O’TRIDAL – Live
(Paker Prod)
Et de trois, déjà, pour l’un des groupes de musiques à danser de Bretagne les plus secouants et revigorants du moment, j’ai nommé O’TRIDAL ! Après ses deux premiers disques enregistrés en studio, Karrdi Sessions (2019) et Triumvirat (2023), qui affichaient l’ambition du trio de jouer une musique bretonne dans ses fondements mais métissée d’influences plurielles d’ici et de là-bas et imprégnée d’énergie rock, O’TRIDAL s’est dit qu’il était temps de franchir une nouvelle étape en proposant un disque capté cette fois en public, publié comme ses deux prédécesseurs par le courageux et pertinent label de Concarneau Paker Prod.
Certaines mauvaises langues diront que publier un disque live après seulement deux disques studio revient à trahir un manque d’inspiration, puisque cela revient à sortir un « meilleur de » avec juste des applaudissements polis en plus. Sauf que, dans le cas d’O’TRIDAL, c’est bien plus que ça, croyez-moi ! De toute façon, quand on s’est choisi un nom de scène qui signifie quelque chose comme « exulter, exploser, jubiler, s’exalter », il faut bien le justifier ; et cet album Live y contribue dans les grandes largeurs ! Non que les albums précédents manquaient de « gniaque », mais c’est un fait : O’TRIDAL, sur scène, c’est de la bombe, et ce ne sont certainement pas les habitués des festoù-noz armoricains qui me contrediront ! En tout cas pas ceux qui étaient l’été dernier au Festival du Roi Arthur, à Bréal-sous-Montfort (une commune de l’Île-et-Vilaine, lieu où a été enregistré ce Live.
Le thermomètre grimpe bien dès le début de la performance du trio, avec cette pièce qui inaugurait déjà les Karrdi Sessions, Temple Tuk (10-10), un an dro assaisonné de pintes irlandaises et d’ambroisies orientales qui confirme l’assise fortement charpentée dont font montre la guitare de Tibo NIOBÉ, la flûte en bois de Yeltaz GUENNEAU et les percussions de Kentin JUILLARD. La mélodie jouée à la guitare aux inflexions orientales puis reprise à la flûte nous plonge dans une griserie faite de soierie indienne (on jurerait y voir danser Debra PAGET comme dans le Tombeau hindou), avant que la guitare ne vienne y injecter ses morsures serpentines, le tout mis en ébullition tribale par les percussions.
Puis O’TRIDAL se lance derechef dans une interprétation de N’a pas de rayures (extrait de Triumvirat) qui prend des dimensions épiques, puisque décliné en quatre parties totalisant seize minutes, toujours sans rayures (sauf si votre exemplaire CD est usagé, ce qui serait le comble) ! Introduit par un riff aussi tendu que sinueux, ce rond de Loudéac voit la flûte partir gaillardement en vadrouille, alors que la batterie ponctue la charge de ses cymbales fracassantes, et que des couinements ovniesques venus d’on ne sait où s’invitent subrepticement dans la partie…
L’osmose entre les trois complices est aussi effective que l’est leur maîtrise des placements rythmiques et mélodiques que sont en droit d’exiger les danseurs les plus rigoureux. Mais comme le dit Yeltaz GUENNEAU en présentation, même celles et ceux qui ignorent tout des codes des danses bretonnes peuvent aussi s’exprimer en « candidats libres », tant O’TRIDAL sait tirer n’importe quelle danse bretonne vers d’impressionnantes hauteurs extatiques. L’éclatement quadripartite de N’a pas de rayures offre au flûtiste et au guitariste la possibilité de s’exprimer en solo sans que cela ne vienne plomber l’ambiance, bien au contraire, comme le démontre ce passage dans la partie III où le public répond en scansions éructées aux sollicitations guitaristiques de Tibo NIOBÉ.
C’est ensuite un kas-ha-bar inédit sur disque, Tarabbarzh, qui tire un trait d’union – ou plutôt un « tilde », compte-tenu de ses rondeurs mélodiques et rythmiques – entre le Pays de Lorient et les rives africaines, manière de confirmer qu’avec O’TRIDAL on peut savoir d’où l’on part, mais pas forcément deviner où l’on se rend. Ça s’accélère avec la reprise du dernier morceau de Triumvirat, Sarzhad, qui prend vite une ambiance caniculaire, d’autant que Yeltaz GUENNEAU raconte en plein milieu du morceau l’anecdote climatique qui l’a inspiré, et que Tibo NIOBÉ enflamme sa guitare, propulsé par la rythmique échevelée de Kentin JUILLARD.
L’ignition générée par O’TRIDAL se répand aisément dans la salle de Bréal-sous-Montfort, et quand Yeltaz encourage le public à « faire du bouzin », ce dernier ne se fait pas prier !
Autre morceau extrait de Triumvirat, la scottische Lovejoy Boeson, toute en exubérance contrôlée mais non moins transpirante, précède une présentation des musiciens bien grisée, la fin approche… Et elle se fait sur un cercle circassien provenant des Karrdi Sessions, Maskl an Davarn, où les percussions affûtées de Kentin préparent un terrain de jeu idoine pour la guitare aux mille sons de Tibo, d’abord planant puis abrasif, avant que Kentin accélère le pas et que la flûte de Yeltaz raccroche fébrilement le wagon o’tridalien qui file toujours plus loin et plus chaud, surtout quand la guitare sort l’artillerie « wah-wah » et que la flûte se fait plus incisive. Le tout s’achève dans un déluge de sons quasi-extra-terrestres.
Après 54 minutes de fièvre o’tridalienne, il y a certes de quoi être exténué, mais on ne peut s’empêcher d’en réclamer davantage, surtout que les micro-coupures entre les morceaux ont laissé entrevoir que le concert n’était peut-être pas reproduit dans son intégralité. Qu’à cela ne tienne, O’TRIDAL a prévu un petit rappel surprise, non pas pour nous jouer un ultime rappel, mais pour nous balancer sa page de publicité vantant la nécessité d’acheter ses CDs (« parce qu’on est des gros capitalistes, nous ! »). Et contrairement à d’autres, cette coupure publicitaire n’intervient pas en plein milieu d’une scène à suspense, mais après les (d)ébats, merci pour cette attention !
Car, que vous ayez déjà vu O’TRIDAL sur scène ou non, le mieux à faire est effectivement de prolonger le plaisir en l’écoutant sur disque chez vous (faites-en aussi profiter vos voisins, tant qu’à faire !), et puisque cet album est en l’occurrence un enregistrement public, la sensation du « comme si on y était » y est éminemment palpable ! On y entend même perler les gouttes de transpiration dans un halo de fumigènes…
Stéphane Fougère
Sites :
Groupe : https://otridal.bzh/
Label : https://www.pakerprod.bzh/