Pascal COMELADE, Ramon PRATS, Lee RANALDO – Velvet Serenade
(Staubgold Records)
Sauf erreur à rectifier à la dernière minute, Pascal COMELADE n’a approché dans sa gigantesque carrière discographique le répertoire du VELVET UNDERGROUND que deux petites fois : White Light- White Heat en deux parties sur Sentimientos paru en 1982 et All Tomorrow’s Parties sur l’album en public Live in Lisbon avec le BEL CANTO ORQUESTRA paru en 1999. Pascal COMELADE indique d’ailleurs que « ce morceau avait été esquissé pendant les premières balances du groupe et figure désormais au répertoire des concerts ».
Le morceau de 1999, joué au piano jouet, violon « à la John CALE » et mélodica dure un tout petit peu moins de trois minutes, fidèle en cela à la version du premier single du VELVET paru en juillet 1966 chez MGM, couplé avec I’ll be Your Mirror (soit deux fois NICO au chant), et soit un an avant l’album à la banane et avec NICO sur trois morceaux car selon Lou REED elle n’est pas la chanteuse du groupe mais « rattachée au groupe », la jalousie n’ayant plus de limites chez ce chanteur punk avant la lettre jouant les petites crapules et venu tout droit de Long Island, mal à l’aise, apeuré et pétri de complexes à l’époque.
La version 2023 qui inaugure ce Velvet Serenade avec le même piano jouet s’ouvre au bout d’une minute et quelques avec la batterie et des distorsions SONIC YOUTH de guitares « à la RANALDO » en digne successeur de Johnny VIOLA et en prise directe avec le survivant extrême du Velvet (for)Everground.
Ce groupe new-yorkais qui a accompli les prodiges de n’avoir pratiquement jamais joué à New York et qui réussit à faire encore parler de lui plus de 55 ans après alors que dès le troisième album de 1969 et le départ du Gallois taciturne (et avant lui de la « moongoddess » destituée, lunatique, boudeuse, souvent fâchée ou autre) ce groupe ne valait plus énormément (à tout donner en trois fois on s’essouffle forcément) sauf du côté des légendes (voir Brian ENO et la phrase biblique et définitive sur les deux cents personnes qui avaient acheté l’album « with » la banane).
Qu’est-ce donc qu’une sérénade ? Est-ce une représentation musicale en l’honneur de quelqu’un, jouée en soirée (sinon à l’aube c’est une aubade), est-ce un divertimento (le côté léger renforcé par la durée de l’album 34 minutes) a-t-elle à voir avec un hommage (musical legacy ou tribute), est-ce une réinvention non nostalgique d’un patrimoine essentiel pour la musique du XXe siècle ? Pour Ignacio JULIÀ, le commanditaire de l’opération de rapprochement des deux musiciens de cet album et grand intervieweur espagnol du VELVET, il s’agissait de créer un événement à l’occasion de la sortie « mondiale » de son bel ouvrage en 2022 (Linger On : The Velvet Underground) somme indépassable de tout ce que cet homme a pu rassembler sur son groupe fétiche arrivant comme un OVNI et pourquoi pas bienvenu en ces temps de ressorties des patrimoines musicaux du vingtième siècle.
Un concert a donc été organisé le 28 avril 2022 à Banyoles en Catalogne près de Gérone et les deux acolytes rejoints par un batteur local (Ramon PRATS) se sont (re)découverts et appréciés tant et tant qu’ils ont décidé de graver sur disque cette courte sérénade en allant piocher trois morceaux du banana album, un morceau du troisième album, celui sans John CALE : What Goes On, un morceau resté plus ou moins inédit, Ocean, il fait partie de la version longue de Loaded et de VU, les deux albums du VELVET sans plus grand-monde dedans et un titre hommage (ah! mais non!, enfin un peu quand même) Lou’s Blues, écrit par Lee RANALDO soi-même
Six morceaux avec All Tomorrow’s Parties comme entrée en matière instrumentale de ce morceau décalé sussurré en 1967 par la chanteuse froide et triste qui se regarde chanter avec amusement, dédain et morgue placé en numéro deux de l’album original et qui ici annonce la suite en s’enchainant donc avec ce What Goes On (on saute le deuxième album allégrement pourquoi pas, puisque John CALE a déjà été viré et que le climat est plus calme et plus ralenti que sur Sister Ray, ce rock primitif, saturé, lancinant et indépassable qu’on aurait du mal à toucher de loin ou de près) qui marque l’arrivée en fanfare motorik de Lee RANALDO (en fils indigne, remplaçant du sombre gallois noir vêtu du VELVET), COMELADE ne revenant que vers la fin avec un assortiment de clochettes du plus bel effet.
I’m Waiting for the Man (retour à la banane) suit sur plus de six minutes et semble très éloigné de l’original (tant mieux, car c’est tout de même une véritable scie surtout quand ce titre est immanquablement malmené en rappel des nombreux concerts des « Velvet Followers » de tous genres), enchaînement avec Lou’s Blues, morceau apaisé et guitares velvetiennes et touches comeladiennes toujours posées là où il faut (vers la fin dans ce cas-là).
On passe à Ocean, morceau qu’il faut (re)découvrir : écrit par Lou REED et arrangé par John CALE alors que ni l’un ni l’autre ne figurent plus sur Loaded (le quatrième album mal nommé), c’est une version de plus de neuf minutes très sobre au piano/percussions lors des trois premières minutes jusqu’à l’arrivée du chant de RANALDO qui prend la situation en main avec emphase et détermination ce qui fait de ce morceau le pivot de l’album.
Enfin, Femme fatale en post-scriptum pour la star blonde et pâle au tambourin inaudible qui clôture l’ensemble sur un peu moins de cinq minutes retrouvant des airs et aires connus de la galaxie comeladienne.
Cette sérénade/prétexte avec Lee RANALDO, jadis rencontré en 2008 lors d’un concert de SONIC YOUTH à Leucate – un projet commun a capoté suite au vol de la fourgonnette qui contenait les guitares et les ordinateurs du groupe – fait peut-être suite au bel album de la maturité du compositeur catalan, A Freak Sérénade en 2009, couplé avec un album tribute, Assemblage de pièces comeladiennes du plus bel effet, la même année, n’a pas ce côté distancié qu’ont parfois les morceaux clins d’œil de COMELADE, côté qu’on aime toujours bien entendu mais surtout quand ils sont assortis de belles envolées : la patte du Catalan ou la pâte de Pascal le lad du come (out) et de jolies mélodies sorties de ce patrimoine musical ambulant qu’est notre musicien ébouriffé préféré de Céret dans les Pyrénées près de la Méditerranée.
On perçoit avec ce court album que le trio a voulu éviter l’hommage trop révérencieux, ce qui n’avait aucun intérêt et aurait déplu aux musiciens autant qu’aux auditeurs, tout en faisant de cet objet une pierre légère, un divertimento, la sérénade ne doit pas durer trop longtemps, pas de Sister Ray, pas de Venus in Fur et leurs laves sourdes moyenâgeuses et distordues.
L’enchainement des morceaux est impeccable et les musiciens humbles et investis, personne ne cherche à tirer la couverture à soi (tout le contraire du VELVET qui n’a cessé de se tirailler dans tous les sens, depuis les tout débuts). La sérénade se refermant comme elle avait commencé avec des distorsions calmes et posées (Femme Fatale) même si l’atmosphère semble parfois déraper un peu (si peu) au contact de la fatalité de cette « femme inaccessible », objet (ou trophée) des batailles, brouilles, amertumes, fiertés blessées et réconciliations sur le tard des deux lascars détenteurs du titre originel du groupe et dont le non succès aura été la promesse d’une beauté intacte revisitée mais jamais égalée.
Ici pas de volonté de peser sur l’histoire, ou de la refabriquer à une autre sauce, pas question de bâcler non plus, la musique est bien là, le souffle également. Pascal COMELADE et Lee RANALDO peuvent s’affirmer comme les princes distingués, dignes et inventifs de cette histoire du rock de New York et de sa bande de jeunes musiciens perdus et persona non grata dans leur propre ville, histoire qui n’en finit jamais de nous dire combien ça n’était pas toujours aussi « easy » de vivre ces années trop grises, trop sublimées ou fantasmées, emplies de violences et de deuils d’il y a maintenant des années lumières soit plus de cinquante cinq ans. Bel hommage qu’un titre de Pascal COMELADE sur l’album Sentimientos (1982) pourrait résumer ainsi : « The Grey Velvet Gentleman ».
Xavier Béal