Paolo ANGELI – NITA, l’angelo sul trapezio

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Paolo ANGELI – NITA, l’angelo sul trapezio
(ReR Megacorp / Orkhêstra)

Guitariste et compositeur originaire de Sardaigne, Paolo ANGELI s’est surtout fait un nom dans le milieu de la musique improvisée et avant-gardiste en tant que représentant de la scène des musiques nouvelles de Bologne. Depuis 1989, il s’est souvent produit avec le légendaire ensemble « Laboratorio di Musica & Imagina », et on l’a entendu dans la création de Fred FRITH Pacifica, ou encore chez Jon ROSE, parmi d’autres. En outre, il a étudié auprès de Giovanni SCANI, figure tutélaire de la guitare sarde, et a pratiqué des collectages pour l’Institut régional d’études ethniques de Sardaigne. C’est dire la diversité du bagage musical de Paolo ANGELI, lequel peut, au sein d’un même concert, mêler des approches contemporaine, avant-gardiste, jazz, post-rock, et purement traditionnelle.

Sa particularité, illustrée à travers ses précédents albums (dont Bucato, paru sur ReR Megacorp) est de jouer de la guitare sarde, accordée un quart de ton plus bas qu’une guitare traditionnelle et passant pour une sorte d’hybride entre la guitare folk et la basse acoustique. Le talent d’ANGELI se déploie notamment à travers sa pratique de la guitare sarde « géante » et « modifiée » qui, en plus des six cordes traditionnelles, comprend six autres cordes métalliques perpendiculaires aux autres. De plus, six tiges de métal actionnables par les pieds viennent frapper chacune de ces cordes, ce qui permet au musicien d’assurer son propre accompagnement rythmique. C’est une trouvaille technique parmi d’autres de cet instrument qui tient autant de la curiosité visuelle que sonore.

Pour son quatrième album toutefois, Paolo ANGELI met de côté sa guitare modifiée pour utiliser les guitares classique, électrique, acoustique et basse ainsi que le banjo, l’ukulele et le tuba basse. NITA, l’angelo sul trapezio, se démarque nettement de ses autres opus puisqu’il se présente comme une « bande son imaginaire » centrée sur la communauté musicale de Bologne et délaisse les improvisations expérimentales au profit de compositions richement orchestrées dans lesquelles se reflètent toutes les influences de Paolo ANGELI.

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De la ballade guitaristique épurée à la composition minutieusement arrangée, façon jazz-rock progressif tendance ZAPPA, de la musique de fanfare au chant choral, de la musique populaire à la musique sacrée, Paolo ANGELI « zappe » une quantité impressionnante d’expressions musicales et de couleurs sonores. En dépit de son hétérogénéité de façade, NITA forme un ensemble cohérent et extrêmement vivant.

L’amateur de musique progressive avant-gardiste y retrouvera du reste ses petits puisque certains morceaux, dont l’éponyme à l’album, renvoient l’ombre des travaux orchestraux de Frank ZAPPA ou encore des compositions d’inspiration folklorique de Fred FRITH avec SAMLA MAMMAS MANNA sur Gravity, dont NITA peut passer pour un cousin méditerranéen.

La minutie des arrangements, la sinuosité structurelle et les ambiances de morceaux tel Specchi d’Arancia et Pari O Dispari peuvent par endroits faire penser à SOFT MACHINE, HATFIELD & THE NORTH, PICCHIO DAL POZZO ou STORMY SIX…

Puis on glisse subrepticement vers des pièces plus courtes, d’apparence transitoire mais qui constituent en fait d’autres épisodes de l’histoire qui nous est racontée, et dans lesquelles d’autres éléments s’imposent, entre musique contemporaine et musique traditionnelle, avec des incursions de musique de fanfare, de chant choral, de musique populaire sarde et de musique sacrée.

Pas moins de trente musiciens ont du reste été conviés sur NITA. Outre les cordes de Paolo ANGELI, harpe, accordéon, violon, hautbois, flûte, clarinette, violoncelle et moult percussions font entendre leurs timbres, ainsi que plusieurs voix et des bruitages divers auxquels se mêlent un chœur traditionnel et un groupe de rue. Les textes des chansons font preuve eux aussi d’une grande variété de ton, de l’envolée poétique surréaliste à la considération politique, sans oublier les conversations de cour de récré et les répondeurs téléphoniques ! On y parle sarde, bien sûr, mais aussi français, anglais et allemand. C’est world, non ?

Dans son déroulement et sa conception, ce film sonore peut évidemment aussi rappeler certains travaux de Roland BECKER en Bretagne (Jour de fête et fête de nuit, Er Roue Stevan). Mais si l’on veut rester dans le contexte méditerranéen, ce goût pour l’assemblage « borderline » de sons et de chants, cette façon de jouer à saute-mouton avec les frontières stylistiques traditionnelles et modernes n’a guère d’équivalent que chez l’Italien Daniele SEPE.

On se gardera bien de vous narrer l’histoire sous-jacente à ce personnage de « l’ange sur le trapèze », mais l’image en elle-même est assez révélatrice du type d’agencement qui préside à cet album : il relève carrément de l’acrobatie stylistique. NITA se présente comme un kaléidoscope de piécettes enchaînées – chacune faisant pénétrer dans un nouvel horizon musical, comme un instantané pris au détour d’une rue de Bologne – mais forme un ensemble cohérent et extrêmement vivant.

C’est le genre de disque qui révèle de nouveaux horizons à chaque écoute. Le voyage qu’il nous propose est de ceux dont on n’a pas envie de revenir trop tôt. Ce n’est pas tant de folklore imaginaire dont il est question ici que d’imaginaire ethno-musicologique qui brasse autant les racines que les fruits.

Stéphane Fougère

Site : http://www.paoloangeli.com/en/

Label : http://www.rermegacorp.com/

Distributeur : www.orkhestra.fr

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°18 – janvier 2006,
et dans TRAVERSES n°19 – mars 2006)

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