar !). Bref, Japanistan aurait très bien pu s’appeler « Indojapanistan » que cela n’aurait pas paru plus déroutant.

Quoiqu’il en soit, cet album donne à écouter le rubâb sous un autre angle et lui ouvre des perspectives inédites. Et il rappelle également au passage que certaines musiques asiatiques sont reliées par des gammes similaires, permettant aux musiciens d’improviser à loisir ou de s’adonner à de discrets mais raisonnés métissages japo-afghans, comme en témoigne le morceau Pahari Sukiyaki Song.

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Que vous soyez érudit de longue date des traditions japonaises ou indo-afghanes, ou simple amateur de sons pan-asiatiques, Japanistan est en tout cas une étape recommandée, et son séjour des plus enrichissants.

Stéphane Fougère

Site : www.kengosaito-music.com

Label : www.lokanga.com

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