Meriadec GOURIOU – Meriadec Gouriou
(Autoproduction)
Meriadec GOURIOU est un accordéoniste diatonique lorientais. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Non mais revenez sur cette page ! Vous avez honte ? De quoi ? Ne me dites pas que vous en êtes encore à considérer l’accordéon avec cette condescendance méprisante qui ne voit en lui que le « piano du pauvre » tout juste bon à ambiancer les guinguettes et les bals musette sur une mauvaise sono ? Il y a belle lurette que cette boîte à soufflets a imprégné moult formes d’expressions musicales, qu’elles soient classiques, savantes, populaires, acoustiques, électriques, expérimentales et plus encore avec toutes sortes d’affinités ! Meriadec GOURIOU est de ces musiciens qui ont poussé la pratique de leur instrument hors des codes stylistiques établis, qu’ils soient traditionnels, classiques ou contemporains. Meriadec GOURIOU n’est ni un folkeux, ni un classieux, ni un rockeux, ni un jazzeux ; il est Meriadec, et sa musique ne ressemble qu’à lui. Et il y a fort à parier que beaucoup, en écoutant sa musique, auront l’impression d’être projeté dans un « autre monde ».
Du reste, Another World était précisément le titre de son second album auto-produit paru en 2008, soit six ans après son premier méfait discographique, judicieusement nommé La Boîte du diable. (Ça a quand même plus de gueule que piano du pauvre comme surnom, non ?). Son troisième album avance autant sans filets que sans titre, sinon éponyme. Mais d’un monde à part il relève indubitablement.
Et ce monde à part, il ressemble à quoi ? À en juger par les attaques volontiers frénétiques et possédées de Meriadec sur son dépliant, les pulsations chtoniennes qu’il imprime sur son soufflet, martelant une rythmique percussive de sa main gauche, tirant la mélodie à hue et à dia de sa main droite, il y a dans le jeu de Meriadec GOURIOU une tendance incantatoire et une marque de possession qui se gausse des à-prioris et des conventions. En bon chamane défroqué ou en bon ronin franc-sabreur, Meriadec GOURIOU ne se contente pas de jouer proprement des airs d’accordéon, il génère des transes sonores au pouvoir hypnotique immédiat.
L’accordéon diatonique est pour Meriadec comme une extension de son propre corps, une caisse de résonance de ses émotions les plus profondes, les plus entières, les plus indomptables. Aux sons généreusement fougueux et volubiles qu’il tire de son branle-poumons, il y ajoute volontiers le son de sa voix. Mais là encore, nuance : Meriadec GOURIOU ne chante pas des chansons ; il s’exprime vocalement. Et de préférence dans un sabir « borborygmatique » qui se fait l’écho d’une complainte primitive, d’une mélancolie originelle, d’une douleur fébrile, d’un cri exalté, d’une joie inconditionnelle…
Meriadec GOURIOU est sans doute seul à faire ce qu’il fait, mais ça ne veut pas dire qu’il tient nécessairement à jouer constamment seul. Depuis plusieurs années, il joue accompagné par un guitariste dont le jeu est quasi-osmotique avec celui du piano à bretelles de Meriadec. Ce guitariste, c’est Rudy BLAS, qui a fait bénéficié de son concours des groupes comme BADUME’S BAND et MAGMA. On l’entendait déjà sur l’album Another World.
Et à votre avis, c’est par hasard si l’on entend aussi sur ce disque un certain Marc DELOUYA à la batterie ? Un membre actuel de MAGMA, un ancien membre d’OFFERING… On ne choisit pas pareils compagnons d’expédition par hasard… Oui, l’approche musicale de Meriadec GOURIOU relève du même type d’engagement que celui d’un Christian VANDER ; oui, l’autre monde de GOURIOU peut être appréhendé comme un satellite de Kobaia !
Mais Meriadec ne fait pas du VANDER à la lettre. De la « musique zeuhl », il en garde la substance, l’intention, la puissance émotionnelle, la dynamique intransigeante. Mais la musique de Meriadec GOURIOU a une marque aussi unique qu’intraitable. Elle ne s’épanouit que hors des sentiers battus, hors des courants dominants, fussent-ils avant-gardistes ou « avant-progressistes ».
Sur ce troisième album aux grandioses couleurs sous-marines, Meriadec GOURIOU est une fois encore accompagné par Rudy BLAS à la guitare et à la basse. Et une fois encore, l’osmose clavier/cordes fait des étincelles. Mais cette fois, le troisième larron est un autre maître des vents, trompettiste, joueur de bugle et de conques, qui s’appelle NOUNOURS. Et celui-là n’est pas du genre à vous souhaiter « Bonne nuit les petits », mais plutôt à vous enjoindre de garder vos sens en éveil.
Difficile de toute façon de somnoler à l’écoute de cette véritable déflagration folk-zeuhl ardente et radicale qu’est Robertay, de cette chevauchée haletante et métallique qu’est Adonai, de cette course rageuse et bouillonnante qu’est Alive, et de ces autres griseries véhémentes un rien… Borderline. Mais l’intensité vibratoire ne faiblit pas même quand le tempo ralentit, que ce soit dans cette lamentation déchirée aux relents de tango dégingandé qu’est Didi, dans cette mélopée meurtrie qu’est Hystéro, ou dans cette valse radieuse et insouciante qu’est Amaterasu.
Les connaisseurs de l’œuvre de Meriadec GOURIOU retrouveront ici certaines compositions déjà entendues sur ses précédents albums, mais revisitées et transformées par les apports de Rudy BLAS et de NOUNOURS, qui leur insuffle une nouvelle dynamique, d’autres reliefs. L’élégiaque Sous-Terre réapparaît dans une version écourtée, mais non moins touchante et imprégnée d’une amertume indélébile. Le Temps qui passe se retrouve pour sa part plus étiré (forcément…), soulignant ainsi davantage son air contrit en proie aux chavirements.
Enfin, l’album s’achève sur une relecture de Helio Smith qui, de thème instrumental qu’il était dans Another World, devient support à une confession sentencieuse : « C’est dans un cri, c’est dans une danse qui je viens vous conter mes errances. Je suis parti plein d’insouciance afin de trouver mon existence. Seul dans la nuit, je panse pas à pas mes souffrances. » Pour une fois qu’il les utilise, les mots de Meriadec GOURIOU transpirent d’une force existentielle qui laisse pantois. Nous buvons ses paroles, ses mélodies, ses sons, et nous nous retrouvons hébétés, troublés et rassérénés tout à la fois.
Avec sa boîte à frissons et ses complices, Meriadec GOURIOU est cet « exilé dans le tourbillon de la vie » dont la musique agit comme un poumon essentiel à la poursuite de l’existence, comme un rituel exorciste qui reverdit les racines de l’être humain.
Stéphane Fougère
Cet album autoproduit, disponible en formats CD et LP, est distribué par Soleil Zeuhl et est disponible sur discogs.com et cdandlp.com ou est disponible sur le site de l’artiste.
Site : https://meriadecgouriou.com/