Olek YARO – Radio Phantom

14 vues

Olek YARO – Radio Phantom
(Autoproduction)

Il vous est probablement déjà arrivé, un jour de désœuvrement ou par une nuit d’insomnie, d’ouvrir votre poste de radio sans chercher à vous fixer sur un canal précis, mais juste pour le plaisir de musarder sur la bande passante des fréquences modulées, et d’y entendre des sons parasites, chaotiques, qui se chevauchent ou se font avaler, et qui vous donnent l’impression d’avoir capté des signaux émanant d’une autre dimension, d’une galaxie inconnue… Quand soudain, vous vous arrêtez sur une boucle sonore, un embryon mélodique, une rythmique hypnotique, qui semblent entrer en résonance avec votre état mental, entre une veille qui se prolonge et un sommeil qui n’en finit pas de ne pas venir, mais qui est là, tapis dans l’ombre. Vous vous laissez transporter par cette émission sonore, cette « interfréquence »… Vous découvrez un canal radiophonique qui vous était inconnu, et que vous aurez toutes les peines à retrouver plus tard. Cette station de radio existait-elle vraiment ? Ou n’était-elle qu’un fantôme de votre esprit ? C’est en tout cas une impression similaire que laisse l’écoute du dernier album d’Olek YARO, précisément intitulé Radio Phantom.

Nous avions découvert cette auteure et compositrice ukrainienne d’origine tatare via une création qu’elle avait initiée en duo avec Thierry JARDINIER, compositeur pour l’orchestre de gongs GONG SYMPHONIUM, et qui avait été baptisée TJOY. Ce projet avait été matérialisé par le disque Tonnerre de feu, qui offre un voyage sonore au sein d’une musique vibratoire, avec des textes d’Olek YARO.

Cette fois-ci, c’est en solo qu’elle s’exprime dans Radio Phantom, assurant tous les postes, de la composition aux arrangements musicaux en passant par le chant et les paroles, laissant juste la conception graphique de la pochette à Cléo SAMACHER, qui nous emporte dans un monde à la géographie lointaine mais dans une dimension mythique et fantastique.

Vivant et travaillant en France depuis 2002, Olek YARO est une artiste volontiers polymorphe qui s’est consacrée à l’écriture transmédia, après avoir été diplômée en réalité virtuelle, en psycho-analyse, mais aussi en réalisation et scénario. Ayant versé dans le photo-reportage et le documentaire d’auteur, elle a conçu des œuvres audiovisuelles, littéraires et musicales en solo ou en collaboration avec d’autres artistes. Elle a notamment co-écrit et interprété, sous le nom ARCADIA, l’album symphonique Maintenant et à Jamais avec Jean MUSY, lequel a également composé la B.O. de son documentaire éco-militant La Nuit du Grand Loup. Elle a aussi monté son propre groupe de rock progressif, OLEK BAND, ainsi qu’une formation folk-rock, OLEKTRICITY. Avant d’arriver en France, Olek YARO s’était produite sur la scène expérimentale de Varsovie, croisant le fer avec MAGIC CARPHATIANS, DEATH IN JUNE, NAKED POETRY PROJECT au Centre d’Art contemporain du Château Ujazdowski.

Et comme si la musique, la photo et la réalisation de documentaires ne lui suffisaient pas, Olek YARO est aussi autrice de plusieurs articles et ouvrages. Dans ce domaine, on lui doit une trilogie poétique baptisée Transmutations (Inscriptions Intervalles, Terre rouge et Métamorphoses), une pièce radiophonique (Le Voyage du Colibri) et un roman d’auto-fiction fantastique, Diffraction. Preuve de la porosité des champs d’expression d’Olek YARO, Radio Phantom contient trois pièces à textes (deux en anglais, Brightness et What we Give, et un en français, Échos), et ceux-ci proviennent justement de son ouvrage Inscriptions Intervalles.

Bref, ici comme ailleurs, avant comme maintenant, Olek YARO est une artiste aux identités artistiques multiples évoluant dans des mondes aussi marginaux que transversaux à travers lesquels elle explore le mythe du Sacré féminin et interroge le pouvoir cathartique des archétypes imagés. Dans Radio Phantom, elle rend plus particulièrement compte du « processus brumeux et atemporel du deuil » (sic), sans forcément verser dans le tragique et dans la « sombritude ».

Aussi facilement qu’elle passe d’une langue à l’autre, Olek YARO jongle avec différentes paysages sonores et donne à écouter sur sa « radio fantôme » un programme expérimental très coloré aux confins de l’ambient et de l’électro qui se déploie dans une dimension cinématique.

YouTube player

Entre la pop synthétique froide de Brightness et le rock « motorik » et kraftwerkien de Lucidity, Olek YARO nous projette dans des dômes cosmiques baignés de beauté obscure où se manifestent des spectres sonores et instrumentaux : des cordes, un accordéon et des « clapotis » rythmiques répétitifs dans Phantom One, des sanzas et du piano dissonant dans Phantom Two, des métallophones type gamelan, des percussions boisées et des hautbois nonchalants dans Phantom Three, des tambours solennels et des nappes chorales dans What we Give, ou des cordes frissonnantes, des vagues déchaînées, des chants harmoniques et autres froissements bruitistes dans Boatwoman’s Call, une contrebasse dansante, un orgue translucide, un archet ténébreux d’autres hautbois diaphanes et une harpe subreptice dans Échos.

YouTube player

Les architectures des tableaux sonores de Radio Phantom sont ainsi conçues de manière à nous faire flotter dans un hyperespace intérieur ou nous faire vaciller au bord du précipice de nos cellules rationnelles capitonnées.

YouTube player

Et quand Olek YARO fait entendre sa voix, c’est en mode chanté-récité, dans un registre théâtralo-dramatique qui rappelle parfois Dagmar KRAUSE. Elle n’hésite pas non plus à doubler sa voix, à en modifier le timbre, allant jusqu’à verser dans une « sépulcralité » masculine dans Échos. Cet univers fantôme radiophonique est décidément hypnotique et envoûtant, et donne l’impression de traverser des zones de rêves d’où des « voix » ancestrales cherchent à nous happer.

« Mon esprit contemple les profondeurs au-dessus des falaises ; Nager dans ce vide, glisser sur ces fils invisibles, sans aucun simulacre ; Déployer l’espace comme des ailes de chauve-souris ; Dans la métaphore de l’être qui se passe de paroles », murmure Olek dans Échos, traduisant sans peine les sensations qui s’empare de l’auditeur quand il se noie en victime volontaire dans cet océan de sons dont la luminosité lucide est pétrie d’échos science-fictionesques et de chimères visionnaires.

Il est des bandes passantes nocturnes qui offrent plus d’éclats que les ternes lumières des jours. Radio Phantom est l’une d’elles, et Olek YARO en est l’animiste animatrice qui rend imperméables les différents niveaux des réalités intimes et sidérales.

Stéphane Fougère

Site : https://olekyaro.com

Page : https://olekyaro.bandcamp.com/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.