Kevin AYERS, Mike OLDFIELD, Robert WYATT, David BEDFORD,
Lol COXHILL, Six Beautiful Girls – The Garden of Love
(Voiceprint)
Comme ça a l’air mignon ! Le « Jardin d’Amour », ça s’appelle. Mais jusqu’à aujourd’hui, c’était surtout un jardin secret. Jamais cette pièce de 21 minutes, inspirée par un poème du sulfureux William BLAKE, et datant des aurores de la décennie des 70’s, n’avait été gravée. Pourquoi donc ? La pochette nous montre une rose pleinement épanouie, mais il ne faut pas oublier que toute rose a ses épines…
À la base, il n’y avait pourtant pas lieu de se méfier. The Garden of Love était une création d’un certain David BEDFORD, connu pour avoir tenté de faire jouer dans la même cour le rock précieux et la musique classique. On lui doit quelques albums (Song of the White Horse, Nurses Song with Elephants, Star’s End, Great Equatorial…) et une collaboration avec CAMEL pour son album symphonique The Snow Goose. Ainsi The Garden of Love réunit-il le KEVIN AYERS WHOLE WORLD, un quintet classique formé de membres du très respectable orchestre le LONDON SINFONIETTA, et six jolies petites minettes pour rincer l’œil de la galerie, en l’occurrence le Queen Elizabeth Hall, où fut donnée la première représentation, le 26 septembre 1970.
Deux guitares (Kevin AYERS et Mike OLDFIELD), un saxophone (Lol COXHILL), une batterie (Robert WYATT), un orgue (David BEDFORD), une flûte (Sebastian BELL), un cor (Antonia COOK), une trompette (Peter REEVE), une clarinette (Antony PAY), une contrebasse (Daryl RUNSWICK) : oui, ça s’annonçait plutôt mignon… Du moins tant que tout le monde se bornait à suivre sa partition.
Mais David BEDFORD ayant autorisé les échappées solistes et les improvisations, le WHOLE WORLD ne s’est pas fait prier pour poivrer la performance d’extrapolations dissonantes électro-avant-gardistes, au grand dam du directeur du LONDON SINFONIETTA, qui préféra quitter les lieux, avec quelques autres spectateurs ! Après cet échauffement instrumental inattendu de plus d’un quart d’heure, et une fois le calme revenu on ne sait trop comment, Kevin AYERS, l’œil mouillé et la truffe luisante, vient, sur une musique plus avenante, chantonner le poème proprement dit devant un auditoire que l’on devine éberlué par ce qu’il a subi avant…
Du reste, les fans du doux rêveur canterburyen auront eux aussi quelque difficulté à avaler cette pilule. En revanche, les amateurs de HENRY COW devraient y trouver leur compte. La visite de ce « jardin d’amour » leur est donc réservée en priorité.
Stéphane Fougère
NDLR : Cet enregistrement peut désormais se retrouver dans le coffret Kevin AYERS – All This Crazy Gift Of Time (The Recordings 1969-1973) paru chez Esoteric Recordings en octobre 2024, et qui réunit tous les enregistrements studio (Joy of a Toy, Shooting at the Moon, Whetevershebringswesing, Bananamour + divers singles et inédits parus dans le LP Odd Ditties) et live (The BBC Sessions 1970-76, Hyde Park Free Concert 1970, Banana Follies, After The Show : Live at Queen Elizabeth Hall, 25th May 1973) réalisés par Kevin AYERS entre 1969 et 1973, soit neuf CDs + un Blu-Ray comprenant plusieurs archives vidéo.)
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°2 – juillet 1998
et mise à jour en 2024)