Nayan GHOSH / Paul GRANT / Ross DALY / Bijan CHEMIRANI – Naghma
(Ethnomad/Arion)
En général, chaque volume de la très recommandable collection Ethnomad, créée par les Ateliers d’ethnomusicologie de Genève, met en valeur l’expression d’un artiste – ou d’un ensemble d’artistes – et d’une culture, d’une tradition bien spécifique, un peu à l’instar de la collection Cinq Planètes en France (« un artiste, un instrument »). Cette publication est la première entorse au régime « ethnomadien », puisqu’elle réunit des artistes nourris à des cultures différentes dans une perspective conceptuelle là aussi inédite pour le label suisse, celle d’un voyage dans plusieurs traditions, et ce, au sein d’un même CD. Ce n’est pas pour autant de la « world-fusion », mais plutôt une rencontre, un dialogue entre plusieurs éminences artistiques aux parcours enracinés mais diversement colorés.
Qu’on se rassure donc de suite, ce « Voyage en Orient », comme il est présenté, n’a rien d’un faire-valoir exotique clinquant. Il s’agit plutôt d’une exploration de différentes traditions musicales à travers leurs sons, timbres et rythmes, par des musiciens rompus aux échanges et aux combinaisons sonores interculturelles. Deux d’entre eux, Nayan GOSH et Paul GRANT, nous ont du reste déjà gratifiés sur le label Arion de superbes Dialogues de haut vol dans le cadre de la tradition hindoustanie (lire notre chronique). Ici, c’est avec deux experts en nomadisme musical qu’ils nous font voyager à travers des traditions allant de l’Europe méditerranéenne au continent indien.
Naghma, c’est donc un Indien aussi à l’aise au sitar qu’au tabla (Nayan GOSH), un joueur de santour et de tabla tarang né en Amérique dont la Suisse est la Terre d’adoption et les musiques orientales la passion (Paul GRANT), un multi-instrumentiste (lyra crétoise, rubab afghan, dutar, saz, tarhu…) anglais d’origine irlandaise et d’adoption crétoise (qui d’autre que Ross DALY ?) et un jeune percussionniste français d’origine iranienne, maître du zarb, ou tombak (vous aurez reconnu Bijan CHEMIRANI).
Avec ces quatre guides, nul doute que ce voyage en Orient sera grandement parfumé, voire puissamment épicé. Chaque composition de ce CD renvoie à une tradition savante précise, mais autorise l’expression d’instruments exogènes. Il est vrai aussi que certains ont déjà une nature pluri-traditionnelle ou multi-culturelle, comme le santour (Iran et Cachemire), le tabla (Inde du Nord, Afghanistan), le saz (Turquie, Asie centrale), sans parler de ces instruments modifiés (la lyra crétoise de Ross DALY), modernisés ou nouvellement créés, comme cette vièle à pointe nommée tarhu, ainsi que la lyra-tarhu, inventées par le luthier Peter BIFFIN. Naghma, c’est aussi et essentiellement une histoire de cordes et de percussions.
L’expédition débute par une pièce traditionnelle afghane (Naghma Bairami) et s’achève sur une mélodie évoquant la plaine du Gange (Bhatiyali Dhun : Boatman’s Song), mais passe entre-temps par la musique classique ottomane (Saz Semai : makam Huseyni), des danses grecques (Dipat, Syrtos de Skordalos), visite un raga nocturne rendant hommage au regretté maître du sitar Vilayat KHAN (Raga Tilak Kamod), explore un mode iranien (Avaz-e-Bayat-e-Esfahan, Shaghayeh), et ouvre un espace de rencontre irano-indien d’expression essentiellement percussive (Goftegou).
Si cette expédition préserve donc les saveurs de chaque tradition qu’elle explore, elle suggère aussi subrepticement, par le jeu des apports mélodiques et harmoniques d’autres instruments, un faisceau de résonances entre ces cultures qui se conjuguent sur le mode de l’affinité comme de la complémentarité. Dynamisme et raffinement y sont exprimés sous diverses formes et dans de multiples nuances. On espère bien que ce voyage en Orient connaîtra d’autres étapes tout aussi florissantes…
Stéphane Fougère
Sites : www.paulgrant.net
Label : www.arion-music.com
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°19 – février 2006)