POLYPHÈME (Wassim HALAL & GAMELAN PUSPAWARNA) – Le Rêve de Polyphème

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POLYPHÈME (Wassim HALAL & GAMELAN PUSPAWARNA) – Le Rêve de Polyphème
(CD ou 2xLP) (Pantcha Indra / Pagans)

Au commencement était le cri. Puis, ce cri engendra le rêve, au lieu d’y mettre fin comme de coutume. Je m’explique (et je vous explique par la même occasion) : POLYPHÈME est une étrange formation instrumentale qui combine deux percussions emblématiques de deux traditions musicales distinctes, la darbouka moyen-orientale et le gamelan indonésien. Sa création remonte à l’époque de la conception, par le percussionniste iconoclaste Wassim HALAL (ex-BEY.LER.BEY, REVOLUTIONARY BIRDS…) d’un triple album nommé précisément Le Cri du cyclope. L’une des compositions de cet album faisait en effet intervenir un « gamelan de poche » de type balinais venant de… Nanterre (non, ce n’est pas à côté de Kuta !), le GAMELAN PUSPAWARNA, constitué d’un ensemble de musiciens de l’association Pantcha Indra et créé en 2011 par Hsiao-Yun TSENG, Jérémie ABT et Théo MÉRIGEAU. Le Cri du cyclope a donc servi de mise à feu à une collaboration dont on ne peut plus dire dorénavant qu’elle a fait long feu, l’existence de cet album, le Rêve de Polyphème, longuement mûri, en est la preuve !

Et par la même occasion, on aura compris que le cyclope braillard en question s’appelle bien évidemment Polyphème, l’une de ces fameuses créatures fantastiques issues de la mythologie grecque. Fils de Poseidon et de la nymphe Toosa, Polyphème a fait parler de lui (d’où son nom) pour avoir poussé un cri retentissant lorsqu’un pauvre mortel revanchard (qui s’est fait passer pour « Personne » alors qu’il s’appelait Ulysse) lui a crevé l’œil ! Il n’en a pas fallu davantage pour que la collaboration entre Wassim HALAL et le GAMELAN PUSPAWARNA ne prenne le patronyme POLYPHÈME, en hommage à ce cyclope borgne, et en référence à cette composition du Cri du cyclope qui s’intitulait le Rêve de Polyphème, titre qui est devenu celui du présent album. (Ça va, vous suivez ?)

Au commencement était donc le cri. Et même un double cri. Car si Polyphème – le cyclope – n’avait qu’un œil (comme Jack, mais je m’égare…), POLYPHÈME – le groupe – est en revanche une créature bicéphale à travers laquelle résonne non seulement le « cri cyclopique », mais aussi son écho, voire son « doppelgänger », du côté de l’archipel indonésien. En effet, le GAMELAN PUSPAWARNA, dirigé par Jérémie ABT, puise son terreau créatif dans la musique du gamelan balinais, et plus précisément dans celle générée par un type de gamelan qui a révolutionné la musique balinaise au début du XXe siècle, le Gamelan Gong Kebyar, dont le nom a été créé à partir de cette onomatopée en forme de bruit d’explosion, « Byarr ! ».

Le Kebyar est donc lui aussi à sa manière un cri. Un feulement. Un braillement. Un rugissement. Un tintamarre. Savamment organisé cependant, puisque la musique du Gong Kebyar se caractérise par ses changements rapides de tempo et de dynamique. Le Kebyar a fait l’effet d’une explosion tant musicale que culturelle, et elle s’est produite la même année (1915) qu’une autre révolution explosive, à savoir l’irruption du Sacre du Printemps d’Igor STRAVINSKY, qui en fait crier plus d’un (qu’il soit cyclope ou non !), dans le paysage musical occidental.

De légende grecque au regard ensanglanté en révolutions soniques scandaleusement explosives du siècle dernier, POLYPHÈME peut se vanter d’avoir des ancêtres turbulents et d’avoir la turbulence dans ses gênes. C’est pourquoi sa musique pourrait bien passer pour le sacre d’un nouveau printemps.

Car de musique traditionnelle il n’est point question. POLYPHÈME ne cherche pas à représenter les us et coutumes rituels et fonctionnels liées aux musiques des gamelans indonésiens. Il ne s’agit pas plus de « rencontre » entre la tradition indonésienne et la tradition moyen-orientale, quand bien même elles nourrissent l’élan créateur de l’ensemble ; et l’expression « dialogue interculturel » est par trop réductrice.

POLYPHÈME a créé sa propre musique et présente un répertoire de compositions originales façonnées par tous ses membres, que ce soit Wassim HALAL comme les musiciens du GAMELAN PUSPAWARNA, à savoir Jérémie ABT, Théo MÉRIGEAU, Sven CLERX, Hsia-Yun TSENG, Antoine CHAMBALLU, Raúl MONSALVE, Christophe MOURE et Krishna SUTEDJA. Pratique du gamelan oblige, ils sont tous multi-instrumentistes, alternant gong, gender (métallophone), reyong (petits gongs accordés en carillon) et cymbales cheng-cheng au gré des compositions. Et celles-ci, minutieusement architecturées, sont volontiers aventurières, fragmentées, labyrinthiques, heurtées, secouées, distillant hypnoses et magnétismes, envoûtement et chaos, violence et rassérénement.

Traditionnellement, la musique de gamelan balinais obéit à des codes stricts et à des structures fixes ; chaque instrument a un rôle précis à jouer, une partition scrupuleuse à respecter et agit en interaction avec les autres. C’est une mécanique admirablement huilée et ouvragée qui génère des soubresauts rythmiques et harmoniques en pagaille.

Tout en s’appuyant sur ces codes, POLYPHÈME les subvertit d’office en intégrant la darbouka de Wassim HALAL. Celle-ci ne se contente pas de remplacer le « kendang » (tambour) généralement à l’œuvre dans le gamelan balinais, elle apporte ses propres idées et concepts rythmiques. Et comme Wassim HALAL a un penchant prononcé pour l’expérimentation ludique, il fait par endroits subir à sa darbouka des métamorphoses sonores par le biais d’effets spéciaux qui propulsent l’ensemble sur orbite et le projette dans une dimension fantasmagorique de haut vol.

Les six compositions qui constituent le Rêve de Polyphème foisonnent de vifs contrastes climatiques, de décalages et de rebondissements rythmiques, de tortueuses combinaisons harmoniques et d’envoûtantes enveloppes mélodiques qui hypnotisent l’oreille tout en maintenant l’esprit en état d’alerte. Elles se déploient pour la plupart sur des longues durées, tutoyant le quart d’heure et le dépassant même, culminant à 19 minutes avec la pièce d’introduction, l’Heureux Loup (jeu de mot de la mort-qui-tue !), qui nous plonge derechef dans un vortex parallèle de sonorités coulantes, sédatives et d’entrechocs grisants.

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Que ce soit au sein de troublantes Murmurations aux relents science-fictionesques comme au détour des secousses brinquebalantes et des remontées acides de Cynoque (un terme qui définit on ne peut mieux la nature même de POLYPHÈME!) en passant par les Derniers Mots d’Écho, plus atonaux qu’atones, les polyrythmies et les matières sonnantes, trébuchantes, tintinnabulantes, frappantes et cognantes du gamelan et de la darbouka échafaudent des projections cinématographiques en constante effervescence. Une autre créature des mythes grecs, le satyre Pan, est de même saluée et, bien évidemment, la composition éponyme à l’album (celle qui émane du Cri…) est de nouveau réinvestie.

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Les efforts et talents combinés du GAMELAN PUSPAWARNA et de Wassim HALAL dessinent ainsi un imaginaire aussi agité qu’agitateur, que l’illustration de pochette du disque, en forme de collage « monty-pythonesque », incarne à merveille. (Et là, il faut bien avouer que le support vinyle rend davantage justice à la vision graphique générée par Diego VERASTEGUI et Benjamin EFRATI !) On y voit un cyclope dont l’œil est percé d’un lotus duquel émergent des créatures tout aussi bicéphales que POLYPHÈME lui-même. Parmi elles, on décèle entre autres un cheikh arabe en tapis volant frappant sur un gong. Serait-ce l’égrégore de POLYPHÈME ?

En tout cas, ce Rêve de Polyphème coche les meilleures cases : il est foutraque, bigarré, schizophrène, obsédant, inquiétant, ensorcelant, azymuté, syncopé, explosé ; il transgresse les balises, bouscule le « bon goût », « bouleversifie » les préconceptions avec un sens aigu de la virtuosité inventive, et délivre une vision artistique unique, cyclopique et panoramique tout à la fois. Nul doute que POLYPHÈME vous fera pousser des cris… de jubilation !

Stéphane Fougère

Sites : https://www.pantchaindra.com/gamelan-balinais-paris

https://wassimhalal.com/

Page label : https://polypheme.bandcamp.com/album/le-r-ve-de-polyph-me

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