Le Mirage MUFFINS et autres mannes

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Le Mirage MUFFINS et autres mannes

[À l’occasion de la parution chez Cuneiform Records du coffret Baker’s Dozen, qui contient douze CD d’archives inédites du groupe américain THE MUFFINS, RYTHMES CROISÉS vous propose de faire plus ample connaissance avec ce groupe en exhumant des articles (avec entretiens et chroniques) provenant des archives de la revue TRAVERSES.]

À l’aube du XXIe siècle, plusieurs formations progressives relativement obscures connaissent un regain d’intérêt suscité par le public grâce à ce système de bouche à oreille moderne appelé Internet. Certaines d’entre elles attirent plus particulièrement notre attention, et c’est précisément le cas des MUFFINS qui, emportés par la vague de ce nouvel élan, ont choisi, ni plus ni moins, de se reformer après un hiatus de plus de vingt ans ! Après un mini-album live (Loveletter #1), ils nous livrent Bandwith, que nous allons décortiquer dans ces mêmes colonnes en compagnie des musiciens, alors qu’ils travaillent déjà d’arrache-pied à la réalisation de leur prochain disque, à paraître également chez Cuneiform. Mais avant cela, un petit peu d’histoire s’impose…

Débutée en 1973, la formation va se stabiliser dès 1976 avec l’arrivée du batteur Paul SEARS, complétant la quadrature du cercle avec Dave NEWHOUSE (claviers, instruments à vents), Billy SWANN (basse, guitare) et Tom SCOTT (instruments à vents). Leur premier disque, Manna / Mirage, est une véritable réussite que beaucoup ont vu comme le pendant de la scène canterburyenne version Outre-Atlantique. Éclatent ici leurs mille et unes influences, de SOFT MACHINE à HATFIELD AND THE NORTH, en passant par SUN RA, l’ART ENSEMBLE OF CHICAGO, voire même les MOTHERS OF INVENTION !

La réponse du public ne sera malheureusement pas proportionnelle au degré de qualité du disque, mais nullement découragés, nos gaillards poursuivent sur leur lancée avec Air Fiction (à ce jour non réédité sur format CD) puis l’obscur <185>, fin 1980 et produit par Fred FRITH, où le groupe, au bord de la rupture, réalise un disque plus abstrait et avant-gardiste que l’on a vite fait de regrouper sous la bannière Rock in Opposition. Ce sera aussi hélas le dernier témoignage du groupe pour un bon bout de temps, et seules les compilations/archives/prises alternatives de Chronometers, en 1993, et Open City, en 1994, seront encore là pour entretenir la flamme sur laquelle de nombreuses oreilles avides de connaissances et toujours curieuses iront se rabattre avec délectation. Un petit coup de loupe n’est peut-être pas inutile et nous allons vite, en quelques lignes, tâcher de vous familiariser avec la musique que le groupe a distillé au gré de ses disques.

Sur Manna / Mirage (1978), la musique des MUFFINS montre d’entrée de jeu un désir d’émancipation d’une musique progressive déjà morte de par ses attitudes boursouflées pour se livrer corps et âmes à la pratique d’une musique aux accents jazz électriques prononcés. Monkey with the Golden Eyes a de sérieux accents « wyattiens », Hobart Got Burned ne fait pas dans la dentelle non plus avec son croisement émérite entre free jazz et parti-pris canterburyen. Le talent de ces multi-instrumentistes fascine et l’écriture, fatalement riche et complexe, est constituée de nombreux thèmes qui s’entrecroisent, comme le démontrent les deux longues suites Amelia Earhart et The Adventures of Captain Boomerang.

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<185> (1981) est une vraie rupture avec les lignes mélodiques enchanteresses de Manna / Mirage, et c’est précisément ce qui va séduire Fred FRITH, qui va se montrer déterminant dans l’achèvement de ce disque où son rôle se révèle bien plus grand que celui de producteur. Sombre, introspectif, violent dans son approche, le groupe fait avec cet ultime album sa grande entrée au milieu des autres grands barons du Rock in Opposition, tels que HENRY COW ou UNIVERS ZÉRO.

Chronometers (1975, publié en 1993) nous permet de nous plonger dans la genèse du groupe qui se cherche encore un style oscillant entre les MOTHERS OF INVENTION de Frank ZAPPA qui, au fil du temps, passera inaperçue, et cette propension jazz vers laquelle ils vont tendre au fur et à mesure.

Mis à part la longue plage éponyme de vingt minutes, cette réédition comporte vingt autres morceaux aux durées assez expéditives qui donnent à l’album une homogéneité sans faille. La qualité sonore n’est pas exceptionnelle mais plus que satisfaisante. Il ne faut pas oublier non plus que jusqu’alors, ces enregistrements furent en quelque sorte les seuls capables à pouvoir réhabiliter la légende des MUFFINS, leurs disques officiels n’étant à ce moment-là toujours pas disponibles.

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Open City (1979-1980, publié en 1994) vient à la suite de Chonometers et s’accorde la même tâche que ce dernier en mettant toutefois l’accent ici sur les sessions qui déboucheront sur l’obscur <185>. Toute la vitalité dont le groupe sait faire preuve est ici mise en évidence, et de bien belle manière : la quasi intégralité des titres sont en prise directe et font preuve d’une formidable énergie. Là aussi, on peut peut-être déplorer la piètre qualité de certains titres, mais des deux compilations posthumes parues, Open City est sans aucun doute la plus barrée, et la plus exigeante, mais aussi la plus déterminante.

Cela étant dit, faisons place, à présent, à l’entretien…

Zoom résumé

Il aura fallu presque vingt ans pour pouvoir entendre à nouveau la musique des MUFFINS. Et c’est un peu pareil pour vous ! Ça fait plaisir de vous revoir ! Aviez-vous déjà prévu de rejouer ensemble, et si ce n’est pas le cas, pourquoi autant de temps ?

Paul SEARS : Avant le net, nous n’imaginions pas que l’on puisse s’intéresser à nous.

Tom SCOTT : Quand les MUFFINS se sont séparés, nous n’avions pas la moindre intention de nous reformer. Cette envie a fait son apparition durant une période de deux ans où nous avons participé à quelques réunions pour des concerts. Nous nous étions tellement amusés pendant ces performances que nous eûmes le sentiment que nous ne pouvions plus considérer cela comme une réunion ponctuelle, et de là est partie l’idée de se reformer.

Existe-t-il des bandes de ces concerts qui pourraient faire l’objet d’une publication ultérieure ?

TS : Quelques prise vidéos furent réalisées lors des tous premiers concerts. Mais j’ignore si des prises audio ont été faites, qui les possède et ce que cela pourrait bien donner.

Dave NEWHOUSE : Chaque fois que nous jouons, nous enregistrons. Mais aucune sortie n’est prévue dans ce cadre-là. Mais justement, un titre où je joue un solo d’harmonica endiablé, Military Road, saisi lors du ProgDay Festival de l’an dernier, vient d’être publié sur le sampler ProgDay 2002. Si vous le voyez…

Il semblerait qu’à l’instar de vos compatriotes de HAPPY THE MAN, les MUFFINS se sont découvert un large comité de soutien via Internet. Peut-on dire que, dans un certain sens, cela vous a considérablement aidé à revenir à l’avant plan ?

PS : Tout à fait !

TS : Oui, on a eu la chance de pouvoir se reformer juste au moment où les gens se sont montrés les plus réceptifs à notre musique. Je pense que le net a eu une énorme incidence sur notre succès…

Comment vous en êtes-vous rendu compte ? Quelqu’un vous en a-t-il parlé ou avez-vous fait cette découverte vous-mêmes ?

TS : On nous l’a rapporté. On reçoit de plus en plus de demandes pour des entrevues, nos chroniques sont favorables, on reçoit beaucoup de courrier d’admirateurs, et nous recevons même des invitations pour nous produire parfois dans de très belles salles.

Comment expliquer ce regain d’intérêt soudain ?

PS : Aucune idée ! Mais ça ne m’empêche pas d’apprécier tout ce soutien qu’on nous apporte. Il est beaucoup plus facile aujourd’hui de rentrer en contact avec quiconque parle de musique progressive, en visitant les sites personnels et autres groupes de discussions.

TS : La chose la plus importante, c’est que nous, les MUFFINS, nous aimons ce que nous faisons. Et quand on aime ce que l’on fait, cela devient communicatif.

Liberté attendue

L’histoire raconte que les MUFFINS se sont séparés pour des raisons familiales. L’envie seule de rejouer tous ensemble à nouveau a-t-elle été suffisante pour rendre tout cela possible ?

PS : Nous en avons parlé pendant des années, et au bout du compte on a tenté le coup dans un petit café-concert. C’était plus que ce que l’on espérait.

TS : Paul est resté en contact avec tous les membres du groupe, et de temps en temps il nous relançait sur l’idée de reformation dans le cadre d’un concert. Au bout d’un moment, j’ai fini par dire : « D’accord, pourquoi pas ? »

En dehors des raisons familiales, quelles sont les raisons qui vous ont tenu à l’écart d’une réunion ? Rêviez-vous toujours cependant de pouvoir un jour rejouer ensemble ?

TS : J’ai vraiment cru que cette partie de ma vie où je me fondais dans la musique était révolue. Je me souviens que Susan, mon épouse, m’avait demandé un jour si cette partie de ma vie me manquait. Je crois que j’ai dû sortir alors une excuse du genre ; « Tout ça c’est du passé, ce qui m’intéresse c’est maintenant, et je ne fais plus de musique. » Les deux années de concerts ont bien entendu changé la donne. Cela a redonné un sérieux coup de fouet à cette partie de mon cœur et de mon esprit où se cachait le musicien.

DN : Je pense qu’on en rêvait tous. Nos premières années furent merveilleuses vous savez ; la compétition entre musiciens, l’amitié, les nouvelles expériences, etc.

PS : La distance a joué également. Je pense que si nous étions tous restés dans le même coin, une reformation aurait pu se produire bien plus tôt.

A priori, il semblerait que seul Billy SWANN ait gardé un pied dans l’industrie du disque. Du coup, serait-ce erroné de penser qu’il fut celui qui parvint à donner l’ultime impulsion pour concrétiser cette réunion ?

PS : C’était un effort partagé à cent pour cent par tout le groupe ! En ce qui me concerne, j’ai participé auparavant à l’album et à la tournée de CHAINSAW JAZZ en 1993, et j’ai beaucoup enregistré en compagnie de 9353/Bruce MERKLE, tout comme d’autres sessions jazz avec David BEYERS.

TS : Je pense que tout le crédit doit être attribué à Paul pour l’idée initiale. À partir de là, ce fût ensuite un effort commun de chacun d’entre nous.

En Europe, les MUFFINS sont vus comme une réponse américaine au style Canterbury (comme illustré sur Manna/Mirage) ou même au mouvement R.I.O. (comme pour <185>). Ne pensez-vous pas que de telles descriptions soient au final assez réductrices ?

PS : Toutes ces comparaisons ont commencé à apparaître bien des années après que nous nous sommes séparés. Nous n’eûmes jamais l’intention d’être une « réponse » à quelque style que ce soit, aussi loin que je me souvienne… bien que nous ayons tous écouté des tas de trucs différents. Le « néo-prog » ou l’ « avant-prog », c’est neuf pour moi !

DN : Eh bien… Nous devons beaucoup au son Canterbury. Bien qu’il me plaît à penser que nous dépassons tout de même ce cadre (on aime le jazz en effet, et nos expériences dans le domaine sont strictement américaines), la première fois que nous avons entendu un disque de cette école, nos oreilles furent interpellées.

Ces sonorités étaient presque familières pour nous. Une sonorité avec laquelle nous nous sentions déjà en parfait accord et avec laquelle nous étions tous très à l’aise. À aucun moment, nous avons tenté de sonner comme tel. Il se fait que cette esthétique est quelque chose dans laquelle nous nous épanouissions déjà, sans pouvoir la nommer ainsi, ou la définir, et avec laquelle nous partagions plus d’un point commun.

TS : Il faut reconnaître l’influence de nos contemporains, je pense, mais à ce jeu-là, la liste est bien plus longue et ne se limite pas seulement au genre Canterbury ou RIO. D’ailleurs, pour ma part, je n’avais jamais rien entendu de tel avant de me joindre aux MUFFINS. J’écoutais alors GENTLE GIANT, YES, ELP, GENESIS, KING CRIMSON, SUN RA, JETHRO TULL et beaucoup d’autres groupes progressifs des tout débuts…

Pas seuls

Ces vieux groupes prog’ dont vous parlez sont sans doute ceux qui incluaient une section de cuivres, comme RAW MATERIAL, SPRING ou CATAPILLA…

TS : GENTLE GIANT utilisait les cuivres à bon escient. SUN RA, c’était comme un super big band qui s’adonnait à une performance psychotique chaque fois renouvelée (et je dis ça dans le bon sens du terme). Dans la plupart des cas, les saxophonistes faisaient rarement partie intégrante des groupes prog’ qui les utilisaient. C’est précisément là que se situe l’apport de la scène Canterbury. L’instrumentation générale se tournait vers des sonorités radicalement « alternatives » (trompettes, percussions, etc.) qui ont, par là même, apporté une nouvelle dimension à la musique progressive. Si des gens dressent alors des points de comparaison entre la musique que nous jouons et l’esthétique canterburyenne, je ne pourrais que m’incliner.

Mais plus importantes encore sont les similarités dans le style d’écriture. Dave a toujours été la plume du groupe et je pense que ses compositions ont leur place dans l’univers progressif. Si vous prenez le temps d’écouter chronologiquement chacun des morceaux que Dave a écrits, vous vous apercevrez qu’il n’a jamais utilisé de formules toutes faites ou qu’il ne s’est jamais adonné au plagiat pur et simple. Sa source d’inspiration est réelle et profonde. De plus, il est très prolifique.

Cette nuance a son importance, surtout lorsque l’on considère votre dernier album, Bandwith, qui révèle, du moins à mon avis, de nouveaux aspects du groupe que nous n’avions jamais entendus auparavant. Vous avez des commentaires à ce propos ?

TS : Quand vous écrivez votre propre musique, cela change sans cesse. Nous écrivons en ce moment de nouveaux titres pour l’album suivant, et il sera très différent de Bandwidth. La musique fait partie intégrante du groupe, et celui-ci change perpétuellement.

PS : Oui, et puis, c’est après plus de vingt ans de silence, et donc beaucoup de choses ont changé. Ce qui doit arriver arrivera ! On a encore du nouveau matériel à enregistrer, et les sessions pour notre prochain disque ont déjà débuté. On ne se limite pas à un style de musique. On joue des tas de trucs différents.

En étant si ouvert, pensez-vous qu’il y a de la place pour une instrumentation électronique dans votre musique ?

TS : Je ne crois pas qu’un jour vous puissiez entendre un album « électronique » des MUFFINS. Si ça devait se produire, ce serait un fameux bond en avant. Cependant, si Dave se révèle en être l’instigateur, j’y prendrais part aussitôt.

Sur votre disque toujours, excepté quelques lignes de basse profondes et quelques duels de saxophones, certains pourraient s’imaginer qu’ils écoutent en fait le disque d’un groupe de jazz moderne qui interprète quelques titres inspirés des MUFFINS. Était-ce intentionnel ?

PS : Euh… non !

TS : Non, nous n’avions jamais planifié de faire de Bandwidth un album de jazz moderne. Mais nous ne faisons pas de productions ouvertement anti-jazz, c’est un fait certain. Dave a écrit 99 % de la musique de Bandwidth. Le prochain disque aura plus de titres signés de ma main. Les nouveaux titres de Dave pour notre prochain album, c’est du jamais entendu à mes oreilles et je pense que cet album sera sans doute notre meilleur jusqu’ici.

Mr. NEWHOUSE, puisque vous êtes le plus impliqué dans l’écriture, pouvez-vous nous expliquer pour quelles raisons vous vous êtes plus attardé cette fois sur votre jeu de claviers ? Quelle fut votre approche ? Y a-t-il une raison particulière ?

DN : Eh bien… Je pense que je voulais tout simplement atteindre l’aspect mélodique et harmonique propre au clavier, cette luxuriance et cette plénitude que seul un clavier peut générer. Mais dans le même temps, Tom et moi-même désirions vraiment en faire beaucoup plus pour les instruments à vents, en leur adjoignant une réelle section de cuivres, un peu comme un big band de rock progressif.

TS : Si je puis me permettre, je pense que c’est une conception erronée. Dave a toujours été à la fois un excellent claviériste et saxophoniste. Il s’occupe des claviers la plupart du temps, et moi des cuivres. On joue pourtant ensemble du même instrument sur quelques titres, mais ce n’est pas le centre d’intérêt premier de notre musique, c’est juste un aspect. Ça pourrait changer à l’avenir puisque j’ai bien envie de me mettre à mon tour aux claviers, chose que je n’ai jamais faite auparavant. Mais lorsqu’il s’agit d’enregistrer, Dave se révèle être grand musicien. Nous avons ainsi ajouté de nombreuses autres sections sur Bandwidth. Nous nous partageons les rôles au saxophone. Mais pas pour d’autres instruments. Bandwith sonne vraiment à mes yeux comme un nouveau départ. Cela a l’air si spontané et cela contraste fortement avec toutes les autres gloires du mouvement progressif qui se reforment pour ressasser une musique déjà entendue mille et une fois.

Était-ce intentionnel de vouloir s’échapper de ce piège ou est-ce apparu pendant les sessions d’enregistrement ?

PS : Oui et non. Parfois nous refoulons notre envie de jouer du nouveau matériel, bien que nous soyons motivés à nous essayer à de nouvelles musiques. Cette année, nous jouerons Not Alone, et je suis certain que nous l’interpréterons différemment et qu’il sonnera mieux que jamais. Nous ne vivons pas côte à côte et les répétitions sont dès lors peu nombreuses. Quand nous nous réunissons, nous nous focalisons sur les prestations en concert ou les enregistrements studio.

TS : J’aurais été déçu d’apprendre que nous ne repartions pas de zéro en écrivant du nouveau matériel. J’aime nos anciennes pièces d’il y a plus de vingt ans, et je veux continuer à faire encore d’autres nouveaux morceaux ; ainsi, ceux qui apprécient notre musique pourront encore prendre du plaisir à l’écouter à l’avenir.

En dehors du fait que vous soyez à nouveau réunis et que vous jouiez ensemble, avez-vous à l’esprit un but précis que vous vous êtes fixés ?

TS : Une tournée mondiale, ce serait super. J’adore jouer en concert, alors se produire dans de grandes salles remplies d’auditeurs pourrait aisément combler ce « but à assouvir ».

DN : On aimerait jouer plus et enregistrer plus d’albums. C’est terriblement amusant et excitant de mener les deux de front.

PS : Plus de concerts !!!

Peux-t-on dire que ce hiatus de vingt ans, et tout ce qui en découla dans vos vies respectives, a provoqué un changement dans votre manière de voir les choses, d’entendre et de jouer la musique ?

PS : Oui, en ce qui me concerne.

TS : Oui, j’ai des enfants et ils m’initient souvent à des tas de nouvelles musiques. En vingt ans, il y a de quoi se trouver de nouvelles influences. Durant ces vingt dernières années, quelles furent vos découvertes ? Quels artistes vous ont plu ou déplu ?

TS : La musique en général m’enchante ; elle me transporte dans un lieu empli d’émotions. Je suppose que je deviens un peu fleur bleue quand on commence à en parler. Ce qui m’a déplu ? Eh ! bien, j’ai autrefois été propriétaire d’un studio 24 pistes à Rockville, Maryland, après que les MUFFINS se sont séparés. J’ai enregistré énormément de groupes punk dans ce district, et je n’aime pas du tout le punk.

Pour moi, les MUFFINS de l’an 2000 ont une dimension qui relève plus de la sagesse alors que les MUFFINS des années 1980 avaient un sérieux goût pour l’expérimentation et une insolence audacieuse. Je rêve ou il y a un peu de vrai dans ce que je dis ?

PS : Nous avons toujours cette audace, on finira par s’en rendre compte. Bandwith fut aussi une expérience pour nous, tout comme le travail qui nous a amené à Loveletter # 1.

TS : Oui, j’aime bien la manière dont vous présentez cela. Cette approche juvénile et impétueuse est toujours là, en surface, mais le temps nous apprend tous les jours, et nous abordons toutes choses aujourd’hui avec tous les enseignements que nous avons pu tirer auparavant dans nos vies. Nous apprenons encore et nous évoluons toujours.

Dans le rouge

Loveletter # 1 et Bandwith, tels que vous les décrivez, furent des étapes au sein d’un processus. Vous sentez-vous de plus en plus sûrs de vous ? Pensez-vous que le groupe a encore besoin de trouver ses marques pour être à son meilleur niveau ?

TS : Je pense que nous n’y sommes pas encore parvenus. On a fait de belles choses par le passé et on travaille dur pour parfaire le résultat. J’ai le profond sentiment que d’excellentes choses nous attendent, sur scène, comme sur disque, il faudra prendre patience !

La production propre de votre dernier disque aide à comprendre votre changement d’approche. Nous devons aussi tenir compte que les seuls documents à notre disposition furent, pendant longtemps, les publications Cuneiform, Chronometers et Open City, qui ont, tous deux, et avec <185>, un son plus rude et plus âpre. De quelle manière voyez-vous et ressentez-vous votre musique, policée ou brute (ou les deux) ?

PS : C’était notre premier enregistrement complètement en digital – certaines parties sont policées, alors que d’autres sont plus brutes, donc la réponse est forcément les deux.

TS : Je dirais les deux aussi. Bandwith est de loin bien plus facile à écouter que <185>, c’est très clair dans mon esprit. Chronometers et Open City ne furent jamais destinés à être publiés. Ils furent enregistrés pour permettre au groupe de se repositionner face à son travail, et non pas dans le but d’en faire des bandes à des fins de publication. Et après que nous nous soyons séparés, Cuneiform a manifesté de l’intérêt à les sortir sous formes de disques, et ils eurent notre accord pour le faire. De nombreux titres présents sur ces disques furent écrits avant même Manna/Mirage.

Je suppose que vous parlez de Chronometers. Open City a toujours été présenté comme un disque complémentaire à <185>. Au fait, pourquoi ce titre ?

DN : Le titre vient d’un vieux livre intitulé Les Russes. Il raconte les déboires réels d’un journaliste ayant séjourné et travaillé un an ou deux en Russie. <185> était le chiffre du tampon avec lequel ils marquaient la littérature américaine et/ou interdite.

Paradoxalement, si Chronometers et Open City nous ont permis de garder le contact avec votre musique en écoutant du matériel plus ancien, ils ont pu tout autant mal nous aiguiller, et plus encore si on considère que la production de Bandwith est la plus proche de la manière dont vous aimeriez que votre musique sonne.

PS : Chacun entend un peu ce qu’il veut dans ce qu’il écoute. Mais je n’ai peut-être pas saisi la question. Bandwith nous représente à un moment bien précis. Le suivant sera différent.

TS : Oui, je vois où vous voulez en venir. La chronologie de nos publications sur Cuneiform a pu en effet semer la confusion auprès des auditeurs qui ne savaient plus trop bien par où ni comment nous prendre. Bien des années avant que nous nous soyons reformés, personne chez Cuneiform n’aurait pu croire un seul instant que nous repartirions ensemble en studio et sur les routes. Nous pouvons nous estimer heureux que notre amour de la musique soit si important ; cela nous a permis de nous réunir aussi bien physiquement que musicalement.

En fin de compte, Bandwith assume complètement votre héritage jazz. Vous êtes toujours fanatiques de SUN RA et de l’ART ENSEMBLE OF CHICAGO ?

PS : Bien sûr, et de beaucoup d’autres encore, comme Miles DAVIS, sans parler de HENRY COW, et le progressif européen et que sais-je encore !

TS : Je suppose que vous faites allusion aux titres Sam’s Room et Essay R.

En effet … :o)

TS : Chacun de ces titres sont inspirés du jazz. Je pense que si nous sommes capables d’un tel résultat, c’est en partie grâce aux nombreuses années d’improvisations que nous avions accumulées auparavant. Pour finir, nos improvisations passaient pour des chansons à nos yeux. Nous faisions attention à l’atmosphère générale qui s’en dégageait et nous y ajoutions les idées qui avaient fait leur apparition au cours de nos séances d’impro. Nous étions arrivés à un tel stade que nous étions capables de créer une chanson sur le tas. Par exemple, Peacocks, Leopards & Glass (le seizième titre de Chronometers) était une improvisation totale dénuée de toute intention d’être immortalisée ; si l’enregistreur n’avait pas fonctionné ce soir-là, vous n’auriez probablement jamais pu entendre cette chanson. À jamais perdue dans le néant !

DN : Oui, j’écoutais énormément Charles MINGUS au moment d’écrire Essay R. J’aime toujours autant l’ART ENSEMBLE, Anthony BRAXTON, Ornette COLEMAN, etc.

Oreilles américaines matinales

Y a-t-il un artiste contemporain (de la scène jazz de préférence, ou sinon qui que ce soit d’autre) dont vous vous sentez proches ou avec lequel vous aimeriez travailler ? Par moment, la musique des MUFFINS n’est pas si éloignée des travaux de Tim BERNE, Ellery ESKELIN ou Ken VANDERMARK.

PS : Je ne connais aucune des personnes dont vous me parlez. Mais j’aimerais jouer avec quelqu’un comme PRINCE, ou encore avec Fred FRITH. Qui sait ?

TS : Je l’ignore. Ma fille âgée de dix-sept ans pense que ce serait sympa si je pouvais jouer avec CREED ou STAIND. J’aime jouer avec les MUFFINS, quant à m’imaginer avec qui je pourrais jouer à l’avenir, je n’en ai pas la moindre idée.

CREED ? Le groupe grunge ? Ce serait bizarre ! Mais si cela ferait à coup sûr plaisir à votre fille, j’ose croire que ce serait un mauvais choix pour vous. D’autant qu’ils sont en nette perte de vitesse. Ils ont eu du succès aux États-Unis mais ne sont jamais parvenus à percer en Europe. À l’inverse, je pense que ce serait plutôt eux qui pourraient tirer profit de votre présence ! :o)) Et si vous ajoutez « le » au nom du groupe vous obtenez CREEDLE, un super quartet américain qui mélange musique rock, jazz et même musique klezmer. Ce serait plus dans vos cordes. Vous les connaissez ?

TS : Non, je n’ai jamais rien entendu de CREEDLE. Mais vous avez raison à propos de CREED ; je vais devoir refuser leur offre, je ne pense pas que je puisse coller à leur univers. Je pourrais à la limite faire une ou deux sessions studio, avant de me laver les mains, juste pour contenter ma fille ! :o)

Qu’en est-il de votre autonomie et de votre indépendance ? Est-ce que la mauvaise expérience Random Radar Records vous a définitivement retiré l’envie d’être propriétaires de votre propre firme de disque ?

PS : Pas moi ! Steve F. fait un boulot de dingue pour nous, il se plie en quatre, et c’est son boulot. Alors, c’est toujours bien d’avoir comme partenaire quelqu’un d’aussi professionnel qui est aussi un ami.

TS : Cuneiform fait beaucoup de choses pour nous. Je n’ai vraiment pas envie de devenir directeur d’une firme de disques. J’aime jouer en concert, enregistrer, produire des disques. La promotion, c’est pas mon fort.

Est-ce parce que Cuneiform s’occupe très bien de vous que vous avez décidé de « rester chez vous » ?

PS : Rester chez nous ? Voir notre musique publiée par Steve nous stimule d’autant plus et nous motive à travailler de plus belle.

TS : Tant que Cuneiform fera un aussi bon boulot pour tous ces groupes progressifs, je ne vois pas l’intérêt d’aller voir ailleurs.

Cela ne pose, bien évidemment, aucun problème. Cuneiform est juste une petite firme dans l’industrie du disque. Ils font du bon boulot, tout le monde est d’accord là-dessus, mais ne pensez-vous pas que vous mériteriez peut-être une plus large couverture promotionnelle que celle que Cuneiform peut vous fournir ? Est-ce que le label est bien représenté et bien distribué aux États-Unis (en Europe, peu de magasins de disques ont, de stock, des titres de leur catalogue) ?

TS : Les plus gros labels bouffent la plus grande partie de votre « âme » si je puis dire. Ils peuvent vous aider tout en vous faisant dans le même temps beaucoup de tort. Vous touchez ainsi plus de gens, mais vous ratez aussi peut-être votre cible. Cuneiform n’est peut-être pas représenté dans tous les magasins, mais ils mettent un point d’orgue à vous payer dans le mois après la publication de votre disque. C’est un fameux avantage et j’apprécie cette loyauté.

Parenthèses

Vous avez dédié Bandwith à Rick BARSE, membre fondateur des GRITS, un groupe qui fut autrefois publié par Random Radar Records, puis par Cuneiform, tout comme vous. Mis à part l’album en concert posthume, Rare Birds, le lien entre les deux groupes n’est pas si évident. Apparemment, il était plus important qu’on aurait pu l’imaginer. Pouvez-vous nous en parler ?

PS : Les GRITS ne furent jamais publiés sur Random Radar. Les GRITS eurent une grande influence sur nous et nous ont toujours soutenus. Mon premier concert avec les MUFFINS, c’était en première partie d’un de leurs concerts, le 2 octobre 1976. Amy TAYLOR, qui faisait partie des GRITS et qui est l’épouse de Rick, a même participé à Bandwith.

TS : Les MUFFINS et les GRITS étaient amis, on comptait les uns sur les autres. Nous avons joué ensemble au moins une fois, mais c’est surtout une histoire d’amitié.

Cette influence n’est pas si évidente, surtout si l’on se base sur le posthume As the World Grits. Rare Birds serait peut-être le seul à pouvoir nous donner une image plus ou moins fidèle du groupe, mais on dirait qu’il manque comme une pièce du puzzle. Vous avez une idée à ce propos ?

DN : Les GRITS furent pour moi une grande source d’inspiration, et en particulier Rick BARSE en tant que compositeur. Écoutez certaines de ses plus anciennes compositions sur As The World Grits – de belles mélodies !

Qu’en est-il de votre projet vidéo ? Verra-t-il le jour ? Pourquoi une vidéo ? Vous pensez que MTV va vous programmer en boucle ? :o))

PS : Qui sait ? On doit d’abord réunir le matériel nécessaire. Je sais qu’un gars du nom de Jim LIVINGSTON, du Maryland, a en sa possession deux témoignages vidéos de nos prestations en concert fin des années 1970 sur cassette Betamax, et je cherche à rentrer en contact avec lui. Coucouuuu Jim ???

TS : Ouais, peut-être quelque chose sous forme de documentaire plutôt. Nous avons la technologie adéquate pour pouvoir mettre ces extraits vidéo sur nos disques audio. On verra d’abord ce avec quoi l’on pourra travailler et puis seulement on prendra une décision.

Comme une machine qui ne fonctionne que quand elle marche

Vous travaillez pour le moment sur du nouveau matériel. Est-ce que de nouvelles directions se dessinent ? Continuerez-vous sur la lancée de Bandwith ou pensez-vous que ce sera un retour vers du R.I.O. ? « Ni l’un ni l’autre » pourrait être la réponse idéale. :o))

PS : Qui vivra verra ! :o)

TS : J’ai déjà trois titres complets et Dave en a quatre prêts à être répétés et enregistrés. Lui comme moi avons encore des tas d’autres projets en cours. Avec tout ce que l’on a accumulé, je peux dire qu’il s’agira d’une étape supplémentaire après Bandwidth. Mais je ne pense pas pour autant qu’on reviendra à une formule R.I.O.

DN : Nous sommes déjà bien occupés à préparer notre prochain album. Paul et moi-même avons déjà travaillé sur quelques premiers jets de six ou sept titres, et qui sonnent assez bien. Nous sommes en train d’en apprendre cinq autres afin de les répéter et de les enregistrer. On aimerait cette fois travailler un petit peu plus en studio. Mais comme toujours, notre priorité reste l’aspect mélodique.

Peux-t-on dire que ce style R.I.O. pour lequel vous fûtes reconnus a été guidé par la présence de Fred FRITH lors de vos derniers enregistrements ? Et donc, pourrait-on dire, enfin, que les MUFFINS ne sont pas un groupe R.I.O. mais juste…les MUFFINS ! :o))

TS : Oui, je n’ai jamais apprécié cette étiquette, d’autant que la musique que je joue n’est pas en opposition [avec quoi que ce soit]. Je n’ai jamais été un jeune homme révolté et je ne comprends pas pourquoi les gens se servent de leur colère pour tenter de changer les choses. Je ne pense pas que Fred FRITH soit responsable de ce malentendu, je pense en contrepartie que c’est Chris CUTLER qui a aidé à officialiser ce genre. Du coup, il serait peut-être plus approprié de le lui demander. Mais je ne peux blâmer personne pour cela. Effectivement, nous sommes juste les MUFFINS. Et on est meilleurs cuits à point ! :o)

Pour Loveletter #1, on a pu s’apercevoir que vous êtes venus jouer à Rome, en Italie. Y a-t-il des chances que vous puissiez vous produire en France ou en Belgique ?

PS : C’est uniquement dû au fait que le Knitting Factory avait un contact avec le Festival de la Villa Celimontana. Les promoteurs sérieux peuvent prendre contact avec nous. Nous irons n’importe où !!! :o)

TS : Nous avons besoin de promoteurs pour établir des contacts un peu partout en vue de faire une tournée. Les gens doivent acheter nos disques pour susciter l’intérêt dont ces promoteurs ont besoin pour pouvoir investir dans une tournée. Donc, continuez à acheter nos disques en espérant que la France et la Belgique pourront s’ajouter à la liste des pays où les MUFFINS auront été se produire. On fera de notre mieux.

En ce qui me concerne, j’ai fait ce que j’ai pu, je pense. Mais j’en veux toujours davantage ! :o)

TS : Je voudrais vous remercier pour votre investissement réel dans cet entretien. Les questions que vous nous avez soumises démontrent un réel intérêt et un grand professionnalisme auprès de vos lecteurs. C’est admirable.

Entretien réalisé par Domenico Solazzo

– Photos : Shawn Pruitt et X

THE MUFFINS – Loveletter #1
(Contorted)

Un mot d’amour. Une carte de visite. Un signe, enfin, un signe ! Les MUFFINS sont de retour, et cet avant-propos qui précède d’une année le très attendu album du retour, Bandwith, nous rend le sourire, sans forcer, dans une période si trouble. Qu’il est bon d’entendre l’énergie, l’entrain, la vigueur, la fougue, la passion dont ces quinquagénaires sont animés. Pourtant, s’il y a bien une chose dont l’amateur de musique apprend à se méfier, ce sont les réunions sur le tard de vieilles formations issues de l’âge d’or, souvent synonymes d’un besoin pécuniaire à peine dissimulé. Non. Ce retour-ci est grandement justifié. En fait, c’est comme s’ils ne nous avaient jamais quittés, les MUFFINS. Quel groupe ! Quel bienfait ! C’est le bonheur total, parce que, si chacun d’entre eux ont éprouvé le besoin de revenir sur le devant de la scène, il serait grand temps pour nous tous de nous rendre compte à quel point nous avons besoin d’eux. Rarement, le rapport entre musicien et auditeur fût équitable à ce point.

Loveletter #1 (à quand les autres ?), en une demi-heure et neufs titres, résume tout ce dont nous sommes en droit de nous attendre des MUFFINS ; huit titres en concert dont deux à Rome et quatre issus de leur prestation exceptionnelle au Knitting Factory de New York en 1998. Deux titres (These Castle Children et Under Dali’s Wing) de l’oblique et injustement oublié <185>, produit à l’époque par Fred FRITH – qu’ils retrouvaient sur Gravity – un extrait de leur pièce de résistance, Captain Boomerang, en clôture et pas moins de quatre impros où Dave NEWHOUSE confirme que si, désormais, son instrument de prédilection est le saxophone soprano, il n’a pas pour autant perdu la main aux claviers.

Pour But Not for Others, issu des sessions studio du prochain album, comme pour la plupart des titres présentés ici d’ailleurs, l’accent est mis sur l’aspect improvisé, suite logique de la démarche entreprise par les MUFFINS avant un arrêt forcé au début des années 1980.

Mais ce n’est pas tout ! Comme cadeau, ils nous livrent une version expéditive et très respectueuse du Nan True’s Hole du second MATCHING MOLE, histoire de bien faire comprendre d’où ils viennent à tous ceux qui en sont encore à leur premier contact avec la musique des MUFFINS.

Toujours aussi flamboyante, lyrique, aventureuse, généreuse, ces quelques titres sont de très bon augure pour la suite et nous rassurent quant à une éventuelle méforme de ces quatre musiciens hors pairs. Nous voilà soulagés. Et vous voilà assurés du retour triomphal du ténor de la scène canterburyenne et jazz d’avant-garde en provenance des États-Unis.

THE MUFFINS – Bandwith
(Cuneiform/Orkhêstra)

Après ce Loveletter #1 prometteur que l’on n’attendait plus, apparu en 2001 comme une mise en bouche, et après vingt ans de mise entre parenthèse, le nouveau MUFFINS, Bandwith, voit enfin le jour. Alors, est-ce un grand cru ?

Je serais malheureusement tenté de dire non. Attention, ce n’est pas de la piquette, bien sûr. Il tient bien en bouche le dernier MUFFINS. Son arôme caractéristique est bien présent, mais il ne flatte pas le palais comme on aurait pu s’y attendre ou comme on l’aurait voulu. Nos quatre compères se retrouvent donc pour un album qui n’a pourtant ni l’approche canterburyenne du mythique Manna / Mirage, ni celle plus obscure et expérimentale d’un <185>.

Walking the Duck, qui ouvre l’album, et que l’on trouvait déjà sur Loveletter #1, fait pourtant office de trait d’union entre leur passé et ce présent qu’ils sont en train de graver ; on le doit en grande partie à ce son de basse proéminent caractéristique joué par Billy SWANN. Mais à l’avant-plan, c’est un groupe tout orienté vers les cuivres qui nous prend d’assaut, dans une forme assez classique et inattendue.

YouTube player

Plus loin, avec World Maps, la guitare acoustique fait son entrée, autre signe flagrant d’un renouveau en guise de refonte totale. Et plus on avance dans le disque, plus le constat est là : les MUFFINS ont fini de s’embarrasser d’étiquettes inutiles. Ils sont ici pour jouer et non pas pour paraître. Inutile donc d’aller plus loin dans la dissection de ce qu’aurait pu ou aurait dû être l’album.

Contentons-nous plutôt de dresser le portrait de ce qui nous a été donné d’écouter : Bandwith, malgré sa plastique lisse et épurée, assume enfin pleinement l’héritage jazz du groupe et se fond donc tout entier dans cette esthétique. La présence du tromboniste Doug ELLIOT en renfort quasi permanent accentue l’aspect big band développé par Tom SCOTT (aux saxophones soprano et alto, flûte et clarinette) et Dave NEWHOUSE, troquant plus souvent son clavier au profit des saxophones ténor et bariton, flûte et clarinette également.

On ne peut s’empêcher toutefois de regretter un disque aux contours trop propres qui semble seulement vouloir se pencher sur des prises de risques déjà toutes mesurées. People in the Snow et Out of the Boot sont peut-être les seuls titres à posséder des traces de leur fougue d’antant (le chassé-croisé des cuivres, les gammes obsédantes et cette basse toujours). East of Diamond, avec le soutien aux violons de Amy TAYLOR, Amy CAVANAUGH et Kristin SNYDER passe presque pour du WEATHER REPORT, à la mode A Remark You Made, superbe, mais pour un exercice de style peut-être un peu gratuit.

Quand le disque se referme sur le long piano solo de 3 Pennies, on se dit qu’on est tout de même content d’avoir renoué le contact avec ce superbe groupe. Mais aussi qu’en vingt ans bien des choses ont changé. À plus de quarante ans, on ne caresse peut-être plus l’envie de faire le fou, mais celui de s’arrêter un instant et de regarder le monde autour de nous.

Domenico Solazzo

Discographie THE MUFFINS :

*  Manna / Mirage (Wayside, 1977)

<185> (Cuneiform Records, 1981)

Chronometers (Cuneiform Records, 1993)

*  Open City (Cuneiform Records, 1994)

Loveletter #1 (Contorted, 2001)

Bandwith (Cuneiform Records, 2002)

Site Internet : http://www.themuffins.org

(Article original publié dans
TRAVERSES n°12 – décembre 2002,
sauf chronique CD Loveletter #1,
publiée dans TRAVERSES n°10)

THE MUFFINS au Festival Rock in Opposition France Event 2009 (Carmaux/Le Garric)

THE MUFFINS en 2009, c’est donc le même groupe qu’au moment de votre séparation ?

Oui, c’est le même groupe. L’avantage, c’est que les répétitions demandent moins de temps !

Est-ce que vous vous sentez affiliés au Rock in Opposition ?

Oui, beaucoup. Nos influences sont très fortement marquées par la scène européenne, notamment jazz. Lorsque Paul est arrivé dans le groupe, en 1976, le groupe jouait la musique de HENRY COW. Lorsque le mouvement Rock in opposition est apparu, nous avons apprécié cette grande marmite où bouillaient ces différentes inspirations musicales. La musique qui existait aux USA à cette période n’était intéressante et nous étions tournés vers l’Europe. Nous achetions dans notre boutique de disques des imports de musique Rock in Opposition, Canterbury, etc.

Est-ce que votre musique d’aujourd’hui est une synthèse de l’évolution de votre musique entre vos début et une présence plus forte des claviers, très Canterbury, et maintenant, plus marquée par le saxophone et la rythmique plus punk ? Ou est-ce que vous reprenez à 1981, date où vous vous êtes séparés ?

SOFT MACHINE, HATFIELD AND THE NORTH, NATIONAL HEALTH, HENRY COW, ETRON FOU LELOUBLAN, STORMY SIX, nous avons été marqués par ces groupes et nous les aimons toujours. Ils forment notre squelette musical à partir duquel nous jouons notre rock ou notre jazz sans que nous nous posions la question de notre style musical. Nous écrivons ce qui nous vient sans préméditer de rentrer dans un style plutôt qu’un autre.

Que pouvez-vous nous dire de votre collaboration avec Fred FRITH sur l’album Gravity son deuxième album solo dont vous partagiez une face entière, et ‹185› votre deuxième disque qu’il a produit ?

En 1976, il y avait déjà un contact avec Fred FRITH et Chris CUTLER parce qu’il y avait une adresse de contact sur le premier album de HENRY COW. Nous avons écrit. À l’époque, un duo Fred FRITH/Lol COXHILL avait été publié sur une compilation du label qui préfigurait Cuneiform Records : Random Radar Records. Comme c’était notre label, cet échange a été favorisé. La première fois que nous avons vu Fred FRITH, c’était en 1978 à New York, pour un concert qu’il faisait dans le cadre du Zu festival, organisé par Gorgio GOMELSKY, avec Billy (SWAN), Peter BLEGVAD, Chris CUTLER, Daevid ALLEN… Nous avons sympathisé avec lui.

À cette époque, HENRY COW venait de se séparer et Fred FRITH envisageait de rester à New York et l’idée de collaborer sur un disque entre nous est venue. Il nous a d’abord invité sur son deuxième disque, Gravity, puis l’idée est venue qu’il produise notre album ‹185›.

Tom, nous t’avons vu jouer de plusieurs saxophones, certes, mais… pieds nus ! Peux-tu nous dire pourquoi ?

Tom (rires) : Parce que c’est plus pratique pour jouer des pédales d’effets. Et si je joue en short, c’est parce qu’il fait chaud sur scène ! (rires) Les effets sont importants pour varier le son, sortir du son du quatuor qui étende la palette sonore du groupe.

Billy, tu as apporté une dimension plus punk et plus free au groupe, qui a été décisive dans l’évolution de la musique du groupe.

Billy : Mes groupes préférés sont Jimi HENDRIX et JEFFERSON AIRPLANE. Et mes racines musicales sont aussi la soul et le blues. SOFT MACHINE est le groupe qui nous réunit tous. Hugh HOPPER m’a fortement inspiré dans son jeu de basse saturé. Je joue de la basse comme d’une guitare juste pour impressionner Steve (FEIGENBAUM de Cuneiform/Wayside, présent dans la salle) ! (rires)

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous reformer après une rupture de 18 ans, reprise qui est maintenant effective depuis 10 ans ?

Tout est parti d’une mystification de Paul qui racontait partout par e-mail que les MUFFINS allaient se reformer, ce qui n’était pas le cas. Mais il avait déjà trouvé le titre du prochain album, Bandwidth, et nous nous sommes pris au jeu. Nous avons réservé une salle à Washington DC pour monter un premier concert. Nous avons découvert, au moment de jouer, que c’était comme si toutes ces années ne comptaient pas : nous avions l’énergie de nos débuts !

Depuis Bandwidth, il y a eu deux autres disques. Dans le dernier, Loveletters #2, vous jouez avec deux membres du SUN RA ARKESTRA. Ce doit être la réalisation d’un rêve, non ?

Cuneiform a joué un rôle très important dans la reformation du groupe puisque le label avait réédité nos anciens albums ainsi que des documents d’archives. Nous avons découvert sur internet qu’il y avait des gens qui étaient encore intéressés par le groupe. Nous avons été mis en contact avec Marshall ALLEN par une relation. Un nouveau SUN RA ARKESTRA avait été mis sur pieds et commençait à re-tourner et une collaboration s’est ainsi faite sur deux disques.

Paul m’a dit hier qu’il n’était pas satisfait de Manna/Mirage, votre premier disque. Êtes-vous satisfaits de vos premiers albums ?

Manna/Mirage était un disque « work in progress » dont la gestation a duré un an. Il est très différent des autres albums, composé entièrement, et Paul le trouve peu spontané. 185 a été enregistré après que nous l’ayons joué longtemps en concert. Nous étions rodés et prêts. Le pressage vinyl d’origine de Manna/Mirage était médiocre et il y a eu un énorme travail de remastering pour la réédition Cuneiform, ce qui fait que Paul l’aime mieux maintenant, car il y a une véritable amélioration.

Nous débutions dans la science de l’enregistrement et de la production de disques. Outre le fait que nous avons bricolé la pochette, le magnéto était un huit pistes, ce qui était insuffisant. Nous trichions alors pour exploiter au maximum les blancs qui restaient ça et là et sur lesquels nous pouvions enregistrer un bout d’instrument. Les bandes de Manna/Mirage sont presque du collage. Il n’y a guère que la batterie qui a sa propre piste. L’amateurisme du résultat est lié aux moyens de l’époque et nous sommes quand même fiers du résultat.

Je suis entièrement d’accord avec cette appréciation ! Sur un autre sujet, arrivez-vous à trouver des dates de concerts ?

Oui, essentiellement des festivals. Il y a une salle près de chez nous, à Baltimore, où PRESENT a enregistré son album Live et nous y jouons régulièrement. Nous y avons joué la semaine dernière pour préparer le concert d’aujourd’hui.

Dans le CD ‹185›, il y a des bonus qui sont des versions alternatives aux versions originales. Ce sont, en fait, les versions sans le traitement radical de Fred FRITH. Pourquoi ce choix ?

Fred FRITH est un gars très créatif. Il venait de travailler avec les RESIDENTS et avait appris à utiliser le studio comme un instrument. Il utilisait plein d’effets tels que l’écho, l’harmonizer, les vitesses de bande, etc. Quand le disque est sorti, les gens l’ont trouvé génial, mais ils nous demandaient pourquoi on ne reconnaissait pas vraiment les MUFFINS. Aussi, quand nous avons parlé de rééditer ‹185› en CD, des membres du groupe et des personnes extérieures ont suggéré d’inclure les chansons brutes. Cela ne concerne pas les improvisations. Les deux versions ont leur intérêt.

Des informations sur le nouvel album à venir ?

Oui, il s’appellera Palindrome. Il est presque terminé.

D’où vient votre nom THE MUFFINS ?

Nous vivions tous ensemble dans une maison dans la banlieue de Washington. Nous avons fait la pendaison de crémaillère. Nous nous interrogions sur le nom du groupe au moment où une amie est arrivée avec un plat dans les mains et nous dit : « Les Muffins sont là ! ».

Avant de finir, nous souhaitons préciser au public que nous avons un peu dépassé le temps qui nous était imparti au concert, ce soir, et nous n’avons pas fait de rappel, car il n’aurait pu durer plus de deux minutes. Nous souhaitons remercier le public et le festival pour cette première fois où nous venons en France. C’est merveilleux de voir qu’il peut exister un festival comme Rock in opposition avec un public de connaisseurs.

Conférence de presse animée par Aymeric Leroy et retranscrite par Frédéric Vion
– photos : Frédéric Vion
(Article original publié dans TRAVERSES n°27 – décembre 2009)

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