‘NDIAZ – La Brune

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‘NDIAZ – La Brune
(Paker Prod)

Dans le landerneau des musiques bretonnes à danser, les groupes qui s’investissent dans une démarche évolutive, pratiquant l’hybridation des sons et des influences, ne parviennent pas toujours à subsister durablement. C’est pourquoi il faut saluer la pérennité du groupe breton ‘NDIAZ, qui est sur le point d’atteindre mine de rien sa quinzième année d’existence, toujours porté par le bureau de production armoricain l’Usinerie, pourvoyeur essentiel de « nouvelles géographies musicales » en Bretagne. Le parcours de ‘NDIAZ avait jusqu’à présent été jalonné de deux albums, le premier, éponyme, est sorti en 2013, et le second, Jas Rod, date de 2017. Le groupe y avait creusé le sillon d’une musique à danser très cuivrée nourrie d’une certaine grammaire jazz, d’influences est-européennes, sud-américaines, orientales, etc., et génératrice de transe.

La formation, demeurée stable depuis 2013, était – et est toujours – constituée de Yann LE CORRE à l’accordéon chromatique, Youn KAMM à la trompette à quarts de ton, Timothée LE BOUR aux saxophones soprano et alto et Jérôme KERIHUEL aux percussions. Autrement dit, ‘NDIAZ donnait à entendre une musique acoustique énergique et épicée de parfums d’ailleurs, sans jamais perdre sa base. Mais voici que son troisième album, La Brune, marque résolument un tournant, les quatre larrons ayant renouvelé et déployé leur mouture sonore.

Révélateur de cette métamorphose sonore est le choix de Yann LE CORRE d’utiliser notamment un Electravox, un instrument des années 1960 prenant la forme extérieure d’un accordéon mais générant des sons d’orgue, et qu’il a fait passer par des synthés, des Moog et des réverbérations de Hammond pour créer des basses assez amples. C’est indubitablement cet instrument qui sert de pivot à la nouvelle esthétique sonore de ’NDIAZ.

Ajoutez également à cela le fait que Jérôme KERIHUEL a troqué ses percussions acoustiques contre une batterie et que Youn KAMM et Timothée LE BOUR ont paré leurs trompette et saxophone respectifs d’effets électro et synthétiques, et vous obtenez une charpente amplifiée qui fait pencher la balance vers un son hérité d’un certain rock progressif.

La pièce d’introduction, qui donne son nom au disque, en étonnera plus d’un. Nous voici en effet accueillis par une ambiance psychédélique « floydienne » qui prend le temps de s’épanouir en apesanteur, avec un accordéon bourdonnant et des « beeps » science-fictionesques sur lesquels viennent s’alanguir saxophone puis trompette, à croire que ‘NDIAZ veut jouer avec les nerfs des amateurs de danse bretonne, lesquels risquent de trépigner d’impatience ! Puis, la batterie s’élance sur une boucle électro, tandis que les cuivres entament une mélodie qui rassure quant à ses racines régionales ! Pas de doute, c’est bien un « an dro » que l’on nous invite à danser ! Alors que les musiciens s’ébrouent, le tempo est stoppé net, une pause climatique s’installe, puis tout le monde repart à l’assaut.

Surgit ensuite la Horde, dans laquelle l’assaut des cuivres devrait indubitablement faire lever les prétendants à la bougeotte (d’autant que c’est une bourrée à deux temps!), à charge pour eux de ne pas s’effrayer de cette chape quasiment « métal » qui plane au-dessus de leurs têtes ! Là aussi, nous avons droit à une séquence plus veloutée aux échos expérimentaux (avec notamment une voix aux inflexions indiennes sortie de nulle part !), avant qu’une pulsation rythmique ne relance la charge. Ça tourne, ça rugit, ça groove, et ça ne rigole pas !

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L’esprit du rock progressif se décèle aussi dans le choix d’enchaîner les trois morceaux suivants (Haňv Yen, Nube de Agua et Dirheol), de manière à créer une « suite » à caractère épique. ‘NDIAZ y étale tous ses atouts en plus de ses nouveaux atours. La démarche progressive et le rendu électro n’entravent aucunement les sorties jazz, même si les soli y sont plus réduits.

Moins prédominants qu’auparavant, les « sonneurs » cuivrés savent néanmoins toujours se placer dans ce nouvel espace, leurs phrasés sinueux jouant avec les textures électro et les grooves rythmiques, et les influences folk et world continuent à transparaître dans les structures mélodiques. Quant aux thèmes, ils puisent bel et bien dans le fonds des musiques à danser de Bretagne, Haňv Yen s’avérant être un rond de saint-Vincent, et Dirheol un rond de Loudéac. Le dernier morceau, Moud, résonne à lui seul comme un mini-symphonie à plusieurs tableaux, alternant instants contemplatifs sombres et moments de liesse vindicative. C’est donc bien toujours du ‘NDIAZ qu’on écoute, mais un ‘NDIAZ qui a appris à cultiver d’autres effets, à simplifier son discours sans lui faire perdre de sa substance.

Autre point notable : là où les précédents disques avaient ouverts leurs espaces à certains musiciens invités, la Brune a convié cette fois une chanteuse, ou devrait-on plutôt dire une voix !

En l’occurrence, c’est celle de la Chilienne Paz COURT qui se fait entendre de bien étrange manière sur deux morceaux, Nube de Agua et Primera Estrella, alternant chant à texte et chant strictement vocal, en solo ou en dialogue avec les cuivres. Ses interventions sur des textures instrumentales volontiers planantes donnent encore plus de relief poétique à une musique qui ne cache plus ses ambitions narratives.

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Au demeurant, le titre La Brune ne désigne pas une personne, mais un moment de la journée qui se distingue par ses subtils changements de lumière, à savoir le crépuscule. La brune est cette bascule du jour vers la nuit, où les couleurs changent de tons, et où les êtres sociaux abandonnent les oripeaux du « sérieux » pour esbaudir leurs esprits festifs.

Réalisés par Raphaël DECOSTER, les illustrations de la pochette du CD digipack et du livret, qui prend la forme d’un feuillet se dépliant en six parties, traduisent cette métamorphose climatique par des ensembles de lignes fortes, droites ou sinueuses, et de dégradés colorés oscillant entre l’orangé à la chaleur « briquée » et le bleu nocturne aux effluves aquatiques. On est bien loin de ces pochettes conventionnelles avec ces photos des musiciens qui posent avec un sourire benêt ou un air faussement grave…

Pour les suiveurs de longue date du groupe, nul doute que cette troisième galette de ‘NDIAZ chamboulera sensiblement les repères esthétiques auxquels ils avaient été habitués. Mais quand on s’est bien imprégné de l’esprit dans lequel ‘NDIAZ aborde son travail, cette (r)évolution sonore s’avère somme toute logique, en plus de rester très crédible et inspirée. Avec La Brune, ‘NDIAZ continuera à faire bouger dans les festoù-noz, mais ne devrait pas manquer non plus de combler les salles de spectacles et de concerts en révélant une musique pluri-dimensionnelle qui provoque des secousses dans les corps tout en réveillant des émotions et en titillant les cerveaux. Voilà une Brune qu’on ne risque pas de prendre pour une « Blonde »…

Stéphane Fougère

Page label : https://www.pakerprod.bzh/artiste/ndiaz/

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