MOSCOW COMPOSERS ORCHESTRA & SAINKHO – Portrait of an Idealist

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MOSCOW COMPOSERS ORCHESTRA & SAINKHO – Portrait of an Idealist
(Leo Records / Orkhêstra)

Depuis presque deux décennies maintenant, le MOSCOW COMPOSERS ORCHESTRA porte le flambeau d’une nouvelle musique russe contemporaine et improvisée qui serait au jazz plus classique ce que, en Europe, le Rock in Opposition a été au rock plus conventionnel. S’inscrivant dans la tradition du big band, très populaire dans le bloc de l’Est, tout en incarnant une forme de réaction vis-à-vis des formes musicales convenues, cette formation à géométrie variable mais qui compte en moyenne une bonne dizaine de membres a développé une orientation résolument frondeuse, bien décidée à incarner artistiquement le renouveau insufflé par la Perestroika du début des années 1990.

Cette période troublée, qui a vu la nation russe chavirer entre chaos et changement, a ouvert un terrain fertile propice à l’activisme musical, et Nikolay DMITRIEV compte parmi les personnalités grâce auxquelles une « autre musique » a pu perdurer et a même son temple, le fameux Dom Club, à Moscou. En l’occurrence, le MOSCOW COMPOSERS ORCHESTRA, aujourd’hui dirigé par le pianiste anglo-russe Vladimir MILLER, est redevable à Nick DMITRIEV d’avoir vu le jour et de continuer à vivre durant toutes ces années difficiles, et même d’avoir pu se produire hors des frontières russes. (C’est ainsi que le public français a pu découvrir ce « free big band » lors de l’édition 1998 du Festival MIMI.)

L’ Idéaliste dont cet album se targue de faire le portrait, c’est évidemment DMITRIEV, dont la disparition en 2004 a créé un affreux choc dans la sphère du jazz avant-gardiste russe. Mais à l’origine, le projet rend aussi hommage à une autre figure marginale, le poète et écrivain Danill KHARMS, mort dans la cellule psychiatrique de la prison de Leningrad en 1942. EN 1998, le MCO avait déjà conçu un répertoire basé sur les travaux littéraires de KHARMS, ce dont témoigne le très rare album Kharms – 10 Incidents, publié en 2007.

Portrait of an Idealist reprend certains de ces thèmes, auxquels s’ajoutent des poèmes d’une collaboratrice de longue date du MCO, la vocaliste Sainkho NAMTCHYLAK. Cette dernière n’est pas Moscovite, pas même exactement Russe, puisqu’elle est originaire de la République de Touva, l’une de ces républiques devenues autonomes après l’effondrement de l’empire soviétique en 1991. Touva est connu pour être, sur le plan musical, le creuset d’une pratique vocale subjuguante aux origines lointaines, le « khöömei », ou chant diphonique, ou encore chant de gorge, popularisé par des groupes comme HUUN-HUUR-TU, YAT-KHA ou SHU-DE.

La particularité de SAINKHO est de ne pas s’être cantonnée à une expression néo-folklorique et d’avoir développé une grammaire vocale libre et audacieuse qui a fait d’elle une figure illustre de la scène expérimentale asiatique, voire de l’improvisation vocale mondiale tout court, aux côtés de Phil MINTON, Iva BITTOVA, Annick NOZATI, Beñat ACHIARY, et autres. (Écoutez ses albums solo Lost Rivers et Aura, et tâchez de vous persuader que ces sons proviennent d’une voix humaine !) Sa propension pour la contorsion glottale, profuse en hululements, grognements, vagissements et râles divers, ne pouvait que trouver un écho complice dans les assauts libertaires des masses timbrales du MCO.

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Portrait of an Idealist n’est guère que la sixième collaboration discographique entre SAINKHO et le MCO, et véhicule une certaine idée du free-jazz post-moderniste russe, mais – comme le nom du groupe l’indique – orchestré et composé, à la fois raffiné et sauvage, cultivant même une théâtralisation dadaïste, et dont l’orchestration amplement colorée (piano, violoncelle, contrebasse, basson, trompette, saxophone, clarinette, flûte, percussions) rend patente l’inspiration du folklore russe et sibérien, sans parler bien sûr des techniques vocales de SAINKHO.

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Par moments, on pense même à une sorte de HENRY COW avec Dagmar KRAUSE mais qui aurait fusionné avec le « brass band » de Mike WESTBROOK (remember L’ORCKESTRA ?), par exemple et qui aurait définitivement effacé les frontières entre composition et improvisation et aurait laissé tomber ses penchants rock avant-gardistes pour privilégier un idiome entre jazz libre et musique contemporaine. À leur manière, le MOSCOW COMPOSERS ORCHESTRA et SAINKHO cultivent un « jazz in opposition » chargé d’histoire autant que de vibrations buissonnières.

Stéphane Fougère

Label : www.leorecords.com

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°26 – Août 2009)

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