Park JIHA – Philos
(tak:til / Glitterbeat)
Le premier album de Park JIHA, Communion, avait révélé une jeune Coréenne jouant sur des instruments millénaires (la flûte en bambou à double anche « piri », de l’orgue à bouche « saenghwang » et du tympanon « yanggeum »), et avait illustré sa capacité à en tirer les sons, inhabituels et singuliers aux oreilles occidentales, hors de leur territoire traditionnel d’origine vers une musique singulière à la croisée des genres, entre ambient, minimalisme, soft-jazz et avant-garde, en les mêlant à ceux d’un saxophone ténor, d’une clarinette basse, d’un vibraphone et de quelques percussions. Sa seconde réalisation artistique, Philos, poursuit la voie tracée par son prédécesseur ; sauf que, cette fois, Park JIHA s’affranchit du format trio pour livrer une œuvre entièrement composée et jouée par ses soins.
Ainsi, chacune des huit pièces qui composent cet album est constituée de plusieurs couches instrumentales superposées et entrelacées dans des combinaisons variables, en fonction du climat et de l’intensité émotionnelle recherchés. Piri, sanghwang et yanggeum mêlent leurs motifs mélodiques et textures rythmiques en une danse libre qui défie non seulement les lois de la pesanteur, mais bouscule aussi les lignes temporelles trop plates et les frontières spatiales trop cernées.
Du reste, à en croire les notes du disque, ce dernier est dédié à l’amour que Park JIHA porte au temps, à l’espace et aux sons. Et certes, ses sons sont des vecteurs et des guides qui transportent l’auditeur dans une dimension mentale ouverte à la poésie élémentale en le baignant dans un état de douce transe. Les paysages intérieurs qu’il découvre sont empreints d’une suavité capiteuse qui le dispute à l’écorchure discrète.
Car sous son apparence d’ambient rêveuse aux diaprures éphémères et aux moirages fugitifs, la musique de Park JIHA exprime aussi les sourires happés, les frôlements mélancoliques, les blessures contemplatives, les plaies méditatives. Tout part de ces « instants de rien » qui révèlent l’esprit à son for intérieur, foin des grimaces de l’ego, à la faveur d’une pérégrination urbaine (Walker : In Seoul), d’un orage d’été (Thunder Shower), d’une ballade flottante (On Water), d’un arrêt (Pause).
Tout part… ou plutôt tout arrive, puisque le disque débute avec Arrival, comme une réminiscence traditionnelle qui confine à une boucle hypnotique.
Les instruments de Park JIHA ont ce don de caresser et de secouer tout à la fois l’oreille, et leurs superpositions dévoilent un panorama d’inflexions, d’ondulations aux moult nuances. Par trois, par deux, ou parfois en solo, ces instruments sont ici et là enveloppés de bruitages naturels (Thunder Shower, Pause, Walker : In Seoul), de vocalises (When I Think of Her), de touches de glockenspiel (On Water)…
On se dit que, dans pareil univers, toute intervention verbale pourrait être incongrue et intempestive. Eh ! bien justement, non ! Easy est le seul morceau du disque à bénéficier d’une participation externe, en l’occurrence la voix de la poétesse libanaise Dima El SAYED, dont le poème Easy, qu’elle récite, connecte l’onirique au politique, évoquant les ravages de la guerre, les caprices climatiques, les mouvements démographiques, les maux de la Terre et de l’être… Comme la peur se tapie derrière la rêverie… Comme la méditation tente de guérir les peines….
Mais au final, l’élément liquide, récurrent d’un bout à l’autre du disque, de Thunder Shower à On Water, éteint les braises de douleur et baigne l’esprit de gouttes et de clapotis, seuls véritables tic-tacs de l’existence.
Philos dit l’élégance de la fugacité, la malléabilité de l’empreinte, la ferveur de la résonance…
Stéphane Fougère
Site : www.parkjiha.com
Label : www.glitterbeat.com